Familles, amis et connaissances

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Terme
MAETERLINCK, maurice

MAETERLINCK, Maurice (1862-1949), poète, auteur de théâtre et essayiste belge de langue française, prix Nobel de littérature 1911. Né à Gand dans une famille flamande de propriétaires fonciers, il devint avocat et publia à compte d’auteur La Princesse Maleine et Serres chaudes, qui le rendirent célèbres grâce au soutien enthousiaste d’Octave Mirbeau, à la une du Figaro (24 août 1890). Sous l’influence de Villiers de l’Isle-Adam rencontré à Paris (1885-1886), Maeterlinck écrivit plusieurs drames qui, tous, reçurent l’assentiment indéfectible de son découvreur. Pelléas et Mélisande, dont l’édition fut dédiée à Mirbeau, secoua l’avant-garde symboliste dans le Paris de 1893, et le dédicataire, cette fois aussi, ne marchanda pas son appui. La pièce fut mise en scène par Aurélien Lugné-Poe, la première eut lieu le 17 mai aux Bouffes-Parisiens. Elle eut pour spectateurs tout ce qui comptait dans le milieu artistique le plus raffiné de l’époque, dont Claude Debussy, lequel, dès cet instant, eut la certitude d’avoir trouvé l’œuvre idéale avec laquelle composer l’opéra dont il rêvait. Le soutien de Mirbeau ne devait jamais se démentir comme en témoigne sa correspondance publiée. Elle est empreinte de sympathie et de respect, les deux protagonistes s’appréciant mutuellement sans vraiment se connaître.

La rencontre avec la cantatrice Georgette Leblanc en 1895 – elle était de sept ans sa cadette – apporta à Maeterlinck une stimulation intellectuelle et affective extraordinaire, leurs relations épistolaires en faisant foi, ainsi que la dédicace qu’il fit placer en exergue de La Sagesse et la Destinée, ses premières méditations à succès (1898). Ce livre fut précédé par Le Trésor des humbles (1896), un recueil d’essais, dont le premier, « Le Silence », était dédié à Georgette Leblanc, qui en avait été aussi l’inspiratrice. Goûté dès ses premières œuvres en Allemagne, en Angleterre et dans les pays nordiques, en plus de la France et de son pays natal, Maeterlinck se présenta volontiers à Mirbeau comme un pauvre, alors qu’il était un héritier, parla d’offrir ses droits d’auteur aux misérables (ce qu’il ne fit jamais), et commença à percevoir, à partir de La Sagesse et la Destinée, de confortables émoluments. Il pratiqua en une alternance parfaite l’écriture d’essais et de drames. Avec Aglavaine et Sélysette (1896), il essaya de sortir de sa veine symboliste, mais n’y réussit qu’imparfaitement. La pièce fut jouée sans succès à l’Odéon (14 décembre 1896). Ce fut Monna Vanna, une incontestable réussite (1902), qui renouvela son théâtre et mit fin à la période du tragique quotidien, ce qu’il appelait lui-même ses « shakespitreries ».

Mirbeau eut à nouveau l’occasion de rompre des lances pour son protégé. Debussy avait enfin achevé son opéra et l’œuvre allait être créée à l’Opéra-Comique (1902). Maeterlinck, auteur de la pièce originale, entendait bien réserver le rôle de Mélisande à son égérie, qui aspirait elle-même, depuis des années, à incarner le rôle. Mais Albert Carré, metteur en scène, directeur de l’Opéra-Comique, opposa son veto et sortit opportunément de sa manche la jeune Mary Garden, déjà maîtresse du chef d’orchestre André Messagier. Propulsée par ces deux dirigeants de l’Opéra-Comique, la jolie soprano écossaise n’eut aucune peine à s’imposer à Debussy, qui décida de s’en remettre à leur décision. Soucieux de la carrière de celui qu’il appuyait sans faiblir depuis douze ans, Mirbeau intervint alors dans le conflit et essaya de calmer sa colère. En vain. Néanmoins, il publia un long article, où il espérait démontrer à son ami combien il se trompait (« Maurice Maeterlinck », Le Journal, 27 avril 1902).. S’opposer au choix de Carré, souhaiter la « chute retentissante » de l’opéra de Debussy, qui était aussi son œuvre, n’avait aucun sens. Debussy était « le seul interprète de votre génie, plus qu’un interprète, une âme créatrice fraternellement pareille à la vôtre ». Mirbeau visait, sans la nommer, Georgette Leblanc, qu’il accusait en privé d’être le « mauvais génie » de Maeterlinck, mais aussi probablement le compositeur Gabriel Fauré, à qui Maeterlinck avait commandé une musique de scène pour sa pièce jouée à Londres (1898), ce qui devait être ressenti comme un camouflet par Debussy. Mirbeau avait décidé de se tenir au-dessus de la mêlée et d’adopter la position du vieux sage vis-à-vis d’un jeune confrère un peu fou, aveuglé par une femme perverse. Quand avait-il vu et entendu Mary Garden ? Probablement pas avant la répétition du 19 avril 1902. Toutefois, pas plus qu’il ne nomme Georgette Leblanc, il ne mentionne Mary Garden, la question des interprètes étant peut-être, dans ces moments-là, négligeable à ses yeux. Il parla très élogieusement de la nouvelle pièce de Maeterlinck, Monna Vanna, sans plus citer celle qui allait jouer le rôle titre, Georgette Leblanc, et il dit combien ce drame historique, « un autre chef-d’œuvre, mais très différent », prouvait sa complète maturité. Mirbeau souligna également l’érotisme de la pièce, tel qu’il l’avait ressenti à sa lecture, ne l’ayant pas encore vue sur scène : « C’est une femme et des hommes aux prises avec l’amour et ses contradictions et qui exhalent véritablement une odeur de chair », insista-t-il. Et, cette fois, il ne compare plus seulement Maeterlinck à Shakespeare, mais aussi à Hugo. Il sera si frappé par l’aspect sexuel du drame qu’il imaginera, dans La 628-E8, les spectateurs allemands mis en appétit par la pièce déchaîner leur instinct génésique dès leur retour au foyer conjugal. En 1902, il termine son paternel article par une prédiction : le génie de Maeterlinck lui apportera d’autres joies dans l’avenir. « Celui », ajoute Mirbeau, « qu’il n’est point besoin d’aller demander aux magiciennes de la main, des cartes et du marc de café… » Ce que Maeterlinck avait précisément fait et qu’il avait raconté dans Le Temple enseveli, essayant de savoir, grâce à la voyance, si Carré allait mourir bientôt.

Le succès annoncé par le clairvoyant critique alla à la fois à l’opéra de Debussy et au drame historique de Maeterlinck, qui gagnait sur les deux tableaux. Ainsi que Mirbeau le rappela au début de son article du Journal, aussi fondateur pour la gloire de son protégé que celui, inaugural de 1890, du Figaro, Maeterlinck, en moins de deux ans, donna au public une succession de livres et d’œuvres, dont cette « miraculeuse Vie des abeilles [1901], où le miracle, écrit Mirbeau, est que la science la plus stricte et la plus scrupuleuse observation du naturaliste aient, pour une fois, emprunté la forme et le langage de la poésie la plus haute ! » Son théâtre complet en trois tomes et le livret de Pelléas et Mélisande furent publiés chez l’éditeur belge Lacomblez(1901/1902). Le Temple enseveli (1902) marcha sur les traces des succès précédents. Et  Monna Vanna  connut un triomphe à Paris avant de se lancer à la conquête de l’Europe. Dès ses débuts, Maeterlinck ne fut jamais une cause perdue. Ses craintes de se voir surexposé par le premier article de Mirbeau sur lui furent vaines. Quant au grand journaliste, il sous-estima (lettre du 28 ou 29 aoűt 1890) l’influence de sa réputation et de son nom, quand il affirma au jeune auteur effarouché : « Ces bruits-là durent ce que dure un article de journal : un jour à peine. Et puis cela s’éteint. » Sur la route de Maeterlinck, tout fut aplani. Et jusqu’au succès mondial de L’Oiseau bleu – 1906-1916, et au-delà par le cinéma – et le prix Nobel de littérature 1911 (1 million d’€), sa carrière ne sortit jamais des rails de la gloire. Il eut une vie littéraire exceptionnellement longue, puisqu’il mourut sereinement à Nice le 6 mai 1949. Après le prix Nobel, il avait fait paraître encore une trentaine de nouveaux titres, le dernier étant Bulles bleues, souvenirs heureux (1948).

M. B.-J.

 

Bibliographie : Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc(1869-1941), Le Cri, Bruxelles, 1998 ;  Georgette Leblanc, Souvenirs (1895-1918), Grasset, Paris, 1931 ; Octave Mirbeau, Combats littéraires,  L’Age d’Homme, Lausanne, 2006, pp. 309-318 et 546-549 ; Gillian Opstad, Debussy’s Mélisande, The lives of Georgette Leblanc, Mary Garden and Maggie Teyte, The Boydell Press, Woodbridge, UK, 2009.

