Familles, amis et connaissances
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BOURDON, georges |
BOURDON, Georges (1868-1938), journaliste et écrivain engagé, collaborateur de la Revue bleue et du Figaro et ami de Jules Huret. Alors qu’il était à peine bachelier, il a participé en novembre 1886 à la fondation du théâtre des Escholiers, avec Aurélien Lugné-Poe. Il a été un ardent dreyfusard et a participé très activement, au tournant du siècle, au combat pour un théâtre populaire. En 1903, il a publié une enquête sur le tramway parisien. En 1918, il a participé à la fondation du Syndicat National des Journalistes, lui a donné ses statuts et a mis au premier plan les impératifs éthiques de la profession ; il en a été le président de 1922 jusqu’à sa mort. Il est l’auteur d’une étude du théâtre anglais (1903), d’un reportage sur la Russie (1905) et d’une enquête chez les Allemands, L’Énigme allemande (1913). Mirbeau a fait sa connaissance pendant le procès d’Alfred Dreyfus à Rennes, où Bourdon s’est distingué en criant « À bas l’assassin ! » à l’adresse du général Mercier. Ils se sont retrouvés dans leur tentative pour créer un théâtre populaire « grand et beau », et qui soit réellement « la chose du peuple », à qui il devrait, selon Mirbeau, « donner conscience de sa dignité ». Dans le cadre d’une enquête auprès d’intellectuels et écrivains, Bourdon a alors interviewé son ami dans la Revue bleue du 12 avril 1902. De son côté, le 9 février précédent, dans Le Journal, Mirbeau avait rendu hommage à son ami Bourdon et à « sa belle ténacité » dans sa lutte pour un théâtre populaire. Au cours de la bataille du Foyer (1906-1908), Bourdon a été de nouveau aux côtés de Mirbeau, qu’il a interviewé le 8 et le 22 août 1906, dans Le Figaro, puis de nouveau le 9 mars, le 16 mars et le 21 mai 1908. Bourdon était présent à Veneux-Nadon (Seine-et-Marne), en septembre 1901, lors de l’accident d’Alice Mirbeau, et s’est révélé alors un ami tendre et dévoué, dont Mirbeau a beaucoup apprécié la délicatesse. P. M
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BOURGES, élémir |
BOURGES, Élémir (1852-1925), romancier peu prolifique, à l’inspiration idéaliste et spiritualiste qui le situe dans la mouvance symboliste, et qui a mené une vie retirée et modeste, tout entière vouée au sacerdoce de son art. Au début de sa carrière, il a tâté du journalisme alimentaire, notamment au Parlement et au Gaulois, dont il a été un temps le secrétaire de rédaction. Ses romans tournent le dos au naturalisme et sont marqués par l’influence de Dante, de Shakespeare, des poètes élisabéthains, des tragiques grecs et surtout de Richard Wagner, dont il a tenté d’adopter au roman certaines techniques musicales : Le Crépuscule des dieux (1884), vivement admiré par Mirbeau et Goncourt, Sous la hache (1885) et Les oiseaux s’envolent et les fleurs tombent (1893). Il a travaillé trente ans à une vaste épopée métaphysique, La Nef (1922, après une publication partielle en 1904). Il a été élu à l’Académie Goncourt en 1900. À en croire Pierre Descaves, dans Mes Goncourt, il arrivait à Mirbeau d’ironiser sur le compte de son collègue, dont « le Moi supérieur » se substituerait, dans l’acte de création, « au moi vulgaire » : « Sacré Bourges – se serait écrié Mirbeau – il cèle la beauté comme d’autres dissimulent une tare ». C’est plausible. Mais ces remarques amicalement moqueuses ne sont nullement désobligeantes et Mirbeau a toujours témoigné à Bourges son admiration, bien qu’il ne partage pas son spiritualisme et son goût pour la peinture symboliste. En revanche, ils ont des exécrations communes, notamment pour le théâtre contemporain (« M. Bourges professe pour le théâtre d’aujourd’hui le plus souverain mépris »), ils ont une même passion pour l’art et pour le style, et refusent pareillement tout ce qui avilit le talent, dût la renommée en pâtir : si Bourges « ne compte pas », à côté de Sarcey, « c’est parce qu’il n’a jamais voulu galvauder son talent dans les complaisances et les camaraderies, parce qu’il travaille beaucoup et qu’il ignore l’intrigue ». Et puis, ce qui est impardonnable, Bourges « a le mérite rare et curieux de penser par lui-même, de penser juste, de savoir beaucoup et d’écrire ce qu’il pense et ce qu’il sait en un style brillant, spirituel et élevé ». Tout cela fait de lui un original et un étranger dans le milieu qu’il est obligé de fréquenter, mais Mirbeau l’admire précisément pour cette dignité hautaine : « M. Élémir Bourges, avec son savoir solide, son jugement robuste et subtil, avec sa passion d’idéal et sa fierté, au milieu de ses confrères, est trop différent. Je ne sais si, du haut de leur ignorance et de leur mauvaise foi, ses confrères le haïssent, mais à coup sûr ils le dédaignent. Et c’est ce dédain surtout qui nous le fait aimer. » Dans un des deux articles qu’il a consacrés à Bourges, en 