Thèmes et interprétations
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CONTE |
À une époque où la grande presse connaît un essor incomparable, le conte fait partie, avec la chronique et, à degré moindre, les nouvelles à la main (c’est-à-dire des histoires drôles), des ingrédients obligés des quotidiens, confrontés à une concurrence acharnée. Pour eux, en effet, il constitue un moyen de fidéliser leur lectorat en lui offrant un espace ludique et en lui apportant une dose d’émotion ou de gaieté qui les divertisse un moment. Pour la plupart des écrivains de l’époque qui cherchent à vivre de leur plume, le conte est par conséquent une production obligée, non seulement alimentaire, mais aussi utile à leur propre promotion littéraire, pour peu qu’ils s’avisent, à l’instar de Maupassant, de recueillir précieusement en volume leur production de l’année. L’affaire est alors doublement rentable. Tel n’est pas tout à fait le cas de Mirbeau, qui n’a publié en volume qu’une faible quantité de ses contes et nouvelles (voir les notices Lettres de ma chaumière et Contes de la chaumière). À en croire sa correspondance, il rédige ses contes – comme ses chroniques, d’ailleurs – par simple nécessité financière, avec un dégoût certain, et il se débarrasse de la corvée le plus vite possible. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il bâcle, car ce serait évidemment contraire à ses intérêts immédiats comme à sa réputation à construire ou à consolider, ni qu’il se désintéresse des sujets à couler en phrases, car il ne désespère pas de dessiller les yeux d’une partie de ses lecteurs. D’être obligé de produire des contes pour répondre à la demande des rédacteurs en chef des grands quotidiens constitue pour lui une occasion précieuse de faire ses gammes en y traitant des sujets et en y brossant des personnages et des décors auxquels il entend donner des développements dans ses œuvres romanesques à venir : ses contes constituent une manière de réserve d’observations, d’anecdotes, de répliques et de descriptions susceptibles de servir dans des œuvres de plus longue haleine. Cette production obligée va également l’aider à remettre en cause la composition romanesque, et le finalisme qu’elle implique, grâce à la pratique du collage (voir la notice), dont Les 21 jours d’un neurasthénique nous offre une illustration paroxystique, puisque le romancier s’est contenté d’y mettre quasiment bout à bout une cinquantaine de contes précédemment parus dans la presse. Enfin, le conte, par sa brièveté même et par sa publication dans des quotidiens à fort tirage comme Le Journal, présente l’intérêt de toucher un public beaucoup plus vaste qu’un roman. Il importe donc, en un nombre de lignes restreint, de produire sur les lecteurs un effet tel qu’il en incite certains à se poser des questions sur leur vie, sur leur comportement, sur les normes morales en vigueur et sur l’ordre social, auquel ils sont tellement habitués que tout leur semble « normal », voire « naturel ». La cruauté constitue à cet égard un excellent moyen de les toucher fort et durablement, en les obligeant à regarder en face des choses souvent dérangeantes pour leur confort moral, même si Mirbeau est assez lucide pour savoir, d’une part, que seule une frange de son lectorat est vraiment susceptible de basculer dans la contestation ou la révolte et, d’autre part, que le coq-à-l’âne que constitue la lecture d’un journal est fort peu propice à une réflexion prolongée. Voir aussi la notice Contes cruels. P. M.
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