 


MAGNARD, francis

MAGNARD, Francis (1837-1894), journaliste, est entré au Figaro en 1863 en est devenu rédacteur en chef en 1873 et co-gestionnaire en 1879, à la mort de Villemessant. Il en a fait un quotidien de haute tenue, certes conservateur et mondain, mais relativement libéral et ouvert. Lui-même était cultivé et exigeant et Mirbeau avait un certain respect pour lui. Il a publié un roman, L’Abbé Jérôme (1869). Il était le père du compositeur Albéric Magnard.

Deux mois après son entrée au Figaro, en août 1882, Mirbeau s’est brouillé avec lui, fin octobre, à cause de son pamphlet contre la cabotinocratie (voir Le Comédien), que Magnard lui avait pourtant commandé, mais qu’il a été obligé de désavouer face au scandale et à la réaction outragée des acteurs les plus célèbres du temps. Cependant Mirbeau était trop avisé pour refuser à jamais de collaborer de nouveau à un quotidien aussi respecté, et Magnard, de son côté, était bien placé pour savoir que la collaboration d’un journaliste tel que Mirbeau ne présenterait que des avantages pour son journal. Simplement, en le réintégrant dans son équipe rédactionnelle en novembre 1887, il a prudemment exigé de pouvoir donner son imprimatur avant toute publication, et Mirbeau a dû s’engager à lui soumettre au préalable le sujet des chroniques projetées, ce qui le contraignait à une certaine forme d’autocensure. Magnard devait en particulier veiller à ce qu’il ne piétine pas trop allègrement les plates-bandes de ses confrères de la critique littéraire et de la critique d’art, qui était tenue par Albert Wolff, très hostile aux impressionnistes. L’article le plus célèbre que Mirbeau a publié dans Le Figaro sous la houlette de Magnard est « La Grève des électeurs », le 28 novembre 1888. 

P. M.

 


MAILLOL, aristide

MAILLOL, Aristide (1861-1944), peintre, lissier, céramiste, dessinateur et sculpteur français. Né à Banyuls, il est resté toute sa vie très lié à son Roussillon natal et à la Méditerranée. Élève de Gérôme et de Cabanel à l’École des Beaux-Arts, il commence par admirer Puvis de Chavannes, puis, en 1889, découvre Gauguin. Jusqu’en 1900, il pratique la peinture et la tapisserie dans un esprit proche des Nabis. Rien d’intimiste cependant chez lui, mais un goût pour la nature, le plein air, la lumière (La Femme à l’ombrelle, vers 1895, Musée d’Orsay, Paris). À partir de 1900, il est essentiellement sculpteur. Soutenu par Vollard, il expose, au Salon de 1905, Méditerranée, un nu féminin assis, aux formes simplifiées et au modelé régulier, qui a valeur de manifeste contre la torsion expressionniste à l’œuvre chez Rodin, Camille Claudel et Bourdelle. En 1908, il sculpte L’Action enchaînée, monument qu’on lui a commandé en hommage à Auguste Blanqui. À la suite d’un voyage en Grèce, il se tourne de plus en plus vers une beauté immuable résidant dans l’harmonie de gestes débarrassés des passions. Les nus féminins allégoriques, qu’il multiplie jusqu’à la fin de vie, sont tous caractérisés par des volumes arrondis, un modelé lisse et un grand sens de la monumentalité. Ce néo-hellénisme l’a rendu extrêmement populaire. En 1965, à l’initiative de Malraux, dix-huit de ses statues sont installées dans le jardin des Tuileries, formant une sorte de musée en plein air. Maillol a par, ailleurs, été un remarquable illustrateur (Les Églogues de Virgile, Chansons pour elle, de Verlaine, L’Art d’aimer, d’Ovide, Daphnis et Chloé, de Longus, etc.).

Mirbeau a vu, en 1902, la première exposition personnelle du sculpteur chez Vollard. Il a été séduit et a acheté une Léda en bronze. Lorsque la Ligue des Droits de l’Homme envisagea d’ériger un monument en hommage à Émile Zola, il proposa Maillol (Rodin s’était récusé) : « Je ne trouvais pas, à défaut de Rodin, un statuaire plus digne de cette mission que Maillol. » Mais ce fut Constantin Meunier qui fut choisi (Combats esthétiques, II, 357-365). En 1905, il publia une longue étude, la plus longue de toute sa critique d’art, en forme de plaidoyer pour le sculpteur (Combats esthétiques, II, 374-399). Il y qualifie Maillol de « maître incomparable de la statuaire moderne ». Pourvu d’ « un tempérament très original et très rare […], il s’est influencé et discipliné soi-même, à la vaste et féconde école de la nature. Ce fut son seul atelier et son seul musée. » Mirbeau prend soin de mentionner l’avis de Rodin (« Maillol a le génie de la sculpture ») et, décrivant son intérieur, de noter qu’ « à la place d’honneur, sur le buffet, un puissant plâtre de Rodin » trône. Maillol n’est cependant pas présenté comme un continuateur de Rodin, mais, comme lui, « il a nettement compris que si l’art peut être et est variable à l’infini, la forme, elle, demeure impérieusement une, à travers toute la vie, et toutes les vies. » Poursuivant sa campagne en faveur du sculpteur catalan, il le mentionne chaque fois qu’il le peut. Il salue la commande, par le comte de Kessler, d’une statue monumentale pour le musée de Weimar. Lors de la visite que Paul Gsell lui rend, en 1907, il défend, devant sa Léda, l’art du sculpteur, en proposant une nouvelle fois ce paradoxe : l’art de Maillol, c’est la vie (Combats esthétiques, II, 424).

Il faut signaler, par ailleurs, que Mirbeau a ignoré Bourdelle, alors que c’est plutôt lui que l’on s’attendait à voir défendre, à la suite de Rodin et de Camille Claudel.



C.L.



Bibliographie : Octave Mirbeau, Sur la statue de Zola, Caen, L’Échoppe, 1989 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tome II, Paris, Séguier, 1993.

 


MAKART, hans

MAKART, Hans (1840-1884), peintre et décorateur autrichien, prototype de l’artiste officiel et  académique, célébré pour son sens des couleurs et son talent décoratif. En 1869 l’empereur lui a offert un immense atelier, qu’il a aussitôt rempli d’une multitude de sculptures, de tapis et de bibelots et qui est vite devenu un salon fort couru. Au service de son protecteur, il a peint le plafond de la maison de chasse de l’impératrice (1882) et organisé les grandes fêtes de la Cour (celle des noces d’argent de l’empereur François-Joseph, en 1879, est restée célèbre, sous le nom de « Makart-Parade »), ce qui a fait de lui une figure incontournable de la vie mondaine et culturelle de Vienne. Outre des portraits et des scènes allégoriques, il a peint de grandes machines historiques : Lavoisier en prison, La Peste de Florence, et surtout L’Entrée de Charles-Quint à Anvers (1878), qui fit scandale à cause de la présence de femmes nues dans la procession. Décédé prématurément, il eut droit à des funérailles grandioses. D’après les historiens d’art, Makart aurait fortement influencé Gustav Klimt.

Mirbeau a consacré à Makart un article nécrologique au vitriol, dans La France du 10 octobre 1884. Il voyait en lui, non un artiste, mais « un haut fonctionnaire, un ministre, et rien de plus », dans la lignée de ces peintres « médiocres, myopes et souples », qui sont devenus « les instruments passifs de la propagande gouvernementale et des personnages politiques ». Pour lui, Makart était exactement le peintre qu’il fallait à Vienne, « ville sans art, sans littérature, sans musique, sans philosophie », et à « cette société sans idéal et sans goût, que remuent seulement les brutalités des décorations tapissières, les décadences de la chair morbide et des nudités impures ». Étonné par les naïvetés de ses « lubricités », qui « ne sont que les grossissements confus des rêves au-delà du possible qui hantent l’esprit des collégiens et des solitaires, Mirbeau qualifiait  La Peste de Florence de « tableau purement obscène », symptomatique du « trouble cérébral dans lequel se débattait l’idéal malade et attaqué aux moelles de Makart », qui s’était toujours avéré incapable de saisir « la moindre parcelle de vérité humaine » et n’a cessé de « flotter dans le vague, poursuivi par des inspirations indéfinies ». Quant à sa réputation de « coloriste », Mirbeau la jugeait imméritée, car en réalité Makart ne s’était jamais soucié des effets de la lumière ni de « l’harmonie des tons ».

