Thèmes et interprétations

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Terme
ARBRE

En apparence, la fibre humaniste de Mirbeau ne vibre guère en présence de l’homme, mais en celle de… l’animal. Ce serait oublier qu’aux côtés du chien Dingo et de la chatte Miche, l’arbre occupe une place marquée par l’affect, dans l’œuvre mirbellien. Le premier roman signé de son nom, Le Calvaire, en 1886, laisse une large place au scandale que représentent les coupes sombres de l’armée française dans la forêt séculaire, s’acharnant sans dessein sur les arbres « lisses comme des colonnes de temple ». S’il y va d’une sorte de profanation, c’est non pas tant du fait du rapprochement physique des fûts des hêtres avec des piliers de cathédrale (analogie reprise dans l’entretien de Mirbeau, émerveillé, avec Jules Huret en 1891) qu’à cause du sentiment d’adoration manifeste de Mirbeau face à la beauté naturelle. De même, l’avènement de la conscience critique de Mintié, la naissance de sa vie psychique même, a lieu à Paris, face aux arbres, compagnons de souffrance privilégiés, dont la présence opiniâtre étonne parmi l’hostilité minérale de la capitale. C’est la même logique qui permet d’entrevoir enfin une perspective pacifiée, in fine, à travers la prosopopée des jeunes chênes et des baliveaux.

En comparaison de la fleur, il existe une symbolique bien plus claire, dans le discours sur les arbres, plus lisible, chez Mirbeau. Là où la pivoine, le bambou, la primevère ou le chèvrefeuille revêtent une portée rhétorique des plus touffues, oscillant entre la beauté du mal et l’innocence de la nature vulnérable, la parole sur l’arbre ne s’encombre pas d’une telle complexité. Elle consomme une rupture sensible avec l’esthétique décadente, par exemple : quasi absent du Jardin des supplices (1899) et de son arboretum pourtant mentionné, l’arbre réintègre l’homme dans un processus humaniste, lui fait envisager la perspective d’un enracinement fécond. La fleur mirbellienne n’est que surface et, à ce titre, tromperie possible et beauté vénéneuse. L’arbre, solidement ancré, lui, s’inscrit dans l’œuvre comme facteur d’équilibre, l’auxiliaire et le reflet de la cohorte des déracinés, des orphelins réels ou symboliques, des bafoués et des humbles.

Une scène du deuxième roman, L’Abbé Jules, en 1888, fait écho au sentiment d’indignation soulevée par cette déforestation sacrilège du Calvaire ; la folie monomaniaque du Père Pamphile s’abat, un temps, sur son cadre de vie. Sa fureur de martyre le pousse à détruire les vénérables chênes bordant l’abbaye, scène orchestrée en un récit lyrique qui vibre de la grandeur épique. La victime est ici l’arbre, et, la souffrance faite au végétal, l’on pressent intimement qu’elle est souffrance faite à Mirbeau. Ce dernier trouvera-t-il à cet égard incarnation plus cinglante de la bêtise suffisante et satisfaite d’elle-même que la rage de ce patriote peinturlurant les ormes géants aux couleurs du drapeau, relatée dans l’une des chroniques des Grimaces, « Embellissements » ? « Je voudrais bien savoir ce que les vieux arbres qui ne sont pas électeurs, eux […] pensent de l’homme », conclut, désabusé, le narrateur.

Tout au contraire, pour l’homme sensible, le créateur notamment, l’arbre est l’être silencieux, croissant en marge des impératifs sociaux, et qui élabore une matière durable et vivante qui fait résistance aux mensonges : quelle fraternité plus éloquente avec l’artiste ?

S. L.

 


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