Thèmes et interprétations

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Terme
FETICHISME

Le fétichisme sexuel consiste à fixer son désir sur une partie du corps (cheveux, pied) ou sur un accessoire (chaussures, gants) et à parvenir à l’orgasme sans avoir besoin de faire l’amour avec la personne objet du désir. L’objet transitionnel, qui n’était qu’un moyen, est alors devenu une fin et se suffit à lui-même. Selon la vulgate freudienne, qui y voit une perversion sexuelle, l’origine du fétichisme sexuel serait à chercher du côté de l’angoisse de la castration : lorsque le petit garçon découvre par hasard que sa mère n’est pas dotée de pénis comme lui, il ferait un transfert sur un objet inanimé, qui serait une manière de substitut du phallus  manquant de la femme...

Dans le premier chapitre du Journal d’une femme de chambre (1900), un maître de la chambrière Célestine, M. Rabour (“à rebours” ?), se trouve être fétichiste, et, dans son adaptation cinématographique, Luis Buñuel a accordé une place de choix à cet épisode. Lors de sa première entrevue avec son nouveau maître, Célestine, qu’il a décidé d’appeler Marie, a la surprise de lui entendre dire : « “C'est moi qui les cirerai vos bottines, vos petites bottines, vos chères petites bottines... C'est moi qui les entretiendrai... Écoutez bien... Chaque soir, avant de vous coucher, vous porterez vos bottines dans ma chambre... vous les placerez près du lit, sur une petite table, et, tous les matins, en venant ouvrir mes fenêtres... vous les reprendrez.” [...] / Il s'agenouilla, baisa mes bottines, les pétrit de ses doigts fébriles et caresseurs, les délaça... Et, en les baisant, les pétrissant, les caressant, il disait d'une voix suppliante, d'une voix d'enfant qui pleure : / — Oh ! Marie... Marie... tes petites bottines... donne-les moi, tout de suite... tout de suite... tout de suite... Je les veux tout de suite... donne-les moi... /  [...] Des yeux de Monsieur, je ne voyais que deux petits globes blancs, striés de rouge. Et sa bouche était tout entière barbouillée d'une sorte de bave savonneuse... / Enfin, il emporta mes bottines et, durant deux heures, il s'enferma avec elles dans sa chambre... [...] / Quatre jours après, le matin, à l'heure habituelle, en allant ouvrir les fenêtres, je faillis m'évanouir d'horreur, dans la chambre... Monsieur était mort !... Étendu sur le dos, au milieu du lit, le corps presque entièrement nu, on sentait déjà en lui et sur lui la rigidité du cadavre. Il ne s'était point débattu. Sur les couvertures, nul désordre ; sur le drap, pas la moindre trace de lutte, de soubresaut, d'agonie, de mains crispées qui cherchent à étrangler la Mort... Et j'aurais cru qu'il dormait, si son visage n'eût été violet, violet affreusement, de ce violet sinistre qu'ont les aubergines. Spectacle terrifiant, qui, plus encore que ce visage, me secoua d'épouvante... Monsieur tenait, serrée dans ses dents, une de mes bottines, si durement serrée dans ses dents, qu'après d'inutiles et horribles efforts je fus obligée d'en couper le cuir, avec un rasoir, pour la leur arracher. » Pour Emily Apter, classiquement freudienne, les bottines de Célestine sont le signe du phallus maternel castré et M. Rabour, « agit entièrement dans le domaine du simulacre, engendrant une copie ou un succédané d’un phallus à la place d’un original qui n’a jamais existé ».

Au-delà de cet épisode célèbre, où il décède le caractère central de la castration et de la perte chez le romancier, Robert Ziegler généralise à toute l’œuvre de Mirbeau, où il étudie le thème de la perte et de la préservation : si, en tant qu’anarchiste, il insiste tant sur la réalité traumatisante de la castration et du deuil, qui est pour lui, à la différence du fétichiste, une source de créativité, c’est pour mieux faire ressentir le désordre de la réalité, dans l’espoir de pouvoir un jour faire table rase de tous les textes, dans une société utopique : « Alors qu’une bonne partie de son œuvre fictionnelle défétichise les objets culturels qui se substituent à une absence ressentie et la masquent, le dessein utopique de ses œuvres est la destruction de textes dont la disparition signifierait l’établissement d’une société saine et harmonieuse, guérie de la tyrannie, du militarisme, de l’inégalité, de la superstition et de la cupidité. »

P. M.

 

Bibliographie : Emily Apter, « Fétichisme et domesticité : Freud, Mirbeau et Buñuel », Poétique, n° 70, avril 1987, pp. 143-166, et Amer - Revue finissante, n° 2, mai 2008, pp. 59-75 ; Emily Apter, Feminizing the Fetish - Psychoanalysis and Narrative obsession in Turn-of-the-Century France, Cornell University Press, Ithaca, 1991, pp. 152-173, 192-209 et 244-249 ; Robert Ziegler, « Object loss, fetishism and creativity in Octave Mirbeau », Nineteenth Century French Literature, volume 27, n° 3-4, printemps-été 1999, pp. 402-414 ; Robert Ziegler, « Fetishist Art in Mirbeau’s Le Journal d’une femme de chambre », site Internet de la Société Octave Mirbeau, 2005 ; Robert Ziegler, « Fetish and Meaning : Le Journal d’une femme de chambre », in The Nothing Machine - The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, 2007, pp. 133-148.


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