Thèmes et interprétations

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Terme
PITIE

Le mot « pitié » est affectionné par Mirbeau, mais peut prêter à confusion. Car il ne désigne pas seulement la commisération que l’on éprouve devant les misères d’autrui et qui, chez beaucoup de gens, peut se satisfaire à bon compte par un acte symbolique de charité – cette charité que Mirbeau exècre et s’emploie précisément à démystifier. Bien sûr, il existe nombre de cas particuliers de misères humaines qui suscitent en lui une vive sympathie – terme qu’il faut alors entendre au sens littéral, impliquant une souffrance partagée ; il s’évertue alors à les soulager avec les moyens dont il dispose, et pas seulement avec sa bourse, dont il est très généreux. Mais, plus généralement,  le terme de « pitié » désigne, chez lui, la solidarité avec tous « les misérables et souffrants de ce monde » auxquels il a « donné son cœur », selon le mot d’Émile Zola. Dans cette acception, la pitié est inséparable de la Justice, car affirmer sa solidarité avec toutes les victimes des multiples injustices sociales, c’est du même coup affirmer des exigences de Justice qui n’ont rien à voir avec la simple charité telle qu’elle est pratiquée par « les heureux », histoire de s’acheter une bonne conscience. Par opposition à la « morale » des dominants, à géométrie variable, et à leur hypocrite charité, la pitié relève de l’éthique et du sens de la justice.

À la fin de son célèbre article sur Ravachol, dans L’Endehors du 1er mai 1892, Mirbeau pronostique que la « bombe » qui fera crouler « le vieux monde sous le poids de ses propres crimes » sera « d’autant plus terrible qu’elle ne contiendra ni poudre, ni dynamite », mais « de l’Idée et de la Pitié : ces deux forces contre lesquelles on ne peut rien ». Accolée ainsi à l’Idée, que l’intellectuel libertaire qu’il est essaie de faire germer dans des cerveaux rétifs, dans l’espoir de contribuer à susciter chez eux une réaction et d’en faire des citoyens actifs et exigeants, la Pitié apparaît clairement comme potentiellement subversive. Car, dans une société darwinienne où domine l’égoïsme, où les plus forts et les moins scrupuleux l’emportent toujours, et où la lutte pour la vie est un impératif de survie, la pitié, qui traduit la priorité accordée aux plus faibles et aux plus pauvres, est, au mieux, jugée naïve et contre-productive, et, au pire, considérée comme politiquement dangereuse.

Voir aussi les notices Morale, Éthique, Charité, Engagement et Intellectuel.

P. M.


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