1884 et 1885, Mirbeau rend hommage à son roman Sous la hache, rebaptisé Ne touchez pas à la hache, où il sent « une puissance sauvage qui fait frissonner » et perçoit « d’admirables paysages peints au couteau ». Mais, comme l’auteur lui-même, il lui préfère Le Crépuscule des dieux, « magnifique roman », « étude, sombre et vengeresse, de la fin d’une race royale, qui s’écroule dans le sang, dans la boue, dans la sanie ». Il y voit « un chef-d’œuvre », qui surclasse le roman de Daudet sur un sujet voisin, Les Rois en exil : « Car c’est M. Bourges qui, véritablement a écrit les vrais Rois en exil, et nous les a fait voir, non point à travers les cancans de journaux et les petites anecdotes de café de la vie parisienne, mais à travers les épouvantables effondrements des races surmenées qui se pourrissent, des fortunes volées qui se désagrègent, des vices et des crimes longtemps impunis et qui finissent par recevoir leur châtiment, d’autant plus terrible qu’il s’est fait plus attendre. » P. M.
Bibliographie : Octave Mirbeau, « Portraits de critiques : Élémir Bourges » Les Grimaces, 12 janvier 1884 ; Octave Mirbeau, « Élémir Bourges », La France, 7 mars 1885. .
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BOURGET, paul |
BOURGET, Paul (1852-1935), romancier mondain qui se réclame de Balzac et de Stendhal, qui se pique de psychologie « au scalpel » et qui, par arrivisme et conservatisme social, s’est rallié à l'Église catholique romaine et à la monarchie (L’Étape, 1902). Il a fait ses débuts à La République des Lettres de Catulle Mendès (1876-1877) et a percé grâce à la Nouvelle revue de Juliette Adam (voir la notice). Auteur notamment de : Cruelle énigme (1885), André Cornélis (1885), Un crime d’amour (1886), dont Mirbeau rend compte élogieusement, Mensonges (1887), où il s’est souvenu explicitement de la liaison de Mirbeau avec Judith Vimmer, Le Disciple (1889), où il critique la doctrine de Taine, son premier maître, Un cœur de femme (1890), Cosmopolis (1893), L’Étape (1902), où il se rallie au catholicisme, Un divorce (1904), L’Émigré (1907), etc. Il a aussi fait paraître en 1888, dans La Vie parisienne, une Physiologie de l’amour moderne, dont Mirbeau s’est beaucoup gaussé. Il a été élu à l’Académie Française en 1894. Lié d'amitié avec lui à ses débuts, Mirbeau est alors favorablement impressionné par son intelligence et sa culture, dont témoignent notamment, à ses yeux, ses Essais de psychologie contemporaine de 1883, où il admire sa capacité à rendre « l’intime vie morale » de quelques grands écrivains (voir « M. Paul Bourget », Les Grimaces, 3 novembre 1883. De son côté, Bourget consacre au Calvaire un article dithyrambique dans la Nouvelle revue du 1er janvier 1887. Mais Mirbeau est bientôt de plus en plus révulsé par son ami, pour de multiples raisons, qui apparaissent au fil de sa correspondance, de ses articles et de ses romans : par le réclamisme impénitent d’un arriviste sans scrupules ni complexes (voir « Le Manuel du savoir écrire », Le Figaro, 11 mai 1889 ; par le snobisme vulgaire d’un naïf que tout épate dans le “monde” ; par ses dérisoires prétentions à la scientificité, alors que sa psychologie pour mondaines n’est que « du toc » ; par son exploitation mercantile du juteux et inépuisable filon de l’« adultère chrétien » qu’il a « inventé », avant de se mettre, sur le tard, à « exploiter la souffrance humaine, la souffrance des âmes riches et vertueuses » (Têtes de Turc, 31 mai 1902) ; et par ce qu’il considère comme la haine des pauvres : « Ah ! sapristi ! il n’aime pas les pauvres », s’écrie la soubrette Célestine. Bourget devient alors une de ses têtes de Turc préférées, Mirbeau considérant qu’il a prostitué son talent et trahi la mission de l’écrivain pour aduler servilement les nantis. À l’automne 1897, il le tourne en ridicule dans une série de dialogues bouffons intitulée Chez l’Illustre écrivain, 1897. Dans Le Journal d’une femme de chambre (1900), il présente son ex-ami, philosophe pour salons, comme le préposé à la vidange des âmes des riches, qui fait à Célestine l’effet d’« une cuvette ». En 1902, dans un numéro de L’Assiette au beurre entièrement réalisé par lui, il conclut lapidairement la notice consacrée à son ex-ami, devenu académicien, par un cinglant « Il est entré vivant dans la mortalité ». Et dans le dernier chapitre de La 628-E8 (1907), il raconte à des femmes allemandes cultivées sa dernière entrevue avec Bourget sur le yacht de Maupassant, que l’auteur du Disciple se vante, grossièrement et en toute inconscience, d’avoir converti à la psychologie et qui n’est plus alors que l’ombre de lui-même (voir le récit dans la notice Maupassant). La plupart des lettres de Mirbeau à Bourget sont recueillies dans le tome I de sa Correspondance générale. Dix lettres de Bourget à Mirbeau ont été publiées à Nice, dans Sur la Riviera, en 1922. P. M.
