Oeuvres
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AMOURS COCASSES |
Amours cocasses est un recueil de contes, nouvelles et dialogues, qui a été publié en 1885 par Paul Ollendorff et qui, comme La Belle Madame Le Vassart et d’autres romans, a paru sous la signature d’Alain Bauquenne, alias André Bertéra, dont Otto Lorenz écrit, dans la Bibliographie de la France, que c’est « le pseudonyme de M...... ». Couplé avec Noces parisiennes, le volume a été réédité par la Librairie Nizet en 1995, mais cette fois sous le nom d’Octave Mirbeau. Il comprend sept textes : « Master Blue », journal d'une jeune fille bonne à marier, qui lui confie ses espérances conventionnelles, ses incertitudes et ses naïvetés fantasmatiques ; « Le Poirier », dont le thème annonce « Le Mur » de 1894 et constitue une mise en cause d'une société absurde et criminelle ; « Tante Oya », dont l’héroïne, naïve et dévouée, se fait lamentablement exploiter ; « Dernier rendez-vous », où une femme remplace rapidement un amant perdu par un autre ; « L'Élève Kaïla », où apparaît pour la première fois la fascination de Mirbeau pour l'Inde, à travers le personnage d’un jeune mahratte exilé dans une pension parisienne ; « Pour les pauvres », qui est déjà une satire de la pseudo-charité mondaine ; « Rose de juin (souvenirs d'un vieux bonhomme) », où une jeune femme illumine un temps la vie d’un vieil archiviste avant de mourir prématurément. Ce sont là des textes délibérément légers, où la bonne conscience bourgeoise devrait, semble-t-il, trouver à s’alimenter à bon compte. Mais ils sont en réalité moins inoffensifs qu’il y paraît au premier abord. On y retrouve en effet, derrière l’apparente superficialité du ton et les concessions au goût supposé du public (sentimentalité, cocasseries, et parfois grivoiseries), une vision tragique de la vie et une peinture critique de la société, conformes à celles que développera Mirbeau par la suite. L’amour est censé être le point commun de ces contes, non seulement en tant que sentiment, mais aussi en tant que facteur propice à mettre en scène des situations plutôt scabreuses, qui ne menacent pas pour autant l’ordre bourgeois et la cellule familial qui en est la base organique, d’où la tendance à l’idéalisation de certains personnages et le happy end obligé. Mais en réalité, ce que met en lumière le conteur, c’est, d’une part, l’incommunicabilité entre les sexes, qui sape par avance l’institution sacro-sainte du mariage, destiné en réalité à assurer la domination d’un sexe sur l’autre, en même temps que la transmission du patrimoine ; et, d’autre part, l’intransitivité du langage, qui est mise au service de toutes sortes de manipulations, au lieu de servir à communiquer avec l’autre et à exprimer des sentiments sincères. Dès lors les échanges amoureux deviennent hautement problématiques et c’est le désir et les pulsions obscures du corps qui, comblant ls manques du langage, peuvent seuls rapprocher un temps les deux sexes. Ainsi, conclut Arnaud Vareille, « l’exercice de style auquel se plie Mirbeau est l’occasion pour lui de poser les jalons d’un travail de sape de toutes les hypocrisies mondaines. En présentant l’amour comme une attraction pulsionnelle et fatale par nature, en déniant au langage toute capacité à maintenir l’homme dans sa dignité, il met à mal la conception convenue d’un sujet autonome, conscient de soi et étendant cette maîtrise au monde qui l’entoure. » P. M.
Bibliographie : Claude Herzfeld, Octave Mirbeau – Aspects de la vie et de l’œuvre, L’Harmattan, 2008, pp. 79-86 ; Pierre Michel, préface d'Amours cocasses, Nizet, 1995, pp. 7-13 ; Arnaud Vareille, « Amours cocasses et Noces parisiennes : la légèreté est-elle soluble dans l’amour ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 34-52.
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ANIMAUX SUR LA ROUTE |
C’est sous ce titre que Jean-François Nivet a publié, en 1999, dans une plaquette de 67 pages, deux textes de Mirbeau automobiliste : l’un a paru dans L’Illustration le 15 décembre 1906, et a été inséré l’année suivante dans La 628-E8, avec quelques menues variantes, sous le titre « La Faune des routes » ; l’autre, « Réflexions d’un chauffeur », paru dans L’Auto le 6 septembre 1903, est relatif au misonéisme des maires et des gendarmes.
Bibliographie : Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau sur la route », préface des Animaux sur la route, Rezé, Séquences, pp. 11-22.