Deux ans auparavant, dans son roman “nègre”, L’Écuyère, Mirbeau s’était inspiré ouvertement de Makart pour imaginer le peintre Alexandre Mazarski, à qui il attribuait carrément L’Entrée de Charles-Quint à Anvers. Le chapitre II comportait une longue description de l’atelier de ce portraitiste mondain, venu tout droit de son modèle viennois : « L’atelier, éclairé par une large baie habillée d’un store en soie rouge, allongeait ses profondeurs de Hall dans une paix grandiose et muette de chapelle. Un balcon de bois ajouré coupait la pièce en hauteur, drapé d’étoffes d’Orient, qui semblaient des caparaçons d’apparat, les housses riches de haquenées immobiles; un escalier double en fer à cheval descendait par une pente molle tapissée, avec, au centre, un marbre debout, une Almée nue de Schoenewerk, se voilant la face de ses deux bras tordus, les hanches pleines, comme laiteuses, soulevées par des pudeurs, dessus un socle en peluche cramoisie. Au pied, dans une vasque de malachite, un jet d’eau pleurait goutte à goutte. C’était un éblouissement d’armes rares que les murs, égayés de toiles de prix [...], enguirlandés de ceintures, de tapis de soie, pavés de plats de Rhodes et de Perse qui s’ouvraient comme des yeux glauques, au-dessus des cabinets italiens marquetés d’écaille et de pierres dures et des vitrines flamandes aux tablettes de glaces allumées d’orfèvreries rococo. [...] »

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Hans Makart », La France, 10 octobre 1884.


MALLARME, stéphane

MALLARMÉ Stéphane (1842-1898), poète symboliste. Il enseigna l’anglais à Tournon, Besançon, Avignon, puis Paris (1873). De 1874 à 1875, il rédigea la gazette La Dernière mode, puis publia L’Après-midi d’un faune, en 1876. Vers et prose, en 1893, contient les plus importantes de ses pièces. En prose, on lui doit une traduction d’Edgar Poe (1888) – « ce n’est point une traduction, c’est la résurrection de Poe en vou», lui confie un Mirbeau sous le charme –, Pages (1891) et Divagations (1897). Aux côtés de Verlaine, avec un effort plus systématique pour définir sa théorie esthétique, il doit être considéré comme le maître de la poésie symboliste. Chantre de l’obscurité dans l’art, il se revendique d’un hermétisme qu’il justifie par une poétique basée sur le pouvoir de suggestion des mots, aux dépens d’une peinture descriptive de l’objet. Cette exigence le mènera dans ses dernières productions à des textes d’une rare mais singulièrement complexe beauté.

Si nous nous rangeons à l’hypothèse défendue par Pierre Michel selon laquelle Mirbeau signa ses chroniques, un temps, Tout-Paris, force est de reconnaître que les premières critiques ne furent pas tendres à l’endroit de Mallarmé : le goût français de la clarté achoppe à l’incohérence du fond. En avril 1880, Mirbeau embouche donc la trompette de l’intransigeance française sur le terrain de la logique : Mallarmé, chantre de l’obscurité, se coupe de son public. Mieux inspiré sera le Mirbeau de 1889, qui, dans Le Figaro, prête à un écrivain allemand des propos nettement francophiles en matière de littérature, qui reconnaît dans les vers décriés neuf ans plus tôt, ceux de Hérodiade, la trace d’un verbe qui se moule sur les contours de la chose invoquée autant que évoquée.

C’est qu’en théorie, le genre même de la poésie, a fortiori sibylline, ne semblait pas devoir rapprocher les deux hommes – mais n’oublions pas que le jeune Mallarmé destine à l’origine au théâtre son dialogue Hérodiade. Et c’est en connaisseur avisé que le poète ne tarit pas d’éloges sur la qualité des pièces de Mirbeau ; on ne connaît guère d’appréciations plus synthétiques que ses lignes sur L’Épidémie, par exemple. On sait en outre que Mallarmé – chez qui Sartre décelait une manière de terrorisme de la politesse – appréciait l’œuvre et la personne de Zola, par exemple, non à l’aune de sa propre esthétique quintessenciée, mais selon des critères qui englobaient personnalité, subjectivité, place de l’imaginaire. C’est bien ce qui suscite sa fascination devant l’œuvre de Mirbeau. Les romans donnent résolument lieu aux plus pénétrantes analyses critiques du poète : en l’abbé Jules, en 1888, il trouve « un douloureux camarade, que personne ne saura oublier. […] Avoir mis debout un pareil quelqu’un, voilà assez pour un livre. » Sébastien Roch ne suscite guère moins d’enthousiasme, en 1890 : « Le sujet n’était que risque, avec un autre ; et tourne tout à l’humanité : ce pauvre enfant aura eu un père, que vraiment vous fûtes : auctor. […] Tout dit votre période littéraire par excellence, et définitive, la maîtrise – un quelqu’un sûr et mûr. » Mallarmé a su déceler en Mirbeau un romancier capable d’insuffler à ses créatures une humanité et une part de dignité qui en font nos frères.

Rarement admiration aussi profonde a en effet généré des affinités si durables. Comme Monet, comme Rodin, dans son panthéon à usage personnel, les dieux de Mirbeau intègrent Mallarmé, qui le lui rend bien. Le poète fait partie des convives des Bons Cosaques crées par Mirbeau, ou des familiers de Carrières-sous-Poissy ; il apparaît au sein de la correspondance comme un confident épistolier régulier, intervient auprès de Mirbeau afin d’obtenir de lui une série de chroniques d’art sur les peintres anglais qu’il incite Mirbeau à aller voir à Londres, au printemps 1894.

Par surcroît, la sensibilité anarchiste du poète, bien réelle, n’est pas si éloignée de celle du libertaire Mirbeau. Tous deux témoigneront avec succès en faveur du critique et journaliste Félix Fénéon, en avril 1894, accusé d’acte de terrorisme. Aussi bien, il est étonnant de considérer comment les deux hommes font cause commune sur un terrain insolite lorsqu’il est question de Mallarmé, celui de l’action. Le rôle important joué par Mirbeau au sein de la presse de son temps a soulevé l’admiration du poète, au moins autant que sa place dans le champ de l’art. « Vous êtes le brave », celui qui contribue à « sauver l’honneur de la presse », reconnaît volontiers Mallarmé. En 1895, Mirbeau ferraille violemment contre le principe même des expositions, et obtient le soutien sans faille du poète.

Pour finir, il est permis de constater que Mirbeau n’a pas mis en scène un poète à la manière de Mallarmé (Camille Mauclair n’a-t-il pas donné un Soleil des morts, en 1898), l’auteur de Dans le ciel donne corps en revanche à un peintre assez proche de l’esthétique idéaliste, en 1892-1893, que sa vocation de perfection formelle poussera à la folie, puis à la mort : la tentation du silence qui hanta le maître de Valvins n’est-elle pas la même que celle qui inhibe toute forme de création, chez le peintre Lucien ?

S. L.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, (sous la signature de Tout-Paris), « Les Impressionnistes », Le Gaulois, 2 avril 1880 (recueilli dans Premières chroniques esthétiques, Presses de l’Université d’Angers, 1996, pp. 265-268) ; Octave Mirbeau, « Quelques opinions d’un Allemand », Le Figaro, 4 novembre 1889 (Combats littéraires, pp. 301-304).

 

 


MANET, édouard

MANET, Édouard (1832-1883), peintre, pastelliste et dessinateur français, qui a été un temps l’élève de Thomas Couture, avant de rompre avec le classicisme et l’académisme. Il a été l’ami de Baudelaire, dont il a subi l’influence et qu’il a représenté dans La Musique aux Tuileries (1862), et d’Émile Zola, qui l’a défendu contre la critique tardigrade et dont il a fait le portrait, resté fameux (1868). Il apparaît comme le chef de file de la peinture nouvelle, qui met en rage les bourgeois misonéistes par le choix de ses sujets, souvent provocants, et par sa manière de peindre, contraire à tous les canons en vigueur ; mais, s’il est l’inspirateur de Pissarro et de Monet, il n’est pas pour autant impressionniste stricto sensu. Très souvent refusé au Salon, parce que ses envois choquent les habitudes picturales de l’École des Beaux-Arts, il expose son Déjeuner sur l’herbe au Salon des Refusés de 1862, et, l’année suivante, fait scandale avec son Olympia, que la presse couvre d’injures. Il a peint des portraits, des paysages et des scènes de la vie moderne. Parmi ses toiles les plus célèbres : Lola de Valence (1862), Le Joueur de flûte (1866), L’Exécution de Maximilien (1867), Le Balcon (1869), Le Chemin de fer (1874), Argenteuil (1882), Nana (1877), Bar aux Folies-Bergère (1882), etc. En 1874, il illustre la traduction du Corbeau d’Edgar Poe par Mallarmé. Fantin-Latour  lui a rendu hommage dans son tableau de groupe, Un atelier aux Batignolles.

