Thèmes et interprétations

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Terme
BOUE

Ramené inexorablement au limon originel : on n’en finirait plus d’énumérer les images de boue, de fange, de glu, déclinées dans l’œuvre mirbellien, et qui s’attache aux personnages romanesques. L’adhérence fatale de la liaison amoureuse – ce collage –, l’échec affectif, le naufrage des projets artistiques et des vocations au bonheur ou des aspirations altruistes à prodiguer le bien, se traduisent invariablement par les schèmes de contact avilissant avec la matière la plus visqueuse. Dans Le Calvaire, en 1886, ces images se déclinent sous la forme voluptueuse mais régressive du porc étalé en sa fange, ou celle, anti-prométhéenne, d’un Icare chutant dans la boue. Si, selon Bachelard, « la pâte est un des schèmes fondamentaux du matérialisme », l’influence d’un contexte d’époque nous force à oser « la boue est la matière paradigmatique du naturalisme ». L’attitude du peintre Lirat, dans Le Calvaire, est significative : rompre avec la pâte de son propre matériau, coupable de lourdeur et d’opacité, et lui préférer… l’eau-forte. Plus généralement, la hideur et l’effroi qui naissent des situations morales où trébuchent les personnages sont figurés par l’évocation d’une nature nauséeuse, saturée, répugnante : « De la bêtise et de la folie, beaucoup de boue et beaucoup de sang, c’est ça l’amour ! » est la clausule du « Colporteur » (Gil Blas, 15 juin 1886), qui pourrait s’élargir à tout l’œuvre.

La profondeur et la cohérence de l’imaginaire mirbellien se lisent dans la permanence de cette rhétorique. En 1898, dans Le Jardin des supplices, Clara fait naître dans l’esprit du narrateur la crainte de le faire« d’une chute plus profonde, retomber aux fanges inévitables de [s]on existence de paria », cependant qu’il souhaite que sa sincérité le lave de « toutes [s]es malpropretés, toutes [s]es boues ». En 1901, la préface d’Un an de caserne, d’Eugène Montfort, dénonce la violence militaire en ses termes : « Le mépris de la pitié, l’effroyable haine de la vie, la monomanie du meurtre, et ce qui en dérive, le culte des grands brigands laurés, de ces dégoûtantes brutes que sont les héros militaires, telles sont les leçons qui, désormais, vont l’envelopper [le jeune homme], le conquérir, le corrompre, l’enliser, tout entier, dans la boue sanglante… »

État intermédiaire – elle n’est pas encore de la terre, mais n’est déjà plus fluide – , le motif de la boue se voit prolongé çà et là par ceux, plus équivoques, encore, de la fange et de la glu. La vase, quant à elle, ne suscite pas moins d’effroi. Cauchemardesques visions que celles qui habitent l’esprit du narrateur de La 628-E8 (1907), troublé par  le tableau alarmiste des villes lacustres menacées de pollution : « L’eau, même l’eau boueuse, on peut l’agiter […] Mais la vase ? […] C’est la peste, le choléra, ce sont peut-être des fièvres inconnues, c’est la mort sur le monde ! »

Tout différent est le traitement littéraire d’une autre source de  fertilité symbolique : le fumier. Loin d’être affublé des indices de mort et d’empoisonnement, cette matière, pourtant aussi riche de miasmes et de pestilence, sollicite Mirbeau jusqu’à l’enthousiasme. Elle fait écho, dans son travail organique, à l’élaboration lente, productive, cyclique, de l’œuvre esthétique, celle de Lucien, dans Dans le ciel, par exemple. La connotation pléthorique reconquiert alors sa valeur euphorique.

Loin de toute abondance délétère, c’est l’air et l’eau qui composent le paysage profond de Mirbeau.

S. L.

 

Bibliographie : Arnaud Vareille et Samuel Lair, « La dynamique des images de l’eau », In aqua sribis, la thème de l’eau dans la littérature, actes du colloque de Gdansk, Wydawnictwo Uniwersytetu Gdanskiego, 2005, pp. 109-117 ; Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaitres de Rennes, 2004, pp. 59-62.

 

 


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