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BRANDES, georg |
BRANDES, Georg (1842-1927), est un célèbre critique littéraire danois, qui a exercé une grande influence sur la littérature scandinave et a contribué à la faire reconnaître. Il a enseigné l’esthétique à l’université de Copenhague et publié des études sur Holger, Kierkegaard, Heine, Ibsen, Shakespeare, Goethe, Nietzsche et Voltaire. Il a également laissé trois volumes d’écrits autobiographiques. Il était parfaitement francophone. Athée et voltairien, il était considéré comme subversif par la droite européenne, ce qui ne pouvait que lui attirer la sympathie de Mirbeau. Mirbeau a eu l’occasion de le rencontrer à l’occasion d’un de ses séjours à Paris, en 1901-1902. Brandes lui a adressé un mot de sympathie à l’occasion de l’accident d’Alice, et Mirbeau l’en remercie par un « Je vous aime bien ». Par son intermédiaire, il a fait savoir à Kropotkine qu’il envisageait de faire publier Autour d’une vie. En 1917, dans un chapitre de Napoleon og Garibaldi – Medaljer og rids [“Napoléon et Garibaldi – Médailles et contours”], Brandes consacrera à Mirbeau un sympathique hommage au « Maître » qui vient de mourir et exprimera son admiration pour Le Foyer et Le Portefeuille. Il y racontera aussi un dîner chez Mirbeau, avenue du Bois, avec Zola, France, Charpentier et Fasquelle, en 1902. La conversation y aurait notamment porté sur la bataille de Les affaires sont les affaires (« Octave Mirbeau », pp. 205-213). P. M.
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BRIAND, aristide |
BRIAND Aristide (1862-1932), est, avec Clemenceau, Jaurès et sans doute Poincaré, un des quatre hommes politiques français de premier rang à la veille de la Première Guerre Mondiale. Cet avocat, né à Nantes dans un milieu modeste, grandit à Saint-Nazaire, marqué par la rude condition ouvrière sur les Chantiers de l’Atlantique, mais aussi par sa rencontre avec Jules Verne, auquel il inspire le personnage de Briant : « peu travailleur, quoique intelligent, il lui arrive souvent d‘être un des derniers. […] Cependant, quand il le veut, avec sa facilité d’assimilation, une remarquable mémoire, il s’élève au premier rang, un peu débraillé, par exemple et manquant de tenue. Par le génie de l’écrivain Briand est déjà dans Briant, y compris cette réputation de paresse entretenue par l’homme politique qui méprisera toujours les postures laborieuses d’un Clemenceau ou d’un Poincaré. Avocat anarchisant à ses débuts, militant dreyfusard auprès de Mirbeau, mais pragmatique en même temps qu’homme de conciliation doté d’un charisme oratoire exceptionnel, Briand assure en 1905 le succès de l’épineuse loi de séparation des Églises et de l’État, toujours d’actualité, avant d’assumer plusieurs fonctions ministérielles avec réalisme, votant par exemple la loi portant à trois ans la durée du service militaire à la veille de la guerre, tout en prônant une cogestion des entreprises, encore iconoclaste dans la France actuelle, l’abolition de la peine de mort ou le vote des femmes. Sur ces derniers points, Briand est sans doute plus progressiste qu’un Mirbeau viscéralement misogyne et n’ayant, comme la plupart des intellectuels, qu’une approche livresque du monde de l’entreprise. Leurs relations, comme celles de Mirbeau avec Clemenceau, se dégradent dès que ces hommes politiques accèdent aux responsabilités exécutives. En 1914 Briand jouera au gouvernement un rôle essentiel, en luttant contre l’hégémonisme défaitiste du haut État-Major au moment de la bataille décisive de la Marne et en rétablissant l’autorité du pouvoir civil sur l’armée. Après lui avoir reproché de chercher à mettre fin à un conflit atroce par la négociation, Clemenceau l’écartera de la préparation du désastreux traité de Versailles, matrice de la Deuxième Guerre Mondiale, dont Briand, l’homme de Locarno, de la S.D.N. et de la réconciliation avec une Allemagne encore démocratique, s’efforcera de conjurer les périls jusqu’à sa mort d’épuisement, en 1932, après une carrière politique sans équivalent par la durée et la