Thèmes et interprétations

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Terme
DERISION

La dérision est l’une des armes préférées de Mirbeau pour désacraliser et démystifier les hommes respectés, que ce soit pour leur pouvoir, leur richesse ou leur réussite, les institutions sacralisées, telles que l'Armée ou l'Institut, l'Église ou la “Justice”, et les fausses valeurs consacrées, telles que le patriotisme ou les décorations, le suffrage universel ou les millions d'Isidore Lechat. Elle tend à les faire apparaître sous un jour nouveau, grotesque et risible, qui les discrédite radicalement. Elle contribue ainsi à fissurer leur façade de respectabilité, qui aveugle les naïfs et qui les amène, contre leur propre intérêt, à se soumettre aveuglément. En recourant à la dérision, Mirbeau tente de réduire ses ennemis à leur « minimum de malfaisance », comme il l’écrit de l’État, en interdisant qu’on puisse leur accorder la moindre confiance ou leur reconnaître le moindre prestige.

Alors que la totale subjectivité de l'œuvre mirbellienne suppose, à des degrés divers, l'adhésion, voire l'identification, du lecteur au narrateur ou au chroniqueur, et, à l'occasion, n'exclut pas le recours à la sensiblerie, moyen efficace de toucher les cœurs pas trop endurcis, la dérision exclut toute identification et tout effet larmoyant. Elle implique au contraire la distanciation, obtenue par l'ironie ou par l'humour, avec une prédilection pour l'humour noir ou grinçant. C'est à l'esprit des lecteurs que s'adresse Mirbeau, qui a la volonté affichée de les obliger à exercer leur liberté de jugement et à prendre position. Non pas en se soumettant moutonnièrement aux idées toutes faites dont on les matraque depuis des décennies, mais sur la base de faits sur lesquels ils peuvent jeter un œil neuf et qui constituent autant de révélations pour eux.

Chez Mirbeau, le procédé de la dérision prend des formes étonnamment modernes : l’interview imaginaire, qui permet, en toute ingénuité, de faire déballer aux puissants de ce monde des insanités ou des monstruosités ; l’éloge paradoxal, où l’on prend le contre-pied des valeurs admises en faisant semblant de trouver bon ce qui est évidemment absurde ou monstrueux ; et l’incongruité caractérisée, qui choque l’esprit et oblige à réfléchir. Mirbeau recourt systématiquement à la dérision dans toutes ses chroniques polémiques, notamment dans ses articles parus dans L’Aurore pendant l’affaire Dreyfus (voir par exemple l’hilarant « À cheval, Messieurs », 5 janvier 1899), mais aussi dans ses Farces et moralités. Ainsi, les conseillers municipaux de L'Épidémie (1898) nous donnent-ils l’image de fantoches grotesques et foireux, qui, dans leur criminel égoïsme de classe, sont tout prêts à sacrifier les pauvres et les soldats tant qu'eux-mêmes ne se sentent pas menacés par la typhoïde ; quant aux deux amoureux mondains et bêlants des Amants (1901), ils nous apparaissent comme de lamentables larves balbutiantes, dont les dérisoires borborygmes désacralisent complètement l'amour.  

Voir aussi les notices Démystification, Désacralisation, Humour, Ironie, Paradoxe, Interview imaginaire, Respectabilité,  Grimace, Farce et Farces et moralités.

P. M.


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