Thèmes et interprétations

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Terme
NOTAIRE

Mirbeau est doublement petit-fils de notaire et, si son père lui a fait suivre des études de droit, c’est dans l’espoir qu’il prenne un jour la succession de Me Robbe (voir ce mot), le notaire de Rémalard. Malheureusement pour Ladislas Mirbeau, le jeune Octave avait bien d’autres ambitions et la brillante carrière qu’on lui laissait entrevoir ne lui inspirait qu’un profond « dégoût » et ne laissait entrevoir qu’un avenir d’un incommensurable « ennui » : « J’avais rêvé autre chose, mais enfin, je vais troquer ce rêve contre les panonceaux. Je ne puis m’empêcher de rire quand je prononce ce mot : notaire ! Cela évoque tant d’idées ridicules, tant de bêtise ventrue. Notaire ! ! ! Eh bien oui, je vais me fourrer le cou dans la cravate blanche, et l’esprit dans une liquidation. C’est affreux ! » Et, de fait, il n’aura plus qu’une envie : c’est de fuir le « cercueil notarial » de  Me Robbe, où il folâtre « comme un insecte empaillé ».

Cette horreur du notariat semble être double.

* D’un autre côté, il y a tout ce que représente symboliquement le notaire, comme Mirbeau aura l’occasion de le développer dans Dingo (1913) : « Dans les petits pays, et aussi dans les grands – mais surtout dans les petits –, le notaire est toujours populaire. Il représente quelque chose de plus qu’un homme, quelque chose de plus qu’une institution; il représente les champs, les prairies, les bois, les moissons et les maisons ; il représente l’héritage, le mariage; il représente l’argent; il représente la propriété, enfin… Il unit la terre à la terre, l’argent à l’argent, transmet la terre et l’argent de l’un à l’autre, d’une famille à l’autre famille, du mort au vivant et il fait fructifier l’argent pour ensuite le changer en terres, donnant à l’argent plus d’argent que n’en donne l’État. C’est une sorte de providence panthéistique, de divinité mythologique et locale. Et son étude, remplie de cartons poussiéreux et de vénérables paperasses, est un temple vers quoi convergent tous les intérêts, tous les désirs, toutes les espérances, toutes les passions, tous les crimes secrets d’un petit pays. » Bref, l’incarnation de l’Argent et de la Propriété n’a que fort peu de chances d’agréer à un anarchiste en révolte tel que Mirbeau.

* De l’autre, il y a la représentation des notaires en tant qu’incarnations du bourgeois ventripotent, imbu de son importance, impitoyable en affaires et, par-dessus le marché, arnaqueur des naïfs, à la faveur de sa maîtrise d’une langue hermétique au commun des mortels et qui inspire paradoxalement confiance aux paysans, comme Mirbeau l’explique dans Dingo: « Méfiants envers leurs pères, leurs mères, leurs enfants et envers eux-mêmes, méfiants envers les animaux et les choses et envers l’ombre des choses, les paysans accordent au notaire une confiance illimitée. Cette confiance, constitutionnelle, congénitale, rien ne l’ébranle, ni les disparitions, ni les fuites, ni les catastrophes. Ruinés par celui qui est parti, ils se mettent aussitôt en devoir de se faire ruiner par celui qui arrive. Outre ce symbole merveilleux de la propriété qu’incarne dans les campagnes un notaire, il incarne encore un autre prodige non moins merveilleux, par où se révèlent mieux encore la divinité de son origine et la toute-puissance de ses surnaturelles fonctions : il écrit et il parle un jargon mystérieux, à quoi personne ne comprend jamais rien… »  

Nombreux, dans les récits de Mirbeau, sont donc les notaires antipathiques, misonéistes, trouillards, dépourvus d’humanité, à l’instar de M. Bernard, dans « La Mort du chien », voire possédés par « la manie de tuer », tel le père de Jean Mintié, dans Le Calvaire : « excellent homme, très honnête et très doux », il « ne pouvait voir un oiseau, un chat, un insecte, n’importe quoi de vivant, qu’il ne fût pris aussitôt du désir étrange de le détruire. » Fréquent aussi est le type du tabellion incapable de résister à la tentation de se  carapater avec les économies de ses clients, notamment dans Dingo, où les villageois ruinés n’en sont pas moins prêts à recommencer l’expérience avec le successeur, non moins véreux, avec l’issue prévisible... Dans La 628-E8 (1907), Mirbeau évoquait déjà « ces gais notaires de nos provinces économes, ces financiers bons enfants de la rue Lepelletier qui, actuellement, au Dépôt, à Gaillon, à Poissy, à Clairvaux, se reprochent amèrement de n’avoir pas su mettre au point – au point légal – ces dangereuses opérations de l’abus de confiance et du faux », mais qui peuvent tout de même se consoler de leur incarcération en pensant à leurs confrères, apparemment moins malchanceux, mais qui, les malheureux, sont condamnés à végéter à Bruxelles, ce qui est encore bien pire que la nouvelle prison « humanitaire » de Fresnes, « la première prison où l’on cause »...

P. M.

 

 

 


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