densité. Après leur rencontre en 1892 dans l’atelier du peintre Maxime Maufra, l’anarchiste Mirbeau et le socialiste Briand se retrouveront en 1898 au sein de la Coalition révolutionnaire pour faire front à la Ligue des patriotes soupçonnée de préparer un putsch en pleine crise dreyfusarde, avant de participer ensemble à la création de L’Humanité, en 1904. Briand n’est encore que député, personnage-clé il est vrai de la commission parlementaire qui prépare la loi de Séparation, quand apparaissent les premières divergences entre eux, Mirbeau comme Clemenceau étant partisans d’une attitude plus radicale que celle de Briand, appuyé par Jaurès et Léon Blum. Mais la réquisition des cheminots de la Compagnie du Nord lors de la grève de 1910 par un Briand , président du Conseil, qui défend « le droit de la société à vivre » supérieur au droit de grève, apparaîtra à Mirbeau comme la confirmation de la trahison des renégats , Briand et Clemenceau. Cependant Clemenceau sera présent aux obsèques de Mirbeau et Briand, ministre de l’Instruction publique et des Cultes, Garde des Sceaux ou président du Conseil ne fermera jamais sa porte à l’auteur dramatique venu solliciter son aide dans son conflit avec Claretie l’administrateur-dictateur de la Comédie-Française, ou un emploi pour Paul Léautaud, auteur impécunieux et misanthrope pathologique. On ne saura jamais ce que Mirbeau eût pensé du Briand homme de paix succédant au chef de guerre, de l’homme de Locarno, de la S.D.N. et de la réconciliation avortée avec l ‘Allemagne. On peut le regretter. A. Ge.
Bibliographie : Pierre Michel, « Aristide Briand, Paul Léautaud et Le Foyer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 218-233 ; Gérard Unger, Aristide Briand, Fayard, 2005.
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BRUNEAU, alfred |
BRUNEAU, Alfred (1857-1934), compositeur français. Après avoir obtenu le second prix de Rome en 1881, il a subi surtout l’influence de Berlioz et de Wagner. Après avoir fait la connaissance de Zola, en 1888, il est rapidement devenu le musicien attitré du naturalisme, tout en menant parallèlement une carrière de critique musical. Il a collaboré activement avec Zola, qui a rédigé les livrets de plusieurs œuvres communes : Le Rêve (1891), adapté du roman homonyme, Messidor (1897), L’Attaque du moulin (1893), Messidor (1897), opéra socialiste, L’Enfant roi (1905), Naïs Micoulin (1907), et surtout Lazare, oratorio très original, qui ne sera créé qu’en 1954. Il a également composé un beau Requiem (1896), qui a été enregistré récemment, de la musique de chambre et des mélodies. Il a été un ardent dreyfusard et a laissé un intéressant livre de souvenirs, À l’ombre d’un grand cœur (1931), où il parle de Mirbeau avec sympathie. Mirbeau a, semble-t-il, fait la connaissance de Bruneau en février 1898, à l’occasion du procès d’Émile Zola, à qui ils servaient de gardes du corps sur le chemin du tribunal. Ils se sont dès lors rencontrés souvent au cours de l’affaire Dreyfus et sont devenus bons amis. Dans ses tardifs souvenirs, Bruneau évoquera ainsi ses rencontres avec ses amis dreyfusards : « La verve d’Octave Mirbeau, particulièrement appréciée dans ce milieu vibrant, faisait nos délices. Dès que le ménage paraissait à la porte du salon, nos figures s’éclairaient, nos poumons se dilataient, dans la certitude où nous étions d’un divertissement somptueux et exceptionnel. Nul n’échappait à la causticité inépuisable de Mirbeau. L’étrange contorsion de ses lèvres, qui produisait une grimace à la fois burlesque et tragique, évoquait l’idée des solides mâchoires d’un fauve s’apprêtant à broyer les os et les chairs d’infortunées victimes. Mirbeau excellait au jeu de massacre des gloires contemporaines. […] L’énormité même des farces qu’il imaginait nous empêchait d’y croire un seul instant et […] nous n’éprouvions aucun scrupule à nous amuser de ces facéties magistrales, où il entrait d’ailleurs bien moins de méchanceté que de littérature. » Tous deux ont participé à la veillée funèbre de Zola, le 30 septembre 1902. Dans ses souvenirs, Bruneau