Nous ignorons quand Mirbeau et Manet ont eu l’occasion de se rencontrer, mais il est plausible que le journaliste ait fréquenté un temps l’atelier du peintre, qui lui a adressé deux lettres, malheureusement non retrouvées, à une date non précisée par le catalogue de la vente Mirbeau de 1919. Dans ses premiers « Salons » de L’Ordre de Paris, parus sous la signature d’Émile Hervet, Mirbeau semble partagé dans son appréciation de Manet : d’un côté, il a tendance à considérer avec une certaine distance critique l’inachèvement choquant de ses toiles, ébauchées « à la va-te-faire-fiche », au regard des exigences habituelles avec lesquelles lui-même n’a pas encore rompu ; mais, de l’autre, il juge sa façon de peindre « juste » et « vivante », comme le confirment éloquemment les réactions des bourgeois quand il leur arrive de découvrir avec horreur une toile de Manet : « Vous n'êtes pas, peut-être, sans connaître un bourgeois quelconque : prenez-le délicatement entre le pouce et l'index, et déposez-le avec précaution devant une toile de M. Manet. Vous verrez aussitôt un beau phénomène se produire : si votre bourgeois a des cheveux, ils se dresseront sur sa tête comme des piquants sur le dos d'un porc-épic. [...]  Car M. Manet a pour spécialité de jeter les bourgeois, et généralement les orléanistes, dans des rages incommensurables. C'est justement ce qui fait que nous bénissons trois fois par jour la Providence, qui a bien voulu donner à M. Manet un talent capable de procurer des attaques d'apoplexie aux Philistins » (« Le Salon XIV », L’Ordre de Paris, 28 juin 1874). Huit ans plus tard, il constate avec satisfaction qu’« on ne rit plus devant les tableaux de M. Manet » et pronostique : « On n’admire pas encore, mais cela viendra » (Paris-Journal, 4 mai 1882). Dans ses « Notes sur l’art » de La France, en 1884-1885, il loue Manet d’avoir « exprimé la vie » avec « la disproportion de ses formes, l’exagération de ses grimaces et de ses grâces maladives » (8 novembre 1884).

Après la mort de Manet, auquel il ne consacre pourtant aucun article, Mirbeau ne manque jamais de citer son nom parmi les plus grands et, en 1889, à l’occasion de l’exposition centennale, il note avec satisfaction que « l’on s’aperçoit enfin que l’Olympia, si durement insultée, est un pur chef-d’œuvre d’art classique » (Le Figaro, 10 juin 1889).  Au même moment, Monet lance une souscription qui permettrait d’acheter Olympia à la veuve de Manet, pour 20 000 francs, et de l’offrir à l’État afin qu’il soit exposé le plus tôt possible au Luxembourg, puis au Louvre, Mirbeau donne aussitôt 300 francs (alors que Zola refuse de souscrire...)  et, en janvier 1890, lorsque la souscription est close, il aide Monet à rédiger la lettre au ministre accompagnant la remise du tableau. Il intervient aussi dans Le Figaro, à la demande de Monet, pour moucher Antonin Proust, ancien ami et modèle de Manet, qui prétend que « le temps n’est pas encore venu pour Édouard Manet d’entrer au Louvre », ce qui lui vaut une lettre de remerciement de la sœur du peintre.

P. M.

 

 

 

 

 

           

 

 

 


MARC, françois

MARC, François, est  un jardinier et viticulteur de Vaudreuil (commune proche des Damps), que Mirbeau a connu vers 1890. Dans un article titré « Encore un ! » paru dans Le Figaro du 22 octobre  1890, Mirbeau voit en sa personne  un « homme de génie ». Monet a eu la primeur de cette découverte quelques mois plus tôt (lettre à Claude Monet, mi-mai 1890). Ce jardinier est génial parce que, autodidacte, il a appris de lui-même à observer la nature, les plantes « et à percer leur secret » ; en effet, il est « doué d’un tempérament chercheur » qui le dispense d’aller puiser des théories dans les bouquins. Son courage et sa ténacité lui permettent aussi de créer sa propre méthode de travail, en rupture  avec les traditions viticoles et familiales. C’est ainsi qu’« il introduisait l’anarchie dans les vignes soumises à de longues années d’autorité » et obtenait  de tellement belles grappes de raisin, dans une région peu favorable à la viticulture, que les jurys le soupçonnaient de les obtenir dans des serres – alors que son exploitation n’en était pas équipée ! De la même façon,  Auguste Rodin s’était vu refuser une statue admirable au Salon, au prétexte qu’elle était trop belle pour ne pas avoir été moulée sur un modèle.

Finalement, il finit par être reconnu à l’Exposition universelle de 1889 et publia un résumé de 9 pages de sa méthode, après quatre mois d’un labeur qui faillit lui coûter la vie ! Mirbeau aimait rencontrer ce jardinier-poète, car il parlait des fleurs avec « des délicatesses d’expression qu’envierait un poète ». Jules Huret, Edmond de Goncourt et Marguerite Audoux avaient la même sensation en écoutant Mirbeau parler des ses fleurs. François Marc produisait aussi des chrysanthèmes « d’une folie de forme et d’une beauté de couleurs », qu’il ne manqua pas de réserver pour son ami Monet.   

J. C.

 


MAUCLAIR, camille

MAUCLAIR, Camille (Séverin Faust, dit) (1872-1945), homme de lettres français. Après des études en Sorbonne, venu très tôt à la critique littéraire, artistique et musicale, il fut diversement apprécié par son entourage. Collaborant au Théâtre d’Art de Paul Fort et à l’Œuvre de Lugné-Poe, dont il fut l’un des fondateurs, il participa à la création du drame Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck (1893). « Quand on le connaît, témoigna Lugné-Poe, il donne dans l’aspect blond et coupant. […] Il gardait en mains des fils avec […] tous les salons, chez Stéphane Mallarmé, chez Paul Hervieu, chez de Régnier, chez Barrès et jusque chez les snobs. […] Ses yeux vous gagnaient par leur acuité ; plus que quiconque il devait avoir un but. » Celui d’arriver au plus vite. Il publia des poèmes symbolistes et des « chansons », certaines mises en musique par Gabriel Fabre. Maeterlinck soutint son recueil d’essais, Eleusis, causeries sur la cité intérieure (1894). Sa précocité agaçait ses confrères. Remy de Gourmont se montra le plus cruel dans son deuxième Livre des Masques : « On l’a présenté tel qu’un disciple de M. Barrès ; il le fut aussi de M. Mallarmé, de M. Maeterlinck, de plusieurs modes d’art, de plusieurs philosophies, de toutes les manières de vivre et de penser. […] En cela un peu féminin, il se donne sincèrement à des passions successives dont le sourire lui dérobe le reste du monde et il se couche aux pieds de l’idole qu’il renversera demain. » À vingt-six ans, il avait déjà publié deux romans. Dans Le Soleil des morts (1898), roman contemporain dédié à Ernest Chausson, on reconnaît en son héroïne principale la cantatrice Georgette Leblanc 0150 que Mauclair eut la malchance de présenter à Maeterlinck, qui en fit sa compagne – et la danseuse américaine Loïe Fuller. Un des personnages masculins est inspiré de Mallarmé, etc. Un autre pourrait être Mirbeau, sans doute…

Ses relations avec Mirbeau commencent en 1893. Pour la création de Pelléas et Mélisande, il rédige un article que l’auteur de L’Abbé Jules signe seul dans L’Écho de Paris du 9 mai, « Pelléas et Mélisande ». Mais l’aîné, en dépit d’un début prometteur, ne semble pas avoir la moindre considération pour son cadet. Certaines de ses lettres lui accordent peu d’estime. Mirbeau ridiculisa Couronne de clarté, roman féerique illustré par Rochegrosse (1894). Membre du jury Goncourt, il s’opposa, en 1903, à l’attribution du prix à La Ville Lumière et s’en prit à Mauclair, dans La 628-E8. Le littérateur s’en souvint et publia un violent pamphlet sous le titre « Dingo et M. Octave Mirbeau » : « Il serait irrévérencieux de voir en Dingo une autobiographie allégorique. Et cependant, si ce livre ne nous apprend rien de nouveau sur la manière de M. Mirbeau, il a du moins l’intérêt de nous résumer éloquemment sa nature ; l’auteur est si personnel qu’en dépeignant son féroce animal il nous a restitué sa propre psychologie. » (Le Pamphlet, n° 1, septembre 1913). Cette citation donne le ton du libelle.

