Thèmes et interprétations

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Terme
CRUAUTE

Octave Mirbeau est à coup sûr un auteur cruel, et ce n’est évidemment pas par hasard que Jean-François Nivet et moi avons choisi d’intituler Contes cruels le recueil de 150 contes que nous avons publié en 1990. Mais il convient de distinguer plusieurs sortes de cruauté dans son œuvre :

* La cruauté inhérente à la condition humaine, qui est un véritable enfer (voir Enfer et Pessimisme). Mirbeau refuse de se voiler la face devant « l’horreur d’être un homme », comme dit Leconte de Lisle, qu’il aime à citer.

* La cruauté des institutions sociales, qui reposent toutes sur le meurtre (voir le Frontispice du Jardin des supplices, 1899) et l’oppression du plus grand nombre, et dont Mirbeau nous dévoile les dessous monstrueux, camouflés sous des dehors avenants et trompeurs, qu’il appelle des « grimaces » (voir ce mot). La famille, l’école, l’Église, le pouvoir politique, la “Justice”, l’armée, l’administration et, plus généralement, l’État, sont autant de forces coalisées pour écraser l’individu et pour transformer des êtres potentiellement pensants et sentants en de « croupissantes larves » (voir ce mot). Mirbeau n’est pas du genre à se laisser aveugler par les préjugés, le conformisme social et la pensée unique, et, quand il découvre une aberration sociale ou une monstruosité à laquelle personne ne semble faire attention, il crie son indignation haut et fort.

* La cruauté des individus, qui obéissent aveuglément à l’atavique instinct de meurtre, inséparable de l’instinct sexuel, et qui est consubstantiel à toute vie organisée, dans un univers qui est un « crime » et où il faut manger ou être mangé. Même si Rousseau a été une de ses influences marquantes, Mirbeau ne croit pas du tout que l’homme ait été « bon » à l’état de nature et, sous un vernis de civilisation, il voit toujours en l’homme moderne le « gorille féroce et lubrique » dont il est l’héritier.

* Et enfin la cruauté du romancier, du conteur et du chroniqueur, qui met le doigt sur les plaies purulentes de la société, là où cela fait le plus mal, et qui oblige ses lecteurs à « regarder Méduse en face », au risque de déranger leurs paisibles digestions, de distiller le doute dans leurs esprits, de mettre à mal leur confiance naïve dans les valeurs que la société leur a inculquées : Mirbeau est un inquiéteur, un empêcheur de penser en rond, c’est-à-dire de ne pas penser du tout. La cruauté, en l’occurrence, résulte du choc pédagogique produit par la révélation des cruautés de la vie et de la société, qui sont autant de vérités enfouies et fort dérangeantes ; elle est inséparable de son entreprise de désacralisation et de démystification, et l’esthétique de la cruauté que Mirbeau met en œuvre est foncièrement subversive.

Voir aussi les notices Violence, Crime, Meurtre, Sadisme, Enfer, Désacralisation, Démystification, Le Jardin des supplices et Contes cruels.

P. M.

 

Bibliographie : Aurore Bernard, La Cruauté chez Mirbeau, d'après “Le Jardin des supplices” et les “Contes cruels”, mémoire de maîtrise,  Université de Toulouse - le Mirail, 1994, 86 pages ; Christina Chabrier, « Aesthetic Perversion : Octave Mirbeau’s Le Jardin des supplices », Nineteenth-Century French Studies, n° 34, University of Nebraska Press, printemps-été 2006, pp. 355-370 ; Olivia Chan Pit Chu, L'Esthétique de la cruauté dansLe Jardin des Supplices”, mémoire de maîtrise, université de la Réunion, 2004,  165 pages ; Fernando Cipriani,  « Cruauté, monstruosité et folie dans les contes de Mirbeau et de Villiers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 88-108 ; Angela Di Benedetto, Il Vizio della crudeltà – Orrore e fascino del corpore suppliziato tra Fin-de-siècle e Avanguardia, Università degli Studi di Bari, 2003, pp. 103-123 ; André Dinar, Les Auteurs cruels,  Mercure de France, 1942,  pp. 97-110 ; Christopher Lloyd, « Le Noir et le rouge : humour et cruauté chez Mirbeau », in Octave Mirbeau, Actes du colloque international d'Angers de septembre 1991, Presses de l'Université d'Angers, 1992, pp. 235-246 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, préface des Contes cruels, Librairie Séguier, 1990, et Les Belles Lettres, 2000, pp. 7-31 ; Hanan Moukabari, L’Esthétique de la cruauté dans les œuvres narratives d’Octave Mirbeau, thèse dactylographiée, Université de Toulouse-Le Mirail, décembre 1999, 534 pages ; Hannah Thompson, « Savage Poetry : Torture and Cruelty in Mirbeau and Barbey d'Aurevilly », French studies, n° 64, octobre 2010, pp. 410-422.

 

 


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