racontera que le dramaturge, oubliant la situation, s’était mis à parler de littérature et à attaquer son sujet favori – la Comédie-Française et Claretie –, « multipliant les gestes, se tapant les genoux, levant les bras, sollicitant notre approbation ». Un an avant le procès Zola, le 15 février 1897, Mirbeau avait assisté à la première de Messidor à l’Opéra de Paris et écrit le lendemain à Zola qu’il avait « trouvé la musique de Bruneau très noble, souvent très grande, nourrie et pleine » : « Le second acte, surtout, m’a semblé atteindre à une grande beauté. » En avril 1902, il a félicité directement le compositeur de L’Ouragan : « Vous êtes un rude et admirable bonhomme, dont on est fier d’être l’ami… Je veux vous dire encore toute la haute émotion d’art que je vous dois… Vous nous avez donné une musique nouvelle, infiniment poignante… » Il semble avoir moins apprécié L’Enfant roi. P. M.
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BRUNETIERE, ferdinand |
BRUNETIÉRE, Ferdinand (1849-1905), célèbre universitaire et critique littéraire, de goût très classique, de tendance classificatoire, et très hostile à la modernité, à Baudelaire, à Zola, au naturalisme, au symbolisme et au genre romanesque en général. Il est l’auteur de nombreux ouvrages d’Études critiques et d’Essais sur la littérature classique, sur les lettres contemporaines, sur des questions de critique, sur la poésie lyrique, sur le roman naturaliste et sur les époques du théâtre français. Entré à la prestigieuse Revue des deux mondes en 1875, il en a vite assuré la direction officieuse, ce qui a fait de lui une puissance dans le monde des lettres. À la fin de sa vie, il s’est converti au catholicisme romain, plus par conservatisme social que sous l’aiguillon de la foi chrétienne. Antidreyfusard, il accuse, en mars 1898, les intellectuels dreyfusistes d’abuser de leur influence et de se fourvoyer en s’aventurant sur un terrain – les problèmes d’ordre militaire – auquel ils n’entendent goutte. Et il s’engage clairement à droite, pour la défense d’un ordre social menacé par la contestation et l’agitation des révisionnistes. Longtemps très hostile à son dogmatisme et à ses jugements péremptoires, Mirbeau ne s’est jamais privé de se gausser de la néanderthalienne et soporifique Revue des deux mondes. Il a fini cependant par reconnaître qu’il l’avait mal jugé, sans le lire, et il s’est rapproché de lui en 1894, par le truchement du fidèle Paul Hervieu, grâce à une commune hostilité au scientisme et au lombrosisme, quoique sur des bases fort différentes. Le 11 mars 1894, dans un article du Journal, « Rêverie », il fait publiquement son mea culpa : « J'aime son courage moral, la violence de ses convictions littéraires, son imperturbable sincérité en des opinions qui ne sont pas toujours les miennes, pourtant, et que, souvent, je réprouve. [...] J'ai fait, jadis, comme tant d'autres. Sur la foi de quelques chroniqueurs immensément distingués, moi aussi, je suis parti en guerre contre M. Brunetière. Et l'ayant réduit en poudre, la fantaisie me vint de lire ses livres. J'aurais peut-être dû commencer par là. |...] Plus tard, je fus un peu étonné, en lisant les œuvres de M. Brunetière, ces œuvres dont j'avais fait une si complète capilotade, d'y trouver avec des choses parfois rebutantes, d'admirables pages qui sont parmi les plus fortes de ce temps. » Sensible à cette autocritique, Brunetière lui commande alors, pour sa Revue, un roman, que Mirbeau, en pleine crise, n’écrit pas, et, à défaut, lui passe commande d’une longue dissertation, genre inhabituel pour le polémiste, sur la future exposition universelle de Paris (l’article paraît dans la Revue des deux mondes le 15 décembre 1895). En confiance, Mirbeau se permet même de le solliciter lorsque ses neveux Petibon passent leur baccalauréat... Mais l’affaire Dreyfus (voir la notice) les oppose de nouveau et semble avoir mis fin à leurs relations. Les lettres de Mirbeau à Brunetière, conservées à la Bibliothèque Nationale, sont recueillies dans le tome III de sa Correspondance générale. P. M.
