Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
PORNOGRAPHIE

Si l’on se réfère à l’étymologie du mot, le terme de « pornographie » devrait être réservé aux œuvres qui traitent de la prostitution. Or, s’il est vrai que Mirbeau s’est vivement intéressé à la prostitution (voir par exemple L’Amour de la femme vénale) et qu’il évoque la galanterie dans Le Calvaire et les rabatteuses du sexe dans Le Journal d’une femme de chambre, il n’a pas pour autant consacré de roman à ce sujet, qui est un topos de l’époque, et en particulier du roman naturaliste. Mais le mot de « pornographie » a pris depuis plus d’un siècle un sens nouveau et désigne désormais l’exploitation, dans un livre ou un film, de représentations considérées comme obscènes, au premier chef dans le domaine du sexe, et jugées répréhensibles au regard de la « morale » en vigueur. Mais, en l’absence de définition claire de cette prétendue « morale », l’accusation de pornographie lancée contre des écrivains tels que Mirbeau, surtout pour ses deux romans les plus célèbres, Le Jardin des supplices (1899) et Le Journal d’une femme de chambre (1900), est éminemment arbitraire. Pour la désamorcer, il tourne en dérision les prétextes invoqués : « Tout ce que les psychologues les plus profonds ont pu comprendre jusqu’ici, c’est que l’immoralité est plus spécialement visible et plus intimement délictueuse dans la nudité, et seulement dans la nudité de la femme… Pourquoi l’homme nu n’est-il pas immoral ?… On l’ignore… Mais il ne l’est point… Et ce qu’on ignore encore plus, c’est ceci : Nous avons des musées et des jardins publics, dont nous sommes très fiers, et où se trouvent, dans les musées, des tableaux, et, dans les jardins, des statues… Il arrive que ces tableaux et ces statues représentent des femmes nues… Il est permis, il est décent, il est même extrêmement moral et instructif que nous allions au Louvre et que nous y admirions ces personnes nues, que nous nous promenions dans les jardins et que nous nous régalions l’œil au spectacle des statues nues… Non seulement cela est moral, cela est gratuit… Mais si ces mêmes personnes nues du Louvre, et ces mêmes statues nues des Tuileries, nous nous avisons de les reproduire, par le dessin, dans un journal, elles deviennent, subitement et mystérieusement, immorales… et, nous, nous tombons sous le coup des lois… Voilà une chose qu’il serait important d’élucider… (« Le Secret de la morale », Le Journal, 10 mars 1901).

Quand, en 1899, un magistrat de Bruges fait saisir les exemplaires du Jardin des supplices, il l’interpelle et s’interroge ironiquement sur ses raisons : « Nous en sommes réduits à de simples conjectures. La Ligue contre la licence des livres, qui le dénonça au Parquet, et le Parquet, qui s’empressa d’obéir aux injonctions de la Ligue, ont sans doute pensé que ça manquait de gravures obscènes. Sans doute qu’ils ont jugé aussi que l’obscénité du livre – puisque obscénité il y a – en était trop triste et trop douloureuse, et qu’il ne pouvait servir de livre de chevet à ces braves messieurs, à ces vieux messieurs de la Vertu, de la Loi et de la Morale. Il faut à leur sénilité amoureuse d’autres ragoûts de luxure et de plus rouges piments. Du reste, dans un pays gouverné par un roi si vertueux [Léopold II] [...],  il est juste qu’on persécute une œuvre qui n’avait qu’une prétention, celle d’évoquer des formes de la douleur et de la pitié. [...] Est-ce donc de la pornographie, de l’excitation à la débauche, de montrer, dans leur horreur et dans leur douleur, ces crimes que vous protégez, toi, ta Justice et ta Loi ?... Est-ce que tu ne permets pas aux savants, aux médecins, aux physiologistes, d’étudier ces maladies, de sonder ces plaies de l’amour ?... Est-ce que tu vas, dans leurs laboratoires, saisir leurs bistouris, leurs cornues et leurs livres, et les offrir en holocauste, à la vertu bourgeoise outragée par eux ? Alors, pourquoi saisis-tu mon livre ? [...] Les savants, les médecins, renfermés dans leur sphère d’action, se bornent à chercher, dans la thérapeutique des remèdes souvent illusoires. Nous, c’est dans la société, dans une société refaite plus harmonique aux besoins de la vie, retrempée aux sources éternelles de la nature, que nous allons les chercher, ces remèdes, et peut-être, ces guérisons !... »  (« À un magistrat », Le Journal, 31 décembre 1899). Son système de défense repose donc sur deux arguments majeurs : d’une part, la sexualité qu’il évoque est infiniment plus douloureuse qu’érotique, comme dans la vie réelle, à la différence des romans à l’eau de rose ou des romans réellement pornographiques, qui baignent dans un optimisme mensonger ; d’autre part, les passages condamnés au nom de l’hypocrite « morale » s’inscrivent dans le cadre d’une thérapie sociale qu’il est du devoir de l’écrivain de proposer, puisque c’est la société qui est malade et qu’il convient donc de la soigner.

Voir aussi les notices Sexualité, Prostitution, Morale et Obscénité.

P. M.

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL