Thèmes et interprétations

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Terme
VAGABOND

Pour Mirbeau, le vagabondage est une situation imposée par la société aux plus faibles, mais l’errance est aussi une recherche de liberté. Apparaissent alors les contradictions et les richesses d’un auteur partagé entre sa vision négative de l’errance poussant les êtres à la douleur, à la solitude, et une vision idéale du vagabond, qui en fait l’homme de la transgression sociale, de la remise en cause permanente de l’ordre établi sédentaire.

 

Mirbeau et l’errance

Influencé par les idées des médecins psychiatres de la fin du XIXe siècle, Mirbeau décrit l’errance comme un des symptômes de l’impuissance et de la neurasthénie qui le menacent. Plus généralement, l’errance prend souvent pour lui la forme d’une fuite, un désir d'échapper à l’inacceptable, l’intolérable. De Jean Mintié (Le Calvaire) à l’écrivain narrateur des 21 jours d’un neurasthénique qui s’avoue hanté par la folie et la mort, de nombreux personnages, souvent autobiographiques, sont, à l’image de leur créateur, tentés ou captivés par l’errance. Dans Le Journal d’une femme de chambre, Célestine, condamnée à ne « pouvoir jamais se fixer nulle part », résume bien les sentiments mélancoliques diffus de Mirbeau et l’illusion qui ne disparaît jamais vraiment : « L’on va, l’on va […] Voyez cet horizon poudroyant là-bas… C’est bleu, c’est rose, c’est frais, c’est lumineux et léger comme un rêve… Il doit faire bon vivre là-bas. ».

Pendant toute sa vie Mirbeau cherche un équilibre dans sa vie familiale et son travail, qui se paie par nombre de compromis et de renoncements que l’auteur stigmatise notamment dans Mémoire pour un avocat (1894). Il lui faut trouver “un état”, subvenir à ses besoins, s’intégrer dans un monde qu’il vomit, auquel il ne peut survivre que par un engagement constant contre toutes les injustices.

 

Les personnages d’errants

La présence de nombreux vagabonds dans l’œuvre de Mirbeau révèle son intérêt pour les déshérités condamnés à l’errance, boucs émissaires et victimes expiatoires du système capitaliste Proches de ceux de Maupassant à bien des égards (“le vagabond” ou “le gueux”), les personnages de vagabonds sont les victimes la répression ou de la profonde indifférence sociale. Jean Loqueteux ou Jean Guenille est l’archétype du vagabond chez Mirbeau. Naïf et simple, il se livre à la cruauté  de la société en “commettant” une bonne action. Elle ne peut voir en lui qu’un vagabond, c’est-à-dire un criminel ou un fou, condamné d’avance à l’enfermement. Mirbeau le libertaire sait depuis longtemps qui est le principal coupable. Ce n’est pas celui qui ne peut maîtriser son destin, mais c’est l’État qui n’aide pas les plus démunis, qui détruit les individus et les avilit. On retrouve chez lui les diatribes de Léon Bloy, pour qui « la joie du riche a pour substance la douleur du pauvre » (Le Sang du pauvre) et l'ombre de Vallès, pour qui le pauvre n’est jamais totalement coupable, poussé qu’il est par la société à commettre un crime.

Il y a aussi chez aussi une profonde tendresse pour ses errants. Mirbeau rejoint alors les poètes et les écrivains des pauvres (Jean Richepin, Jehan Rictus, Charles-Louis Philippe) dans la tradition de défense du pauvre, mais aussi d’amour de l’opprimé, quand il affirme que ces exclus ont droit comme les riches au plaisir et à la beauté. Mirbeau est, comme l’écrit Émile Zola dans sa lettre du 3 août 1900, « le justicier qui a donné son cœur aux misérables et aux souffrants ».

 

La lutte contre l ‘injustice malgré tout

Dans la quête de l’émancipation et de l’idéal, le vagabond, est, pour Mirbeau, l’homme de la rupture qui, sans attache, annonce un changement radical. Il adopte ainsi les positions des anarchistes qui dénoncent une éducation oppressive et qui font du prolétariat en haillons (le lumpenprolétariat) la véritable classe révolutionnaire. Mirbeau refuse cette division des classes populaires en classes dangereuses, instables et nomades, d’un côté, et classes laborieuses et sédentaires, de l’autre. Le pauvre errant n’est pas seulement l’étranger, le mauvais pauvre, mais il est aussi le déraciné condamné à errer, qui croise sur sa route de nombreux autres marginaux et reprouvés (prostituées, filles-mères, juifs et anarchistes), victimes de la même politique d’exclusion.

Mais Mirbeau sait qu’il ne suffit pas de lutter contre l’État et la bourgeoisie, il faut aussi combattre les préjugés et la demande de répression qui touchent toute l’opinion jusqu’aux classes populaires. Les responsables sont en premier lieu les défenseurs de la démocratie libérale et les collectivistes, qui ne voient que leurs propres intérêts, méprisent les individus et perpétuent une société inégalitaire et autoritaire. Les contradictions sont nombreuses chez Mirbeau. Il constate dans Les Mauvais bergers que les malheureux sont trop enfermés dans l’ignorance pour pouvoir s’émanciper de leurs dirigeants. Réveiller les consciences est difficile et provoque également le rejet.

L’écrivain éprouve une sympathie immédiate pour ses rejetés, ses perdants de l’histoire dont il se sent proche. Mirbeau se sent comme un vagabond, à la fois rejeté et réfractaire, dans une société où il a toujours eu du mal à trouver sa place, où il se sent perpétuellement déplacé. C’est ce double errant, malade et instable qu’il lui faut combattre, mais également aimer, puisqu’il est celui qui a ce « don fatal de sentir vivement » qui le pousse à écrire.

J.-F. W.

           

Bibliographie : Jean-François Wagniart, « Le poète,  le réfractaire et le vagabond », in  Le Vagabond à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 1999, pp. 61-100 ; Jean-François Wagniart, « Les Représentations de l’errance et des vagabonds dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 306-315.

 

 

 


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