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BRZECHWA, jan |
BRZECHWA, Jan (1900-1966), poète et écrivain polonais, connu en Pologne surtout par ses poèmes pour enfants. Il est notamment l’auteur d’un roman autobiographique, Gdy owoc dojrzewa (Quand le fruit mûrit, 1958), dans lequel apparaît, par le biais d’une correspondance entretenue avec une dame russe, Octave Mirbeau. Les lettres sont échangées pendant la période des troubles révolutionnaires en Russie, entre les années 1904 et 1905. Le lecteur n’accède à leur contenu qu’indirectement, par le récit du narrateur homodiégétique, qu’il est permis de rapprocher de Jan Brzechwa. La correspondante rapporte, dans ses lettres à Mirbeau, l’état de la cause révolutionnaire, et reçoit des encouragements de l’écrivain français, qui se dit vivement intéressé par le sort du peuple russe : « Ma noble amie, dites à vos compatriotes que le peuple ouvrier de Paris est avec vous ! Le peuple russe peut compter sur notre aide ! », écrit-il (en français dans le texte). La création de la Société des Amis du Peuple Russe par Mirbeau et Anatole France serait inspirée en partie par cette correspondance. Il se pose naturellement la question de la véracité de cet épisode. Or, tous les détails de l’engagement d’Octave Mirbeau dans le soutien du peuple russe sont conformes à la réalité : il a effectivement créé, avec Anatole France, la Société des Amis du Peuple Russe ; et il s’est également prononcé à plusieurs reprises contre le régime tsariste (voir notamment ses articles de 1904 dans L’Humanité, depuis « L'Âme russe » jusqu’à « Le Chancre de l'Europe »). Il ne serait donc pas impossible qu’il soit effectivement entré en correspondance avec une dame russe. S’il n’a pas été jusqu’alors possible de dissiper tous les doutes sur l’existence effective de cet échange, on peut néanmoins confirmer quelques détails concernant la correspondante. Dans le livre, elle s’appelle Natalia Stieblova. Elle est la fille d’un riche propriétaire, le comte O’Brien de Lassy qui, au cours du roman, meurt d’apoplexie à la suite des nouvelles du « procès à scandale » de son frère, impliqué dans un meurtre. Or, non seulement on peut confirmer l’existence réelle de la famille O’Brien de Lassy, d’origine écossaise, établie sur les territoires de l’actuelle Biélorussie et, probablement, d’Ukraine (où se passe l’action de Quand le fruit mûrit), mais, qui plus est, la presse… américaine relate, entre les années 1910 et 1913, les détails et les suites du procès mené à Saint-Péterbourg contre le médecin Pantchenko et Patrick O’Brien de Lassy, qui l’aurait poussé à tuer le frère de sa femme, Ludmila O’Brien de Lassy, née Bouturline (voir par exemple le New York Times du 17 février 1911). De cette manière, certes indirecte, une correspondance entre Octave Mirbeau et la fille d’O’Brien de Lassy devient tout à fait plausible. Hélas, l’ouragan de la révolution d’Octobre en a très probablement effacé toutes les traces matérielles. Voir aussi les notices Russie et Pologne. A. S.
Bibliographie : Jan Brzechwa, Gdy owoc dojrzewa, chapitre XIII, Varsovie, Państwowy Instytut, 1958, et Iskry, 1960 ; Anita Staron, « Jan Brzechwa et Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 18, à paraître en mars 2011.
