Thèmes et interprétations

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Terme
CYCLISME

Octave Mirbeau a été un des premiers adeptes de la bicyclette, qu’Henry Bauër avait baptisée « la petite reine ». Si l’on en croit son fils, Gérard Bauër, ce dernier « avait réuni en un club tous ceux qui, dans les lettres et les arts, pratiquaient le sport nouveau » et Mirbeau faisait partie des plus assidus, avec Clemenceau, Tristan Bernard, Paul Hervieu, Fernand Vandérem et Alfred Capus, tous membres de l’Artistic Cycle Club : « Le rendez-vous était à l’Étoile. On faisait le tour de Longchamp, et la matinée s’achevait par un déjeuner hebdomadaire dans un chalet-restaurant du Bois, dont le gérant se nommait Cornuché ». Plusieurs lettres de Mirbeau confirment qu’il faisait effectivement de « longues promenades » à bicyclette, tantôt en groupe, tantôt en solitaire, aux alentours de Carrières-sous-Poissy, de Triel, voire de Giverny.

Il ne voyait pas seulement dans la pratique du cyclisme un exercice physique salutaire et un moyen de découvrir le monde plus efficace et rapide que la marche, en attendant sa conversion à l’automobile, mais il en subodorait aussi les potentialités progressistes, et même subversives. Dans sa chronique « Tous cyclistes ! » (Le Journal, 19 août 1894), il rapportait les propos d’un jeune homme naïf et paradoxal, qui prophétisait que « le cyclisme renversera[it] le gouvernement », parce que, selon lui, ce n’est ni un « mouvement éphémère et vague, comme le boulangisme », ni « une concentration d’intérêts artificiels, comme le fut la Ligue des Patriotes » de Déroulède, et que, « fort de sa spontanéité », il sait précisément ce qu’il veut : « Il veut des routes ! Encore des routes ! Toujours des routes ! ». Or, à la différence de tous les systèmes en -isme – « monarchisme, opportunisme, radicalisme, socialisme, etc. » –, qui ne trouvent « pas autre chose que de réinstaurer, sous des mots nouveaux, sous de vaines étiquettes », des « formes condamnées et malfaisantes », il se trouve que  les routes ont « un rôle social » important « dans la destinée des peuples » : elles « sont pour un pays ce qu’est le système musculaire pour le corps humain : la source de toute vie ». Aussi, quand elles « sont mal entretenues, le pays souffre ». Face à « l’abominable incurie » actuelle, qui altère gravement « les relations sociales », les cyclistes, qui sont « bien organisés » et qui représentent une importante « matière électorale », sont donc tout naturellement devenus « une force énorme et qui grandira encore »...

Si le cycliste Mirbeau ne peut qu’approuver les revendications de ce jeune homme exalté, il ne partage pas sa naïveté, et il est même très lucide sur les dangers potentiels présentés par le cyclisme s’il devient un sport. Neuf ans plus tard, alors que vient de se dérouler le premier Tour de France, il met en garde contre une pratique sportive décérébrante dans le quotidien qui vient précisément de l’organiser, L’Auto. À terme, à force de « déformer le corps » et d’« oublier l’intelligence », au lieu d’êtres pensants, on pourrait en arriver à n’avoir plus affaire qu’à « des brutes primitives », voire à « des machines qui tournent à vide et ne produisent rien d’utile ». Mirbeau plaide donc pour une pratique sportive en général, et cycliste en particulier, qui « allie dans une mesure égale et simultanément la force et l’esprit » (« Mens sana... », L'Auto, 2 novembre 1903).

P. M.

 

 


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