Thèmes et interprétations

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Terme
DESESPOIR

DÉSESPOIR

 

Le mot « désespoir » peut être entendu dans deux sens différents. Dans un sens négatif, le plus courant, il désigne un état psychique tellement déprimé que l’individu n’attend plus rien de la vie et qu’il peut même être susceptible de recourir au suicide pour mettre un terme à ses souffrances, ou simplement à son taedium vitae. Mais le désespoir peut aussi avoir un sens éminemment positif, celui-là même que lui donne le philosophe André Comte-Sponville, dans son Traité du désespoir et de la béatitude :  pour lui, le désespoir est  le premier pas vers une sagesse matérialiste conséquente, qu’il nomme la « béatitude », c’est-à-dire libérée de toute croyance en une quelconque transcendance, et débarrassée de tous les ger­mes pernicieux d'idéalisme et de spiritualisme, qui empoisonnent encore les esprits et que Mirbeau, précisément, aurait souhaité éradiquer, parce qu’ils empêchent de vivre dans le monde réel et génèrent une kyrielle de souffrances, de conflits et de catastrophes.

Au premier chef, bien sûr, il convient d’éliminer l’idéalisme archaïque des anciennes religions aliénantes et culpabilisantes, tout juste bonnes pour des « pensionnaires de Charenton » aux yeux du jeune Octave. Mais il faut aussi faire la chasse à l’idéalisme camouflé sous des apparences de matérialisme scientifique, succédané laïcisé des vieilles religions, qui se révèle, à l’expérience, tout aussi dangereux : celui des scientistes, toujours prêts, au nom de la science, à expérimenter les inventions les plus dommageables pour l’humanité ; et celui des rêveurs d’utopies politiques et des vendeurs d’orviétan révolutionnaire, partisans du collectivisme ou de la « propagande par le fait », pour qui c’est hic et nunc qu’il convient de concrétiser les espérances et qui sont résolus à justifier tous les moyens au nom de fins supposées émancipatrices.

Pour Mirbeau, sous quelque forme qu’il soit accommodé à l’usage du bon peuple, l'espoir, qui, selon la sagesse des nations, est supposé faire vivre, n’est en réalité  qu'« un opium », comme il l'écrivait en 1897 à propos de sa tragédie proléta­rienne Les Mauvais Bergers (« Un mot personnel », Le Journal, 19 décembre 1897). Car l’espoir constitue bien souvent une véritable politique de l’autruche, il interdit de regarder Méduse en face, et de se rendre compte, par exemple, que l’univers est « un immense, un inexorable jardin des supplices », ou bien que ce qu’il est convenu d’appeler “l’amour”, chanté sur tous les tons et idéalisé dans toutes les langues, n’est en réalité qu’une grossière illusion,  quand il n’est pas une horrible torture.

Au contraire de la vulgaire croyance et de l'aveugle espérance, qui ne sont que duperie à la portée de toutes les intelligences, le désespoir est une forme d’action et implique une force d’âme, puisqu’il suppose un refus préalable de tous les préjugés inculqués au fil des ans et qui sont enracinés dans l’environnement. La lucidité du désespéré le pousse à désenchanter l’univers une bonne fois pour toutes et à prendre le risque de « désespérer Billancourt », comme on dira plus tard, pour mieux contribuer à l’émancipation des souffrants de ce monde, exploités et aliénés par les « mauvais bergers » de toute obédience, qui diffusent un nouvel opium du peuple.

Voir Matérialisme, Athéisme, Méduse, Anarchisme et Scientisme.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Presses Universitaires d’Angers / Société Octave Mirbeau, 2001, 110 pages. 


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