Thèmes et interprétations

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Terme
OPERA

Le mot opéra est ambivalent, puisqu’il peut désigner à la fois un genre musical et théâtral et le lieu, notamment à Paris, où l’on présente ce type de spectacle.

Octave Mirbeau ne semble pas avoir été un véritable fervent de l’opéra, ni du genre, ni du lieu. D’une manière générale, en comparaison de la peinture, la musique n’a tenu qu’une place mineure dans sa vie et dans les combats esthétiques qu’il a menés, et les nombreuses années qu’il a passées loin de Paris n’ont pu que limiter considérablement sa fréquentation de l’Opéra de Paris ou de l’Opéra-Comique. La médiocrité des compositeurs et librettistes français, fournisseurs des œuvres le plus souvent mises en scène, n’était pas non plus de nature à susciter son assiduité, hors les quelques années où il a été officiellement chargé de la rubrique des spectacles dans L’Ordre de Paris, puis, en 1883, dans Paris-Midi Paris-Minuit et Les Grimaces. Il n’est pas sûr non plus que le genre du grand opéra, avec ses conventions et sa grandiloquence, ait été vraiment de nature à enthousiasmer le grand démystificateur et l’auteur des Farces et moralités. Et puis, surtout, il est douteux que l’habitude des élites mondaines et friquées, qu’il exècre, de venir moutonnièrement assister, dans cet « établissement de luxe », à des spectacles musicaux où il s’agit de s’exhiber et de se retrouver entre gens du même monde beaucoup plus que d’écouter de la musique et de se laisser émouvoir, ait suscité chez lui l’envie de retrouver ces peu ragoûtants spécimens d’humanité à chaque première : l’opéra est, à l’époque, un spectacle d’élite, qui s’adresse aux mondains et snobs en tous genres, avides de se distinguer, beaucoup plus qu’aux véritables amateurs de musique, qui n’en ont que bien rarement les moyens, sans même parler, a fortiori, du bon peuple, qui n’y a jamais accès pour des raisons évidentes de culture autant que d’argent. Comme l’écrit Mirbeau, « l’Opéra est un endroit de réunion élégante pour un certain milieu social qui peut payer, 34 000 francs par an, le droit de se montrer en habit noir et en robe décolletée, trois fois par semaine » (« L'Opéra », Le Gaulois, 17 mai 1885).

Néanmoins il a suffisamment fréquenté les deux Opéras, et il a aussi suffisamment d’oreille et de goût, pour ne pas mettre toutes les œuvres et réalisations dans le même sac. Il est donc apte à faire le départ entre :

* D’un côté les productions quelconques (le Dimitri de Victorin Joncières, par exemple, L’Ordre de Paris, 10 mai 1876), inintéressantes (Le Timbre d’argent, de Saint-Saëns, L’Ordre de Paris, 14 décembre 1876), ou consternantes (les œuvres d’Auguste Mermet, d’Hervé, de Lacôme, d’Edmond Audran ou de Victor Massé, qu’il exécute dans ses chroniques de L’Ordre), ou encore largement surestimées, à l’instar du Faust de Gounod, qualifié de « prétentieuse et plate opérette » (« César Franck et Monsieur Gounod », Le Journal, 27 décembre 1896) ;

* Et, de l’autre, les chefs-d’œuvre : ceux du passé, par exemple Don Giovanni, francisé en Don Juan (L’Ordre de Paris, 7 décembre 1875), ou le Freischütz de Weber (ibid., 10 juillet 1876) ; ou ceux du présent : Carmen, Aida, « un chef-d’œuvre, un pur chef-d’œuvre » (L’Ordre de Paris, 25 avril 1876), ou Les Contes d’Hoffmann (Le Gaulois, 8 octobre 1880), ou, plus surprenant, l’Henri VIII, de Camille Saint-Saëns (« Coulisses », Paris-Midi Paris-Minuit, 6 mars 1883), et, plus tard, Pelléas et Mélisande, de Debussy, en 1902 (« Maurice Maeterlinck », Le Journal, 27 avril 1902), ou Salomé, de Richard Strauss, en 1907 (« Notes sur Salomé »).

Reste que le jugement d’ensemble pour l’Opéra de Paris est si sévère qu’il en arrive à souhaiter carrément qu’on le ferme, après le décès de son directeur Vaucorbeil : « étant donné ce qu’est devenu l’Opéra, ce qu’il nous apporte  de pauvres spectacles pour les yeux et pour les oreilles, étant donné surtout que l’Opéra ne peut être autrement qu’il n’est, qu’il ne doit, quoi qu’on fasse et quelques génies qui s’élèvent, jouer d’autres œuvres que La Favorite, Les Huguenots et Hamlet », mais vu que, de l’avis général, il en faudra de toute façon un, « au moins dans l’avenir », alors « gardons l’Opéra, avec ses défauts et ses hideurs, mais fermons-le » (« Fermez l'Opéra », Le Gaulois, 17 novembre 1884). Cela ne nuirait aucunement aux « vrais dilettantes » qui ne « demandent à l’Opéra que des jouissances d’art pur » et qui, du coup, auraient toute latitude pour créer un théâtre lyrique « moins ruineux » et où ils auraient « peut-être la chance d’entendre de la bonne musique ». À défaut, vu le déficit de cette institution culturelle de grand luxe, il faudrait « mettre l’Opéra en régie », c’est-à-dire confier les cordons de la bourse à l’État  (« L'Opéra », loc. cit.).

Voir aussi les notices Opérette, Wagner, Gounod, Saint-Saëns et Chroniques musicales.

P. M.



Bibliographie : Octave Mirbeau, « Fermez l'Opéra », Le Gaulois, 17 novembre 1884 ; Octave Mirbeau, « L'Opéra », Le Gaulois, 17 mai 1885.


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