Après la Grande Guerre, Mauclair présenta sa carrière dans Grandeur et servitude littéraire (1922). Il fournit d’innombrables écrits sur l’art et sur les villes, tout en collaborant à la presse de province, et n’évita pas la polygraphie. Il régressa de plus en plus vers la glorification de l’art « français » contre l’invasion des « métèques dans la peinture ». Définitivement aigri en 1940, il crut trouver en Pétain le défenseur des vraies valeurs et écrivit désormais dans La Gerbe, un des pires journaux de la collaboration, oů il attaqua Gide et la N.R.F., tout en donnant libre cours à son antisémitisme et à son anticommunisme (La Crise de l’art moderne, 1944).

Il représente le raté typique de la période 1900. Ayant débuté trop jeune et avec trop de facilité, il se survit indéfiniment, n’ayant rien apporté de neuf à la littérature de son temps. Rejeté par Mirbeau aussi bien que par Gide, il est tenu en suspicion par les gens du Mercure de France où il écrit. Rachilde se moqua de lui et de ses prétentions à l’élitisme. En 1908, Jules Renard notait dans son Journal : « Vraiment, vous trouvez bien ce que je fais ? me dit Mauclair. – infiniment intelligent.– Ah ! je ne sais plus. Il me semble que je recule. Jamais je n’ai tant douté de moi. » Malheureusement, Mauclair ne profita pas de cette crise de lucidité, suivit sa pente et aboutit à l’infamie.

M. B.-J.

 

Bibliographie : Maxime Benoît-Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941), Le Cri, Bruxelles, 1998 ;  Camille Mauclair, Servitude et Grandeur littéraire, souvenirs d’arts et de lettres, 1890-1900, Ollendorff, 1922.

 


MAUFRA, maxime

MAUFRA, Maxime (1861-1918), peintre et dessinateur originaire de Nantes. De tendance impressionniste, il s’est spécialisé dans les paysages, avec une prédilection pour les marines, et a surtout peint les bords de la Loire et la Bretagne. En 1890, il a rencontré Gauguin et a fait partie du groupe de Pont-Aven.  Il a évolué alors vers le synthétisme.

. C’est Mirbeau qui l’a révélé dans son « Salon » de 1886, où il écrivait notamment : « La Loire près de Nantes. Un bateau est amarré, un petit bateau bleu avec un bordage blanc rayé de rouge. Et ce bateau est un des meilleurs morceaux de peinture qui soient au Salon. Vous ne pouvez vous imaginer l’exquisité de ce ton blanc, de ce ton rouge, et la merveilleuse façon dont ces trois tons passent l’un dans l’autre. [...] Cela est purement délicieux. »  En 1894, Mirbeau a fait un compte rendu élogieux d’une exposition de soixante tableaux et dessins de Maufra chez Le Barc de Boutteville :  « J'ai été tout de suite conquis car je me suis trouvé en présence de quelqu'un en pleine possession de soi-même et qui, après les hésitations nécessaires, les troubles éducateurs  et féconds, a réalisé ce qui seul importe dans l'art, ce qui en est la  joie, et, dirai-je, l'excuse : le style. » Il admire surtout les dessins, « parce que c'est là qu'il se montre sous tous les aspects de sa nature d'homme impressionnable et chercheur, parce qu'il fixe, en lignes vraiment intellectualisées, toute sa compréhension et tout son rêve » (« Maufra », L'Écho de Paris, 30 janvier 1894). Il fréquente alors l’atelier de Maufra à Montmartre et y fait la connaissance d’Aristide Briand.

P. M.


MAUPASSANT, guy de

MAUPASSANT, Guy de (1850-1893), journaliste, conteur et romancier, qui a subi à ses débuts l’influence de son père spirituel, Gustave Flaubert. Il a mené pendant plus de dix ans la vie modeste d’un employé de ministère, tout en pratiquant le canotage et en multipliant les conquêtes féminines, avant de pouvoir vivre de sa plume au lendemain de la révélation, en 1880 de son chef-d’œuvre, Boule de Suif, inséré dans les Soirées de Médan. Il a écrit six romans : Une vie (1883), qui est le plus proche de l’idéal naturaliste, Bel Ami (1885), où il décrit les coulisses du Gil Blas auquel il collabore, Mont-Oriol (1887), Pierre et Jean (1888), dont l’importante préface exprime son éloignement du naturalisme, puis Fort comme la mort (1889) et Notre-Cœur (1890), qui se ressentent fâcheusement de l’influence de Paul Bourget. Mais ce qui lui a valu une réputation hors de pair, ce sont quelque trois cents contes et nouvelles publiés dans la presse et recueillis dans une douzaine de volumes : La Maison Tellier (1881), Mademoiselle Fifi (1883), Contes de la bécasse (1883), Les Sœurs Rondoli (1884), Le Horla (1887), La Petite Roque (1886), Le Rosier de Madame Husson (1888), etc. Dans ces récits imprégnés d’un pessimisme schopenhauerien, il excelle à suggérer la vie avec un minimum de moyens, au risque parfois de paraître simpliste ou vulgaire. Il a brillé aussi bien dans des contes fantastiques, enracinés dans le très ordinaire de la vie, que dans des contes réalistes, notamment des contes du terroir normand, ce qui le rapproche de Mirbeau. Sur la fin, son snobisme croissant et le progression d’une syphilis ont quelque peu altéré son talent. Après une tentative de suicide, il a été interné dans une maison de santé, où il est mort quinze mois plus tard, sans avoir retrouvé sa lucidité.

C’est dans les années 1870, à Paris, que Mirbeau a commencé à fréquenter Maupassant, une des très rares personnes qu’il ait jamais tutoyées. Deux épisodes bien connus témoignent de leur complicité à cette époque : le 13 avril 1875, Octave a joué dans la farce obscène de Guy,  À la feuille de rose, maison turque, dans l’atelier du peintre Maurice Leloir ; et, le 31 mai, 1877, ils ont tous deux participé au fameux dîner chez Trapp, où six jeunes écrivains rendaient hommage à Flaubert, Goncourt et Zola. Ils fréquentaient alors la même bohème littéraire, notamment le milieu de La République des Lettres de Catulle Mendès, ils devaient bien souvent se contenter des « inexprimables cuisines » de la mère Machiny, ils aspiraient pareillement à la reconnaissance de leurs prestigieux aînés et ils ne s’interdisaient aucune frasque ni aucune provocation. Lorsque Guy est victime, en janvier 1880, de poursuites judiciaires pour un poème, « Une fille », jugé contraire aux bonnes mœurs, Octave, à la demande de son ami, servira tout naturellement d’intercesseur auprès de son patron, Arthur Meyer, pour permettre à Gustave Flaubert de s’élever, dans Le Gaulois du 21 février 1880, contre les poursuites engagées à l’encontre de son protégé. Au cours des années 1880, Mirbeau rend à plusieurs reprises hommage au talent de son ami, « ce conteur robuste et fécond, qui mêle avec tant d’art l’observation le plus cruelle aux sensibilités les plus délicates » (Les Grimaces, 8 septembre 1883), et consacre notamment à Bel Ami un article fort élogieux (voir « La Presse et Bel Ami », La France, 10 juin 1885). En novembre 1885, il dédie une des meilleures Lettres de ma chaumière, « Justice de paix », à Guy de Maupassant, qui lui avait dédie « Aux champs » en octobre 1882. De son côté, Maupassant adresse à son ami une lettre élogieuse sur Le Calvaire et lui manifeste une sympathique compréhension de L’Abbé Jules.

Pourtant des fêlures sont apparues depuis plusieurs années. La vulgarité de Maupassant, sa vanité de beau mâle fier de ses biceps et de ses conquêtes féminines, semblent de mauvais aloi à Mirbeau, qui lui préfère de beaucoup la finesse et la délicatesse du gentil Paul Hervieu. Octave est aussi fort irrité par ce qu’il considère comme du réclamisme dans la façon dont Guy organise sa célébrité croissante (voir notamment « Réclame », Le Gaulois, 8 décembre 1884). Par ailleurs, peut-être sous l’effet de la maladie, Maupassant lui donne la douloureuse impression de ne plus s’intéresser à rien et de ne plus rien aimer, ni la nature, ni les amis, ni l’art, ni la littérature (« jamais Maupassant n’a rien aimé, ni son art, ni une fleur, ni rien ! », écrit-il à Claude Monet) : un fossé semble désormais les séparer.