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BUÑUEL, luis |
BUÑUEL, Luis (1900, 1983), cinéaste d’origine espagnole, naturalisé mexicain. Parti à 19 ans à Madrid pour faire des études supérieures, il y rencontre Gómez de La Serna, Salvador Dali et Frederico Garcia Lorca. Il se lance dans le cinéma et commence sa carrière en travaillant avec le français Jean Epstein sur Mauprat (1926) et La Chute de la maison Usher (1928). Passionné par le dadaïsme et le surréalisme, il réalise deux films qui marquent l’histoire du cinéma : Un chien andalou (1928) et, grâce à l’argent du vicomte de Noailles et de sa femme Marie-Laure de Noailles, L’Âge d’or (1929). Lors de la guerre civile espagnole, il se met au service des Républicains ; il se rend aux Etats-Unis, où la fin du conflit le surprend, puis au Mexique où, de 1946 à 1955, il réalise, entre autres, Los Olvidados (1950), El (1952) La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (Ensayo de un crimen, 1955). Il termine sa carrière en Europe, avec une poignée de films parmi lesquelles on retiendra : Belle de jour (1967), Tristana (1970), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) ou Cet obscur objet de désir (1977). Toute son œuvre témoigne d’une belle indépendance. Il n’hésite pas, en effet, à s’opposer aux puissants – Famille, Église, Bourgeoisie –, et à défendre les déshérités. Il aime également dynamiter les règles du récit et abandonner les béquilles psychologiques pour mieux s’amuser avec les temps, les espaces, les attentes du spectateur. Avec lui, il n’y a plus de frontières strictes entre sérieux et humour, rêve et réalité, raison et folie. On comprend dès lors qu’il ait pu être attiré par le roman de Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre. Buñuel en réalise l’adaptation, avec l’aide d’un jeune scénariste, Jean-Claude Carrière, et avec, dans les rôles principaux, Jeanne Moreau (Célestine), Georges Géret (Joseph), Michel Piccoli (Monsieur Monteil), Françoise Lugagne (Madame Monteil) et Daniel Ivernet (le capitaine Mauger). Le film, sorti en 1964, apporte quelques modifications : dans un premier temps, il situe le récit dans les années 1930 et change le nom de Lanlaire en Monteil ; puis, il concentre l’action au Prieuré, faisant de M. Rabour (le fétichiste de la bottine) le beau-père de Monsieur ; il marie, enfin, Célestine au capitaine Mauger. Dernier point : lors de l’ultime séquence, il remplace le « Vive l’armée ! » par « Vive Chiappe ! », une façon, pour Buñuel de se venger du préfet qui avait fait interdire L’Âge d’or quelques années auparavant. En dépit des changements, le film reste fidèle à l’esprit du roman, comme s’il y avait une continuité entre l’œuvre mirbellienne et la filmographie du réalisateur. Des images et des idées communes qui se répondent ici ou là, dans ce film ou dans d’autres. Francesco, le mari paranoïaque de El, ne se délecte-t-il pas, à l’instar de Monsieur Rabour, du pied sanglé de Gloria ? Le comportement de la famille Lanlaire ne rappelle-t-il pas celui des bourgeois du Charme discret de la bourgeoisie ou de Cet obscur objet de désir ? La haine du métèque et le fascisme de Joseph, sur l’écran, ne prolongent-ils pas l’antidreyfusisme du Joseph mirbellien ? Certes, les admirateurs de Mirbeau considèrent comme une trahison le mariage de Célestine et de Mauger, « grotesque et sinistre fantoche », mais, pour Jean-Claude Carrière, il s’agissait, avant tout, « de ne pas totalement condamner l’héroïne », de « la faire devenir à son tour une bourgeoise et de laisser la fenêtre ouverte sur la manière dont elle allait se conduire elle-même avec ses propres domestiques ». Une concession peut-être à l’optimisme, mais qui ne retire rien à la qualité d’une adaptation de Mirbeau, sans doute la meilleure à ce jour.
Y. L.
Bibliographie : Jean-François Nivet, « Rencontre avec Jean-Claude Carrière, L’adaptation du Journal d’une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 238-244 ; Tesson, Charles, « Jean Renoir et Luis Buñuel - Autour du Journal d'une femme de chambre », in Nouvelles approches de Jean Renoir, Université de Montpellier III, 1995, pp. 39-61 ; Vanoye, Francis, « Trois femmes de chambre (note sur deux adaptations du Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau) », Actes du colloque de Nanterre, Relecture des “petits” naturalistes, Université Paris X, octobre 2000, pp. 451-455.
