Thèmes et interprétations

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Terme
IRONIE

Octave Mirbeau use et abuse, semble-t-il, dans des chroniques littéraires de ces mots : « ironique » et « ironie ». À propos de Barrès devenu député, il lui prête « l’ironique espoir » d’observer l’homme à partir d’une position stratégique ; d’un livre de Paul Hervieu, L’Exorcisée, il dit qu’il est « tendre », « ironique », « douloureux à la fois » ; à propos d’une description de la Rome d’Héliogabale dans un livre de Jean Lombard, L’Agonie, il parle d’une « colossale et fracassante et ironique folie ». Octave Mirbeau salue « l’admirable ironie » de Daudet, il parle de la « très particulière ironie » de Robert de Montesquiou, qui « a quelquefois l’émoi d’un sanglot » ; de l’ironie « charmante et vive » de Jules Huret à l’égard des écrivains dont il rapporte les propos dans L’Enquête sur l’évolution littéraire (« C’est évidemment le plus ironique monument qu’on ait élevé à la bêtise littéraire, la pire de toutes les bêtises », août 1891) ; de la passion de Félix Fénéon pour les questions d’art et de littérature « atténuée de quelque ironie ». Pour Mirbeau L’Ève future de Villiers de l’Isle Adam contient de « presque sublimes ironies »… Les mots « ironique » et « ironie » sous la plume de Mirbeau sont entendus comme un hommage à la qualité d’une écriture, à la façon dont tel ou tel écrivain appréhende le monde. Les écrivains cités appartiennent à une fraternité d’ironistes, ils côtoient des rêveurs, des poètes, des fous même, ils sont aux antipodes de ces opportunistes infatués d’eux-mêmes qui se préoccupent de leurs seuls intérêts et sont bien peu attentifs à la douleur du peuple et aux beautés de l’art.

Mirbeau lui-même a recours à l’ironie dans des articles de presse, des nouvelles, des romans. Dans « Les Beautés du patriotisme » (Le Figaro, 18 mai 1891), un article rédigé pour servir la cause de Remy de Gourmont, il met en scène des défenseurs de la Revanche, des acteurs de la Ligue des patriotes : les propos qu’il leur prête sont cohérents dans leur dimension obsessionnelle. En procédant ainsi il entre en connivence avec ses lecteurs pour les amener à réfléchir. Dans telle page du Jardin des supplices, il propose un dialogue entre un candidat à la députation et un ministre : tous deux, sous couvert de servir la France, ne songent qu’à leurs intérêts. Dans une nouvelle, « Un point de vue », un homme corrompu plaide sa bonne foi face à un juge. Ici et là, en particulier dans des entretiens imaginaires dont il maîtrisait la rédaction, Mirbeau laisse sourdre une ironie dénonciatrice afin d’exposer une satire sociale, une critique de tel ou tel groupe partisan ; « égratignant les uns, ironisant sur les autres », « Daumier du journalisme », selon J.-F. Nivet, Mirbeau ne transige pas sur ses convictions. Il n’a pas recours à l’injure, mais à la raillerie à l’égard de ceux qu’il combat, il met dans la bouche de ses adversaires des propos excessifs jusqu’à l’écœurement. En écrivant il poursuit des conversations passionnées dans lesquelles les paradoxes fusent, les anecdotes ouvrent des perspectives inattendues, la mise au pilori d’attitudes abjectes, de comportements étroits est allègrement assumée. L’ironie, comme sous la plume de Voltaire, a pour objet de conquérir les intelligences et les cœurs des lecteurs de façon à les détourner de divers conformismes et de diverses adhésions qui trop souvent en font des moutons de Panurge.

À côté de l’ironie dénonciatrice, il est une autre ironie, l’ironie tendre – « c’est par elle qu’on atteint au très grand art, voyez Laforgue et Villiers... », écrit-il à Jules Huret. Cette ironie est une sœur de la compassion face à la souffrance, en soi et hors de soi, afin de pouvoir prendre de la distance vis-à-vis d’elle et la nommer à l’adresse des lecteurs, sans tomber dans la sensiblerie.

Voir aussi les notices Ironie de la vie, Humour noir, Dérision, Éloge paradoxal et Interview imaginaire.

G. P.

 

Bibliographie : Anna Jodłowiec, L'Ironie dans “Le Journal d'une femme de chambre” d'Octave Mirbeau, mémoire de maîtrise dactylographié, université de Wroclaw, juin 2010, 75 pages ; Octave Mirbeau, Combats littéraires, L’Âge d’homme, Lausanne, 2006 ; Pierre Schoentjes, « Ironie et anarchie : de l’esthétique à l’éthique », in Silhouettes de l’ironie, Droz, Genève, 2007, pp. 209-224 ; John Walker, L'Ironie de la douleur - L'Œuvre d'Octave Mirbeau, thèse dactylographiée, Université de Toronto, 1954, 514 pages.

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