Mais ce qui achève de le détacher de son ancien complice, c’est le snobisme de Maupassant, dont, à force de fréquenter du beau linge (les Rothschild, Pereire et autres Fould), le solide bon sens de terrien normand ne résiste pas bien longtemps à ce que Goncourt appelle sa « folie des grandeurs ». Car, pour Mirbeau, ce snobisme n’est pas seulement révélateur d’une âme vulgaire : il corrompt aussi le talent, altère « la sincérité des sensations » et « l’exactitude de l’œil », comme le prouve par exemple la déplorable conversion de Maupassant à la psychologie bourgétienne, dans Notre cœur. Dans le tardif récit, inséré en 1907 dans La 628-E8, de sa dernière rencontre avec Bourget et Maupassant, le 2 février 1890, à Cannes, sur le Bel Ami, Mirbeau évoquera ainsi la mortifère influence de Bourget : « Le déjeuner fut morne, morne... Maupassant ne disait pas un mot... Il était si affreusement triste, il nous regardait avec des regards si étranges, si étrangement lointains, que je ne pus m'empêcher de lui demander : “Qu'est-ce que tu as ?... Es-tu malade ?...” Il se décida enfin à répondre : “Non... Je ne suis pas malade... seulement... voilà... tu comprends ?... Hier... tiens !... à la place où tu es, il y avait la princesse de Sagan... là, où est Bauër, la comtesse de Pourtalès... Qu'est-ce que tu veux ? [...] Ces femmes-là... je les adore... parce que, mon vieux, vois-tu ?... elles ont quelque chose que les autres n'ont pas, et qu'avaient nos aïeules... nos chères aïeules... l'amour de l'amour !” Tous, nous avions le cœur serré, sauf Bourget qui, s'adressant à Maupassant, lui demanda : “Et Notre cœur ?... Où en êtes-vous ?” Et, comme Maupassant ne répondait pas, faisait un geste vague : “Quel beau titre ! s'écria Bourget, qui nous prit à témoins... Vous verrez... ce sera le plus merveilleux livre !... Un livre extraordinaire !” Il eut le courage, ou l'inconscience, d'appuyer plus lourdement : “Il me le doit... car c'est moi qui l'ai amené à la psychologie... N'est-ce pas, Maupassant ?... c'est moi ? Dites que c'est moi ?” Alors, Maupassant hocha la tête, et il se mit à rire, d'un rire pénible qui me fit l'effet d'une sonnerie électrique qui se déclenche... Jamais, rien de si douloureux.... de si funèbre... Voilà donc où il en était, ce rude garçon, que, tant de fois, sur les berges de la Seine, bras nus, maillot collant, j'avais vu manier l'aviron avec un si bel entrain de joyeux canotier !... »

P. M.

 

Bibliographie : Samuel Lair, « Maupassant et Mirbeau : le clos et l’ouvert » , Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 15-29 ; Pierre Michel, « Maupassant et L’Abbé Jules », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 209-234 ; Pierre Michel, « Mirbeau et Maupassant », L‘Angélus, n° 18, 2009, pp. 26-40.

 

 


MEISSONIER, jean-louis-ernest

MEISSONIER, Jean-Louis-Ernest (1815-1891), peintre français. Après un rapide passage dans l’atelier du peintre Léon Gogniet et des débuts plutôt difficiles, Meissonier se spécialisa dans la peinture historique, sans négliger cependant la peinture de genre. Artiste prolifique et soucieux du détail, il obtint richesse et honneurs (première médaille en 1848, membre de l'Institut en 1861, médaille d'honneur en 1867, grand-croix en 1889, etc.) grâce à ses scènes militaires. Adulé de son vivant, il tomba dans l’oubli à sa mort.

Mirbeau ressent le plus grand mépris pour « l’habilité pernicieuse de Meissonier », qui maîtrise et respecte à la perfection les règles d’école. Aucune « faute de dessin », aucun passepoil négligé, mais pas non plus d’ampleur ni de vie chez celui qui « toujours raidit l’homme et le ramène à la mort du squelette, à l’immobilité de l’armature » (La France, 21 mars 1885). Tout est étriqué et factice. Mirbeau se plaît à le ridiculiser ; pour cela, il use souvent de la même image. À quatre reprises, il le décrit en train de semer de la farine dans son jardin de Poissy pour figurer la neige lors des campagnes napoléoniennes : « cet homme scrupuleux et botté, répandait de la farine, dans son jardin, quand il avait à peindre un effet de neige, d’après nature…. Peut-être employait-il la neige à pétrir son pain… » (Paris-Journal, 19 mars 1910). Cette impression de  faux, de faux-semblant, si le critique la constate devant toutes les productions des peintres académiques, il l’éprouve avec une acuité accrue devant les scènes militaires.  Peut-être parce ce que ce genre se prête encore plus que les autres à l’artifice, aux décors de carton-pâte. Après la défaite humiliante de 1870, la France chauvine a besoin d’être réconfortée,  il faut donc exalter le sentiment national. Le public veut voir une France glorieuse, Meissonier la lui offre. Mais le bruit de bottes n’a jamais ému Mirbeau, bien au contraire. Il est de ceux qui militent pour la paix, il condamne donc sans rémission cette peinture belliqueuse : « Tout est sacrifié à une virtuosité mécanique, ennuyeuse et fatigante, à la recherche d’un détail puéril, seulement visible à la loupe et qui n’importe pas. Qu’est-ce que cela me fait que M. Meissonier sache mieux qu’un capitaine d’habillement la longueur d’une capote de fantassin et le numéro d’un schako d’artilleur ? » (Le Matin, 22 janvier 1886).

L’inspiration guerrière de Meissonier aurait amplement suffi pour que Mirbeau déteste cet artiste, mais cet homme pousse encore plus loin ses élans patriotiques, il cherche à être élu sénateur. Aux yeux du critique, il n’existe pas de pire blasphème que de mêler l’art à la politique. Pour cela, il va consacrer deux chroniques au peintre l’une, datée du 22 janvier 1886, qu’il publie dans Le Matin : « Votons pour Meissonier  », l’autre, du 23 janvier, qui paraît dans L’Événement : « Lettre à M. Meissonier, candidat sénatorial ». Ces articles  poursuivent le même but : conduire Meissonier à abandonner ses projets électoraux. Dans Le Matin, journal d’informations sans réelles tendances politiques, il rédige un article mordicant où il corrode la réputation de Meissonier. Non content de dénigrer son art, et l’art académique qu’il symbolise, il cherche aussi à le discréditer dans ses fonctions municipales : « [...] Quel beau sujet de tableau pour un peintre de tant de scènes militaires : M. Meissonier, à cheval dans un paysage, distribuant des bulletins, collant des affiches, faisant des proclamations et rentrant dans sa bonne ville de Poissy sur son destrier couvert de sueur, aux cris de : « Vive la République ! ». » Dans L’Evénement, quotidien fortement marqué à gauche, le journaliste anarchiste rédige un violent réquisitoire contre l’ingérence de la politique dans l’art. Cette chronique est plus un article politique qu’une critique esthétique. Mirbeau, d’habitude si caustique à l’encontre de Meissonier fait preuve ici de mansuétude. Il ne se moque plus de l’artiste ennuyeux, méticuleux  qui n’a jamais su « animer le bois de ses modèles », il nous présente un homme pur, un esthète idéaliste qui croit au grand sentiment et à la noble tâche du sénateur. Ses généreuses utopies, mais surtout son intégrité et son indépendance d’esprit valent à l’artiste la sympathie et l’estime du journaliste : « vous ne serez jamais un homme politique. Je ne vous vois point du tout intriguant dans les couloirs, faisant des manœuvres, donnant aux reporters des nouvelles intéressantes et intéressées ». En effet, quoique Mirbeau n’apprécie pas son talent, Meissonier est quand même un peintre et, à ce titre, un élu qui se doit de consacrer sa vie à l’art. Il va même, dans la dernière partie de cet article, jusqu’à faire un parallèle entre cet artiste, qui ne lui inspire pourtant à l’accoutumée que dégoût et mépris, et des grands peintres. Il ne faut cependant pas être dupe de cette accalmie dans la critique de Mirbeau. Il ne s’essouffle pas et cette peinture académique demeure pour lui un art honni qu’il faut condamner haut et fort. Mais si, dans cette chronique, les sempiternelles diatribes font place à de bienveillantes mises en garde, c’est que la politique reste pour lui la plus corrompue et la plus corruptrice des activités humaines. Exceptés ces deux articles, Mirbeau se contente de citer le nom de Meissonier au milieu d’artistes à proscrire ou de tourner ce peintre en ridicule dans des commentaires cinglants.

