Thèmes et interprétations

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Terme
APORIE

On désigne par aporie un raisonnement qui aboutit à des conclusions contradictoires, de sorte que le problème qui est posé se retrouve sans solution. Or, chez Mirbeau, c’est souvent le cas, car il ne se pose jamais en donneur de leçons et n’assène jamais ses propres conclusions à ses lecteurs. Il s’emploie au contraire à les inquiéter en les confrontant aux contradictions qui sont dans les choses et qui interdisent de se contenter de réponses toutes faites. Aussi se refuse-t-il à faire d’un héros de roman ou de théâtre son porte-parole, même s’il lui arrive de prêter à Célestine ou à Germaine Lechat des développements qui sont du plus pur Mirbeau, et même de mettre dans la bouche de la sadique Clara un de ses articles. De même, tous les personnages qui semblent le plus proches des idées que leur créateur développe par ailleurs pour son propre compte ne sauraient pour autant être pris pour des modèles, ni, a fortiori, pour des directeurs de conscience : tous ont trop de faiblesses et de contradictions pour qu’on puisse se rallier facilement à leurs thèses : dans Le Journal d’une femme de chambre, Célestine est fascinée par Joseph parce qu’elle s’est mis dans la tête qu’il a violé et assassiné la petite Claire ; dans Les affaires sont les affaires, Germaine Lechat est trop rigide et trop éprise d’absolu pour ne pas susciter quelques craintes, que partage son amant ; quant à l’abbé Jules du roman de 1888, il accomplit trop de vilenies tout au long du récit pour que son évangile cynique n’en soit pas entaché.

Et surtout,  les problèmes qui se trouvent posés dans ses œuvres ne débouchent sur aucune solution. Dans Les Mauvais bergers (1897), par exemple, si Mirbeau soutient bien évidemment les revendications ouvrières et stigmatise le massacre des grévistes, il n’en met pas moins en lumière, au cinquième acte, l’impossibilité de la révolte, condamnée à finir en bain de sang : la question sociale n’a aucune chance d’être résolue, et lui-même, pour sa défense, reconnaît que, s‘il l’avait eu la solution, ce n’est pas au théâtre qu’il aurait choisi de la mettre en œuvre. Dans Le Jardin des supplices (1899), s’il s’avère que la « loi du meurtre » règne à la fois dans la nature et constitue la base même et la justification des sociétés humaines, une solution alternative est-elle envisageable ? Peut-on imaginer une société pacifiée et des hommes affranchis de cette monstrueuse « loi du meurtre » ? Dans Dingo (1913), il aboutit également à une aporie, pour les mêmes raisons : nature et culture reposant également sur le meurtre, comment choisir entre le rousseauisme naïf et le radical-socialisme embourgeoisé, que le romancier renvoie dos à dos ? Il n’est pas jusqu’aux Affaires sont les affaires qui n’aboutisse à une aporie : car si Isidore Lechat est un requin sans scrupules qui sème la misère, il n’en est pas moins aussi un brasseur d’affaires audacieux qui contribue au développement des forces productives.

Voir aussi les notices Contradiction, Lucidité, Vérité, Utopie et Pessimisme.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Les Contradictions d’un écrivain anarchiste »,  in Actes du colloque de Grenoble Littérature et anarchie, Presses de l'Université du Mirail, Toulouse, 1998, pp. 31-50 


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