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BURNE-JONES, edward |
BURNE-JONES, Edward (1833-1898), peintre anglais, est une des figures majeures de la confrérie préraphaélite. Élève de Rossetti, il est marqué par les maîtres florentins, et particulièrement par Botticelli, dont il a admiré les œuvres lors de ses multiples voyages en Italie. Ses sources d’inspiration sont surtout littéraires, mais une dimension fantastique anime toutes ses œuvres. Malgré une certaine froideur et un réalisme très scrupuleux dans la mise en scène qui confèrent à ses toiles un esthétisme artificiel, son art recèle un charme désuet et un sens décoratif prononcé. C’est en 1877, à l’occasion de la première exposition de la Grosvenor Gallery, qu’il rencontre le succès. L’année suivante, lors de l’Exposition Universelle à Paris, il connaît la consécration. Le Roi Cophetua et la jeune mendiante (1884) lui vaut en France une grande réputation. Burne-Jones s’est également montré décorateur en dessinant des cartons pour des vitraux, des tapisseries, des mosaïques. Cet artiste est pour Mirbeau le parangon de tout ce qu’il abhorre, peut-être parce qu’il est le plus anglais des peintres de la Grande Bretagne : « Non, vois-tu Burne-Jones est une des plus énormes mystifications de ce temps ! […] Et il raconte à ses familiers : “Moi, je ne suis pas un Anglais, je suis un Italien du XVe siècle !” Pas Anglais, lui ! Pauvre petit ! C’est-à-dire qu’il résume à soi seul toute l’Angleterre burlesque ! Pas Anglais ! Mais ce n’est pas Burne-Jones qu’il devrait s’appeler, c’est Bull-John ! » (Le Journal, 28 avril 1895) En effet, il est une des plus parfaites incarnations du génie de ce pays et le critique, comme il l’écrit à Mallarmé le 18 mai 1894, n’a que mépris pour cet art : « Mais quelle chose affreuse que l’art anglais ou, du moins, ce qu’on appelle ainsi, car il n’y a pas d’art anglais, il n’y a que l’art d’un immense pays commun à toutes les patries : Médiocrité. » S’il ne consacre aucun article à Burne-Jones, régulièrement, il le stigmatise dans ses chroniques. Ses attaques à l’encontre de ce peintre ne sont pas frontales, c’est souvent par le biais d’une comparaison, d’une allusion, d’une insinuation qu’il s’en prend à lui, mais la remarque fait mouche à chaque fois, car elle est toujours mordante et profondément ironique. Dès le premier « Portrait » au vitriol qu’il brosse dans le Gil Blas, le 27 juillet 1886, Mirbeau donne le ton. Même si le nom de Loys Jambois est fictif, derrière ce peintre, ce sont tous les artistes préraphaélites que Mirbeau ridiculise, et plus particulièrement Burne-Jones. Pour rallier le public à son point de vue, il use d’un procédé facile mais efficace : la caricature. En parodiant les mœurs de ce peintre, Mirbeau tente de jeter le discrédit sur tous les artistes qu’il exècre et qui, d’après lui, confondent l’art véritable et la parodie de l’art. Ce que le critique ne leur pardonne pas, c’est de mettre leur vie en scène, de jouer les purs esthètes alors qu’ils ne sont que des dépravés stériles. Dans la série d’articles qu’il publie dans Le Journal entre 1895 et 1897 : « Des lys ! des lys ! », « Toujours des lys ! », « Intimités préraphaélites », « Les Artistes de l’âme », « Mannequins et critiques », « Botticelli proteste ! » et « L’Homme au large feutre », Mirbeau va procéder de même. Il ne s’en prend pas directement à Burne-Jones, mais il ne manque pas une occasion de le satiriser : « Quant à Burne-Jones, il s’embrouille de plus en plus, dans le labyrinthe de ses symboles. Il ne sait plus au juste si c’est chaste ou obscène, et il lui arrive cette malchanceuse ironie d’infliger à ses tableaux des commentaires successifs et différents qui se détruisent l’un par l’autre à deux années de distance » (ibid.). Mirbeau ne cesse de vitupérer contre ses « chevaliers hermaphrodites », contre ses femmes idéales dont les « meurtrissures des yeux » proviennent de « l’onanisme, du saphisme, de l’amour naturel ou de la tuberculose » (Le Journal, 23 février 1896). Quelles que soient les œuvres de Burne-Jones que le journaliste évoque, l’impression produite est toujours identique, un profond et un incoercible dégoût. Cet écœurement, il peut l’exprimer parfois directement et en son nom propre mais, le plus souvent, cette répulsion viscérale s’extériorise par le truchement de personnages fictifs. Kariste ou Botticelli ne sont que les porte-voix des opinions de Mirbeau. En multipliant ainsi les sources de diffusion, même si, au fond, il reste l’émetteur central, le critique donne plus de poids à ses accusations. Ce n’est pas lui, contempteur des symbolistes, qui incrimine les artistes de l’âme, mais toutes les personnes sensées qui ont eu le malheur de les côtoyer. De même s’il ne nomme pas toujours Burne-Jones, comme il le fait dire à William Morris, il n’hésite pas « en des articles sacrilèges [à le] maltraiter », car les œuvres de ce peintre symbolisent à ses yeux tout ce qu’il exècre : un art contre-nature qui, non seulement n’a jamais su exprimer le moindre souffle de vie, mais a insufflé un air délétère à toute une génération. Voir aussi la notice Préraphaélisme. L. T.-Z.
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