L. T.-Z.

 

Bibliographie : Laurence Tartreau-Zeller,  « Mirbeau et Meissonier », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 110-125 ; Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau – Une critique du cœur, Presses du Septentrion, Lille, 1999, pp.154-157, 173-184, 201-222

 


MELINE, jules

MÉLINE, Jules (1838-1925), politicien français. Ancien avocat, il a été élu député des Vosges en 1872, puis a été deux fois ministre de l’Agriculture, et enfin président du Conseil d’avril 1896 à juin 1898. Représentant de la droite républicaine, conservatrice et rurale, il était partisan du protectionnisme économique, considérant que, pour soutenir l’agriculture, qui était à ses yeux la base du développement, il fallait ériger des barrières douanières, ce qui lui a valu, parmi les paysans, volontiers « mélinistes », une grande popularité dont Mirbeau s’est souvent gaussé. C’est sous son ministère qu’ont eu lieu les premiers remous de l’affaire Dreyfus. Confronté aux conséquences du « J’accuse » d’Émile Zola, paru dans L’Aurore le 13 janvier 1898, et qui visait à mettre le gouvernement au pied du mur, il est parvenu à se sortir du dilemme dans lequel Zola voulait l’enfermer en isolant une phrase de l’ensemble du texte, sans dire mot du reste. Dès lors, il pourra prétendre qu’« il n’y a pas d’affaire Dreyfus », mais simplement une diffamation du conseil de guerre, accusé par Zola d’avoir acquitté Esterhazy « sur ordre », accusation impossible à prouver et par conséquent diffamatoire et passible de poursuites judiciaires, sans que jamais il soit besoin d’évoquer le fond de l’affaire. Méline a démissionné le 15 juin 1898 et a été remplacé par Henri Brisson. Il sera de nouveau ministre de l’Agriculture en 1915.

À plusieurs reprises, Mirbeau a vigoureusement dénoncé ce qu’il appelle sa « fureur protectionniste », d’abord dans deux articles du Figaro : « Protégeons-nous les uns les autres » (24 mars 1894) et « Encore M. Méline » (13 avril 1891), ensuite dans Le Journal du peuple : « Une face de Méline » (1er mars 1899). Pour lui, le protectionnisme étouffe la vie en même temps que la lutte et le mouvement, il empêche l’épanouissement des potentialités du plus grand nombre et il contribue à affamer les pauvres en interdisant la concurrence favorable à la baisse des prix. En imposant des droits de douane aux importations et en garantissant des prix élevés aux agriculteurs français riches ou aisés, il « n’a servi, jusqu’ici, qu’à la protection exclusive des riches », et a eu et aura encore pour conséquence l’élévation des prix, le renchérissement du coût de la vie pour le plus grand nombre et, par voie de conséquence, l’accroissement de la pauvreté. En 1891, dans un quotidien de droite comme Le Figaro, Mirbeau  pronostique déjà, mais sur le mode plaisant, « un désastre fatal, plus irréparable que celui de 1870 », le protectionnisme risquant fort, « après quelques années de fonctionnement », de nous laisser dans « le même état de dénuement » que la petite femme nue qui symbolise la Postérité dans le monument Flaubert à Rouen, car, avec Méline, ce sera le retour aux « beaux jours des civilisations préhistoriques, où les hommes cachaient leurs chairs nues sous la fruste ingéniosité des dépouilles agrestes »… Il est encore plus virulent en 1899, dans un quotidien libertaire : « Il faut, pour qu’il soit grand et fort, qu’un peuple crève de faim. Or, pour qu’un peuple crève de faim, M. Méline a observé qu’il suffit de le protéger. Et, par protéger, M. Méline entend qu’il faut obliger le producteur à produire les objets de consommation à des prix tels que personne ne puisse plus consommer. Voilà tout le système. Depuis qu’il fonctionne sous la garde des lois, il a donné de surprenants résultats. Il y a eu, de tous les côtés, des ruines en grand nombre, et tout le monde s’est plaint de la cherté croissante de la vie. Jamais, non plus, tant de chômage ! » (« Une face de Méline », loc. cit.).

P. M.

 

 

 

 


MENDES, catulle

MENDÈS, Catulle (1841-1909), écrivain polyvalent et forçat de la plume, engagé par contrat à produire une masse de volumes souvent bâclés dans l’urgence. Il a été tout à la fois poète, de tendance parnassienne à ses débuts (Hespérus, 1869, Odelettes guerrières, 1871), conteur et romancier à l'érotisme faisandé (Zo'har, 1886, son chef-d’œuvre, L'Homme tout nu, 1887, Méphistophéla, 1890, La Maison de la vieille, 1894, etc.) et auteur dramatique (La Reine Fiammette, 1889, Médée, 1898, Scarron, 1905, et Sainte Thérèse, 1906). Journaliste, il a dirigé La République des Lettres (1876-1877), puis La Vie populaire. Il a collaboré successivement au Gil Blas, à L'Écho de Paris et au Journal, où il a tenu longtemps la chronique théâtrale (ses chroniques de 1895 à 1900 ont été recueillies dans L’Art au théâtre). En 1900, il a été chargé par le gouvernement d’un rapport sur le Mouvement poétique français de 1867 à 1900, publié en 1903, et qui a été fort mal reçu par les poètes se réclamant du symbolisme. Il a épousé Judith Gautier, fille de Théophile, mais a longtemps vécu avec la compositrice Augusta Holmès, dont il a eu cinq enfants. Il est mort accidentellement, écrasé par un train.

Mirbeau a fréquenté un temps La République des Lettres, organe des lettres nouvelles,  et a dû alors nouer des relations d’autant plus cordiales avec Mendès qu’il s’est montré élogieux pour Augusta Holmès (voir la notice). Cela ne l’a pas empêché, quelques années plus tard, de le vilipender bassement dans un article aussi odieux que stupide, « La Littérature en justice » (La France, 24 décembre 1884), où il le traitait d’« Onan de la littérature » et de « Charlot qui s’amuse » et l’accusait d’avoir ouvert, « dans le livre et dans le journal, une véritable maison de passe ». Les deux hommes s’étaient alors courtoisement battus en duel, le 29 décembre 1884, ne s’infligeant que des égratignures. Pris de remords, Mirbeau s’est rapidement réconcilié avec Mendès  et a fait publiquement son mea culpa : « Je viens d’achever la lecture du livre nouveau de M. Catulle Mendès, et ce livre m’a ramené vers un passé déjà lointain et non exempt de remords. Je revois dans une clairière, proche de la Seine, habit bas et l’épée à la main, deux hommes destinés à s’aimer par un commun amour, par une même passion fervente des joies esthétiques, et qui pourtant allaient se ruer l’un sur l’autre. C’était M. Catulle Mendès et moi. Vous l’avez oublié, mon cher Mendès, ce méchant et déraisonnable article où, par une inconcevable folie, reniant mes propres croyances, je vous reniais vous, le poète de tant de beaux rêves, le chantre de tant d’exquises musiques. Je m’en souviens, moi, pour le haïr. Et puisque, avec cette Grande Maguet triomphante dont les lecteurs du Figaro ont savouré les tour à tour effrayantes et délicieuses imaginations, puisque, avec cette Grande Maguet, par qui grandissent encore votre renommée et votre talent, l’occasion désirée se présente à moi d’effacer cette vilaine page d’antan, laissez-moi exprimer ce que je pense de vous, car, vous le savez aujourd’hui, cet article tombé de ma plume n’a point passé par ma tête ni par mon cœur. » Ce qu’il admire chez Mendès, c’est d’avoir « fait œuvre de poète » : « Poète en ses drames que gonfle un souffle énorme d’épopée ; poète en ses études de critique, où il dit l’âme et le prodigieux génie de Richard Wagner ; poète en ses fantaisies légères d’au jour le jour, harmonieuses et composées ainsi que des sonnets ; en ses contes galants où, sous les fleurs de perversité et les voluptés féeriques et précieuses des boudoirs, percent parfois le piquant d’une ironie et l’amer d’un désenchantement ; poète en ses roman, surtout avec Zo’har, aux baisers maudits, même avec La Première maîtresse, qui ne craint pas de descendre jusque dans le sombre enfer contemporain de nos avilissements d’amour, tout arrive à son cerveau en sensations, en visions de poète, tout, sous sa plume, se transforme en images de poète exorbitées et glorieuses, la nature, l’homme, aussi bien que la légende et que le rêve » (« Impressions littéraires », Le Figaro, 29 juin 1888). Nouvel hommage trois ans plus tard dans sa fameuse interview par Jules Huret (L’Écho de Paris, 22 avril 1891) : « Mendès ! Où est-il, le poète plus exquis, plus poète, plus personnel ? Oui, plus personnel, car, enfin, elle est finie, cette légende de Mendès imitateur d’Hugo et de Leconte de Lisle ! Écoutez ce vers d’Hespérus : “Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu.” Et l’œuvre de Mendès est pleine de choses pareilles, il n’y a qu’à le lire ! C’est comme sa prose ; dans son dernier roman, par exemple, La Femme-enfant, qui va paraître sous peu, et dont le succès sera énorme, croyez-vous que le passage des coulisses, entre autres, n’est pas du réalisme intense ? Et les tourments d’artiste, du début de l’ouvrage, et tant d’autres pages, croyez-vous que ce n’est pas de la meilleure psychologie ? Pourquoi nous embête-t-on alors avec des étiquettes, puisqu’un même homme, un même artiste comme Mendès résume en lui toutes les qualités possibles du plus parfait des écrivains !... »

De son côté, Mendès, dès janvier 1886, a republié plusieurs des contes de Mirbeau dans La Vie populaire, puis a courageusement fait paraître le subversif Sébastien Roch (1890) en feuilleton dans L’Écho de Paris. Par la suite, il a été très élogieux pour Les Mauvais bergers et, plus encore, pour Les affaires sont les affaires, dont Mirbeau lui avait lu le premier jet alors qu’il venait juste d’en finir.

