Thèmes et interprétations

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Terme
CONTRE-TYPE

La notion de contre-type renvoie chez Mirbeau à un mode particulier d’utilisation des noms de personnalités dans ses articles journalistiques et dans ses œuvres fictionnelles.

Alors que le type et le stéréotype reposent sur la concentration d’un certain nombre de défauts ou, plus rarement, de qualités dans un personnage fictif, le contre-type réduit une personne réelle à un trait négatif. Sa fonction est donc polémique dans la mesure où le contre-type ressortit, pour partie, à un procédé satirique, voire caricatural. Toutefois, le parti pris mirbellien est de mener la charge entre la typification et la caricature.

Le contre-type se caractérisera ainsi par le recours systématique au principe de contradiction logique, qui prend communément la forme d’un écart entre le signifiant des personnalités citées (leur identité et leur image publique) et leurs signifiés (les valeurs qui leur sont attachées par Mirbeau). Nombreux sont les textes qui jouent, en effet, sur le contraste entre la réputation de la personne et sa valeur réelle afin de mettre en lumière, selon la tradition polémique de toutes les périodes de crise, la discordance entre l’être et le paraître, qui serait devenue l’essence du social.

Le type est une création imaginaire sur laquelle vont se greffer les préoccupations morales collectives. À l’inverse, le contre-type prend sa source chez une personne réelle pour laisser se développer la polémique partisane. Car, à la différence du type, le contre-type ne peut accueillir divers visages. Il se définit par une identité et un caractère unique qui le distinguent des appellations génériques que l’on trouve également chez Mirbeau, comme « l’Illustre Écrivain » voir Chez l’Illustre Écrivain), ou des noms de convention à la manière de ceux employés par La Bruyère dans Les Caractères. Le type s’ancre aussi durablement dans une époque ou la transcende par les traits universaux qui sont siens ; le contre-type n’est que l’écume d’une période dont il incarne une valeur surestimée, surestimation que met en scène la rhétorique du genre : un nom est associé à une fonction qui le dépasse et dans laquelle la personne ne laissera aucun souvenir particulier. Car, produit de la modernité, le contre-type renvoie à des individus et non à une communauté de sujets, qui permettait, à l’époque classique notamment, d’envisager la figure typique. La montée en puissance du règne de l’individu favorise l’attaque ad hominem plutôt que celle de la fonction, dans la mesure où cette dernière est occultée par le jeu médiatique contemporain dans lequel la personnalité vaut davantage que le mérite réel.

Le contre-type participe donc d’un art de l’allusion, qui demande au lecteur de reconstituer le contexte événementiel, mais également de procéder à une réévaluation des faits passés et d’extrapoler à partir des éléments du présent une réalité possible. Il est un principe actif et dynamique, en ce sens qu’il est la source d’une réflexion et d’un mûrissement de la pensée quand le lecteur épuise le sens de la caricature dans la contemplation du dessin ou à la lecture du passage polémique. À la différence du type, universel et intemporel, le contre-type n’a pas de postérité et n’a donc de réalité que dans un milieu et un moment précis ; pour autant, il ne focalise pas non plus le message satirique sur un détail particulier de la cible, ne se limite pas à une dénonciation ponctuelle ; il engage une lecture active, mêlant fortement le texte au cotexte et au contexte. Le procédé trouve son point d’orgue dans le numéro spécial de L’Assiette au Beurre intitulé « Têtes de Turcs », entièrement rédigé par Mirbeau et illustré de dessins de Léopold Braun. Quinze personnalités y sont passées au crible du contre-type, parmi lesquelles Barrès, Rochefort, Bourget, Paul Deschanel ou le Docteur Doyen. D’autres noms, soumis au même traitement, émaillent fréquemment les textes mirbelliens. Georges Leygues en est le plus emblématique. Le passage d’une critique des représentants institutionnels à celle des gloires médiatiques est symptomatique d’un changement de société. Dans celle de la fin du siècle, les véritables éteignoirs de la pensée et du progrès sont moins incarnés par les autorités officielles que par les gloires du moment, souvent plus influentes que les premières. Le contre-type est un fantôme, mais il se matérialise par l’ombre portée qu’il projette sur la société. Le procédé évoque alors le mode contrefactuel qui permet aux grammairiens de présenter l’ensemble des possibles que le réel a rendus caducs. Nommer un personnage contre-typique dans un texte, c’est immédiatement faire percevoir, par contre-coup, la restriction des potentialités du réel, la diminution du champ de l’expérience et de sa richesse protéiforme qu’il occasionne. Enfermé dans une logique monologique, restrictive et arbitraire, le contre-type confisque le réel. Car, souvent avec lui, le nom éclipse la fonction, mettant à mal le processus institutionnel, relationnel et social ; il jette un voile opaque sur la réalité dont il étouffe les possibles. Implicitement, le procédé demande donc au lecteur de s’interroger sur les possibilités diverses qu’offrait l’expérience avant qu’elles ne soient réduites à néant par l’apparition du contre-type. Il est bien un élément de sollicitation du public privilégié par Mirbeau afin de peser, à sa manière, sur la réalité sociale en dépit de toutes les résistances.

Le contre-type, par sa récurrence dans les divers textes, par le décalage qu’il entretient entre l’identité de l’individu et ses fonctions, insiste, dans les textes fictionnels, sur la dimension réflexive de la lecture au détriment d’une lecture passive purement esthétique ou de simple consommation. Dans les textes factuels (critiques, comptes rendus, chroniques…), il est un moyen pour l’auteur de baliser le champ du réel grâce à ces véritables marqueurs axiologiques. Le contre-type favorise alors la contamination réciproque des genres factuel et fictionnel dans la mesure où le procédé incarne un élément de la réalité déréalisé par le traitement subi. Compris dans les bornes du réel – dont il émane porteur des valeurs dont l’époque l’aura doté –, mais disponible pour toutes les exagérations de l’auteur grâce à la vacuité qui le définit, le contre-type peut se fondre dans des énoncés ambigus où la frontière entre réalité et invention devient confuse comme dans l’interview imaginaire, par exemple. C’est une des raisons de la prolifération du registre burlesque dans l’œuvre de Mirbeau. Fondé sur le décalage entre grandeur et petitesse, il est tout indiqué pour traiter d’une manière familière un sujet noble et pour permettre la contamination des récits, des chroniques esthétiques, politiques ou sociales, par les silhouettes vaines ou menaçantes, mais toujours signifiantes, des fantoches contre-typiques.

A. V.

 

Bibliographie : Arnaud Vareille, « D’un usage particulier de la caricature chez Mirbeau : le contre-type », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 102-124 ; Octave Mirbeau, « Têtes de Turcs », L’Assiette au beurre, n° 61, 31 mai 1902 ; Octave Mirbeau, L’Affaire Dreyfus, Paris, Séguier, 1991 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, Séguier, 1993 ; Octave Mirbeau, Les Dialogues tristes, Eurédit, 2005 .

 

 

 

 


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