Thèmes et interprétations

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Terme
SOCIETE DU SPECTACLE

Octave Mirbeau est un des premiers à avoir pourfendu la société du spectacle, et ce dès 1882, alors qu’il n’était pas encore maître de sa plume et travaillait encore pour divers maîtres et commanditaires : en effet, dans son célèbre article à scandale sur « Le Comédien » (Le Figaro, 26 octobre 1882), il dénonce déjà avec virulence la maladie dont souffre la société bourgeoise décadente et dont le culte rendu aux comédiens n’est jamais que le symptôme le plus éclatant : « Plus l'art s'abaisse et descend, plus le comédien monte. [...] Aujourd'hui, le comédien est tout. C'est lui qui porte l'œuvre chétive. Aux époques de décadence, il ne se contente pas d'être le roi sur la scène, il veut aussi être roi dans la vie. »

Mais il n’y a pas que la cabotinocratie qui révèle les « décompositions » sociales contre lesquelles vitupère un pamphlétaire, encore à gages, mais qui va très bientôt, pour son propre compte, généraliser sa critique à l’ensemble du corps social, où toutes les personnalités sont perpétuellement en représentation pour séduire et tromper les hilotes baptisés“citoyens”. Dans une société où tout marche sur la tête, où les pires folies sont considérées comme raisonnables, cependant que les écrivains de génie tels que Tolstoï passent pour des fous (voir « Un fou », Le Gaulois, 2 juillet 1887), c’est la médiatisation à outrance, rendue possible par la diffusion massive de la presse de désinformation et de crétinisation, qui contribue à transformer en spectacles dévirilisants et anesthésiants offerts au bon peuple toutes les institutions et pratiques sociales abusivement respectées :

* La politique n’est qu’un théâtre, les politiciens en campagne ne sont que des comédiens caméléons, tels que le marquis de Portpierre des 21 jours d’un neurasthénique (1901) ou Amblezy-Sérac d’Un gentilhomme, et les élections ne sont qu’une comédie bouffonne que l’on donne ad usum populi.

* La “Justice” n’est qu’un théâtre d’ombres, où des « monstres moraux » appliquent, impitoyablement et en grande cérémonie, une législation à deux vitesses et envoient à l’échafaud ou au bagne des individus qui sont généralement plus victimes que coupables. Dans ce pays hautement civilisé que prétend être la France, les sanglantes exécutions capitales sont devenues un spectacle aussi recherché que dans la Chine « barbare », et les fêtards et les gens de la haute sont prêts à payer fort cher les meilleures places.

* Dans le domaine culturel, la comédie est la même : les Salons annuels des beaux-arts ne sont qu’une « grande foire aux médiocrités grouillantes et décorées », mais ils n’en détermine pas moins la hiérarchie esthétique à respecter et les commandes de l’État à passer aux artistes ; les soporifiques séances de l’Académie Française continuent d’attirer les badauds comme si l’esprit soufflait sur cette « vieille sale » ; et les premières théâtrales des pires âneries constituent un événement mondain où il est de bon ton de se montrer.

* Ce qu’il est convenu d’appeler « l’amour » n’est le plus souvent qu’une grotesque ou odieuse comédie que les amoureux, ou supposés tels, se jouent l’un à l’autre (voir notamment Les Amants, 1901).

* Quant au “monde” immonde, dont les dessous sont si peu ragoûtants, il se donne à voir dans des festivités courues et enviées et dans les rubriques mondaines des grands quotidiens, comme si les faits et gestes des nantis étaient d’une essence supérieure et hautement respectable et devaient intéresser le lecteur moyen, tout éberlué.

Pour nous révéler le theatrum mundi dans toute son horreur nauséeuse, Mirbeau nous introduit dans les coulisses où se préparent les acteurs avant d’entrer en scène et dans les arrière-cuisines où se mijotent les plats que l’on sert au profanum vulgus. L’interview imaginaire de personnalités qui disent tout haut ce que, d’ordinaire, on garde soigneusement in petto, le recours à un petit diable aux pieds fourchus et qui lit dans les cœurs et les âmes des puissants, dans les Chroniques du Diable, ou le regard lucide jeté par la chambrière Célestine sur des maîtres qu’elle aperçoit dans leur nudité méduséenne, nous permettent heureusement de distinguer l’être du paraître, de faire tomber les masques des acteurs et de révéler leur véritable visage. Saine entreprise de démystification et de désacralisation.

Voir aussi les notices Comédien, Théâtre, Journalisme, Justice, Politique, Élections, Démystification, Désacralisation, Complexe d’Asmodée, Interview imaginaire, Le Comédien, Chroniques du Diable et Le Journal d’une femme de chambre.

P. M.


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