 

P. M.


MEUNIER, constantin

MEUNIER, Constantin (1831-1905), peintre et sculpteur belge, originaire du Borinage, et d'inspiration naturaliste. Il a surtout sculpté des hommes au travail : mineurs, marteleurs, verriers, faucheurs. Mirbeau a fait sa connaissance par le truchement de Rodin. Très admiratif pour lui depuis son Salon de 1886, il révisera en baisse son jugement à l’occasion de sa bataille pour Aristide Maillol et le monument à Zola, en 1904, qui lui fera mieux percevoir les limites de son naturalisme et de son métier, auquel il est venu trop tardivement pour en avoir une parfaite maîtrise.

C'est Mirbeau qui a contribué à la notoriété de Meunier en parlant élogieusement de son Marteleur dans son « Salon » de 1886 : « belle œuvre, simple, grandiose et d’un art tel que je le rêve », car « nous sommes devant la nature même », et non face à une « académie » (La France, 7 juin 1886). Sans être dupe de l’excès du compliment, Meunier l'en a remercié aussitôt : « Est-il possible, est-ce bien vrai ? que vous pensez tant de bien du Marteleur, mon premier essai un peu sérieux en sculpture, est-ce mon humble bonhomme qui vous a inspiré la page éloquente que vous lui consacrez dans La France, ce serait devenir fou d'orgueil si... avec le demi-siècle que je porte, hélas ! sur les épaules, je ne comprenais que ma statue, conçue et exécutée avec le plus profond respect de la nature, a été pour vous l'occasion de combattre, et de bonne plume, cet art faux et de surface, cet art cosmopolite qui nivelle les peuples en leur ôtant leur caractère primitif d'originalité... Je vous remercie mille fois de vos bonnes paroles indignées. ». Sept ans plus tard, Mirbeau continue de voir en Constantin Meunier, « un considérable, un immense artiste, dont il faut parler avec ce respect et cette joie qu’on éprouve devant les créateurs de chefs-d’œuvre éternels ». Certes, il a appris tardivement le métier de sculpteur après avoir subi la révélation de Rodin, mais il est devenu, « du premier coup, presque un maître », il a continué « le grand, le douloureux poème de la mine » et « poursuivi  son rêve de pitié, de beauté et de révolte, non au moyen d’anecdotes dramatiques et de frissonnantes mises en scène, mais par la calme et simple restitution de cette figure spécialisée : le travailleur aux prises avec ce monstre, le travail » : « C’est pourquoi l’œuvre de Meunier, qui n’est que de beauté, atteint par la beauté même et par la beauté seule, sans préméditation de littérature, sans supercherie de symbolisme, à cette intensité de vérité humaine, à cette signification violente de terreur sociale. On demande parfois ce qu’est l’art anarchiste... Eh bien, le voilà. C’est le beau » (« Ceux du Champ-de-Mars », Le Journal, 12 mai 1893). Constantin Meunier est évidemment très « content » de ce dithyrambe, mais de nouveau il sait faire la part des choses, comme il l’écrit à Rodin : « Évidemment, la pitié envers les humbles entre pour beaucoup dans son lyrisme à mon égard, mais justement c’est ce qui me fait l’aimer, ce brave Mirbeau, cet esprit courageux et noble. Quelle préface à son Salon des Champs-Élysées ! »

Le jugement de « ce brave Mirbeau » va évoluer, car il va se rendre mieux compte des insuffisances du métier de son ami. Certes, il n’en continue pas moins à manifester son respect  pour la dignité d’un « artiste intéressant et méritoire » et pour « la signification humaine » de son œuvre. Mais, sur les sculptures elles-mêmes,  il en arrive à écrire presque le contraire de ce qu’il affirmait jadis. Ainsi, en 1904, dans un texte manuscrit, . il ne lui reconnaît que « deux œuvres presque belles » et regrette qu’il soit « venu trop tard à la sculpture », car, s’il éveille souvent « de  la pitié », cela ne suffit pas pour créer de « la beauté » (« Constantin Meunier »). Trois ans plus tard, au chapitre III de La 628-E8, il précise ses reproches : « Il ne sait pas toujours combiner avec harmonie un monument, architecturer un ensemble, grouper des figures... On sent trop l'effort en tout ce qu'il fait. La souplesse qui donne la vie, le mouvement à la matière, est peut-être ce qui lui manque le plus. Seul, le morceau vaut ce qu'il vaut, et le plus souvent il n'a qu'une valeur – par conséquent, une illusion – de littérature. » Et Mirbeau de rapporter l’anecdote symbolique de la statue de Zola, où le comique grinçant se mêle au tragique et qui aboutit à cette conclusion désolante pour le vieux sculpteur : « « Finalement, après des jours d'efforts, après des luttes douloureuses avec son œuvre et avec lui-même, il en vint à cette conclusion stupéfiante: que, esthétiquement, du moins, les deux figures de la Vérité et Zola s'excluaient, qu'il fallait choisir entre la Vérité et Zola et ne plus tenter de les associer l'une à l'autre, en bronze. Et il choisit Zola, réservant la Vérité pour une destination inconnue. »

P. M.

 

 

 

 

 


MEYER, arthur

MEYER, Arthur (1844-1924) était un journaliste, un patron de presse et un mondain. En juin 1879 il a pris la direction du Gaulois, quotidien qui était alors bonapartiste, et il l’a conservée toute sa vie, hors une brève interruption en 1881-1882, où il a dû laisser la place à Élie de Cyon. Il a fait du Gaulois un organe légitimiste et catholique et s’est lui-même converti au catholicisme, en 1901. Il était très répandu dans les milieux mondains, aristocratie et grande bourgeoisie. Quoique juif et exposé aux attaques des antisémites – il s’était même battu en duel avec Drumont, le 25 avril 1886, après la publication de La France juive et s’était alors déshonoré en écartant de la main la pointe de l’épée de son adversaire –, il est à son tour devenu antisémite, comme l’étaient les milieux conservateurs qu’il fréquentait. Pendant l’Affaire, il a tout naturellement été anti-dreyfusard. Meyer a publié des souvenirs, Ce que mes yeux ont vu (1911) et Ce que je peux dire (1912).

            Octave Mirbeau a été pendant plus de deux  ans son secrétaire particulier, à partir de l’automne 1879, et a alors collaboré au Gaulois, sous son nom et sous les pseudonymes de Gardéniac et de Tout-Paris. L’entente était loin d’être parfaite, car Meyer ne se souciait aucunement de littérature et aurait voulu confiner Mirbeau dans la chronique parisienne, de préférence mondaine et « très emballée ». Les deux hommes se sont brouillés et réconciliés à plusieurs reprises, Mirbeau reprenant brièvement sa collaboration au Gaulois en 1896. Mais l’affaire Dreyfus les a opposés violemment et éloignés définitivement : au cours du procès de Dreyfus à Rennes, en août 1899, ils se sont retrouvés dans le même hôtel, et, en découvrant son ancien patron, Mirbeau l’a pris au collet et l’a jeté dehors... Dans son article « Palinodies ! » (L’Aurore. 15 novembre 1898), Mirbeau prétend expliquer son antisémitisme des Grimaces de 1883 par le dégoût que lui inspirait alors Meyer : « Je sortais, quand je fis Les Grimaces, du Gaulois, que dirigeait M. Arthur Meyer. Comment eût-il été possible – j’en appelle à tous les cœurs passionnés – que la fréquentation journalière de M. Arthur Meyer m’inspirât d’autres sentiments ?... On conviendra que rien n’était plus naturel, plus légitime, et d’une plus irréprochable psychologie. Bien qu’il fût parfois charmant, M. Arthur Meyer avait ceci de mystérieusement attractif qu’il appelait l’antisémitisme , comme Jésus le miracle. Il y avait en lui, malgré lui, une telle force spontanée de propagande, que lui-même n’a pas pu y échapper. Il serait touchant, et à la fois comique, de penser que c’est par une violente protestation contre lui-même, que M. Arthur Meyer est devenu l’antisémite farouche que vous savez !... Quoi d’étonnant à ce que je le sois devenu moi aussi ?.. Mon tort, en cette circonstance bien parisienne, fut de conclure du particulier au général, et d’englober toute une race dans une réprobation qui eût dû rester strictement individuelle, à moins que je ne l’étendisse à beaucoup de Chrétiens qui sont parmi les plus détestables Juifs que je connaisse !... » La pirouette est un peu trop facile...

P. M.

 


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