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ARISTIDE MAILLOL |
C’est sous ce titre qu’a paru à Paris, en 1921, une brochure de cent pages grand format, publiée par la Société des Dilettantes et dont le tirage était limité à 300 exemplaires, tous numérotés. Commencée à Liège avant 1914, l’impression a été retardée par la guerre. C’est une édition de luxe, ornée de onze reproductions d’œuvres de Maillol en héliogravure, d’après des photographies de Druet. Il s’agit de la reprise du grand article sur Aristide Maillol paru dans La Revue le 1er avril 1905 et qui a été recueilli dans le tome II des Combats esthétiques (1993).
P.M.
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BALZAC |
Balzac. Sa vie prodigieuse. Son mariage. Ses derniers moments est le titre d’un petit volume de 56 pages, publié à Paris, en 1918, « Aux dépens d'un amateur », qui a voulu conservé l’anonymat. Le tirage en était limité à 250 exemplaires numérotés et « strictement réservés » aux amis de « l’amateur ». Il s’agit de la première édition séparée, et de luxe, des trois sous-chapitres de La 628-E8 qui ont fait scandale, en novembre 1907, et que Mirbeau a accepté de supprimer in extremis, à la demande de la fille de Mme Hanska, la comtesse Mniszech, dont Mirbeau ignorait jusqu’alors l’existence. L’anonyme auteur de l’introduction accorde foi au récit de la mort de Balzac : « Nous croyons à la véracité du récit de Mirbeau et à la sincérité de Jean Gigoux. »
Voir La Mort de Balzac et La 628-E8.
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CAHIERS OCTAVE MIRBEAU |
Les Cahiers Octave Mirbeau sont la publication annuelle et statutaire de la Société Octave Mirbeau, association loi 1901 fondée le 28 novembre 1993, à Angers. Le rédacteur en chef en est Pierre Michel, président-fondateur de la Société. Dix-sept numéros ont paru, de mai 1994 à mars 2010, soit plus de 6 000 pages en tout. Ils font entre 320 et 420 pages et sont très abondamment illustrés. Sauf deux exceptions, le tirage est de 500 exemplaires. L’impression est réalisée par les soins d’Ivan Davy, à Vauchrétien (49320). Le siège social est celui de la Société Octave Mirbeau : 10 bis rue André Gautier, 49000 – Angers. Comme toutes les publications de sociétés d’amis d’auteurs, il s’agit d’abord d’une revue universitaire, destinée aux chercheurs du monde entier et aux amateurs de Mirbeau beaucoup plus qu’au grand public. Chaque volume comporte au moins trois grandes parties. La première est consacrée aux études, portant sur l’œuvre littéraire ou les combats esthétiques, littéraires et politiques de Mirbeau. La deuxième regroupe des documents inédits ou peu connus (articles de Mirbeau non publiés en volume, lettres de et à Mirbeau, jugements de contemporains ou de critiques, témoignages dvers, traductions de textes inconnus en français). La troisième, bibliographique, recense toutes les études et tous les articles consacrés à Mirbeau (Bibliographie mirbellienne) et rend compte très largement de nombreux ouvrages ayant trait à son époque ou en rapport avec son œuvre. Quelques numéros comportent une quatrième partie, consacrée à des témoignages d’aujourd’hui, permettant à des lecteurs non universitaires d’exposer leur perception particulière de Mirbeau et de son œuvre à la lumière de leurs expériences diverses et selon des approches originales. Enfin, une rubrique de brèves « Nouvelles diverses » fournit des informations sur les représentations théâtrales, les sites Internet, les traductions, les questions soulevées par de nouvelles découvertes, etc., concernant Octave Mirbeau, son temps et son héritage. Le sommaire des Cahiers Octave Mirbeau est accessible en ligne sur le site Internet de la Société Octave Mirbeau.
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CHEZ L'ILLUSTRE ECRIVAIN |
Chez l’Illustre Écrivain est un recueil posthume paru en 1919 chez Ernest Flammarion (270 pages). Il porte pour titre celui d’une série de sept dialogues satiriques, parue dans Le Journal durant l’automne 1897. Mirbeau s’y moque de Paul Bourget, modèle de « l'illustre écrivain » caricatural, qui exploite indéfiniment le filon rémunérateur de l'adultère bourgeois et chrétien. La septième séquence, qui clôt la série et qui paraît le 28 novembre 1897, constitue la première intervention de Mirbeau dans l’Affaire Dreyfus (voir la notice), et elle est d’autant plus importante qu’il y pose d’emblée l’enjeu éthique, politique et institutionnel de la bataille qui s’engage, faisant déclarer à l’Illustre Écrivain, écumant de rage face à un jeune poète qui pose de bonnes questions : « Et quand même Dreyfus serait innocent ? vociféra-t-il... il faudrait qu’il fût coupable quand même... il faudrait qu’il expiât toujours... même le crime d’un autre... C’est une question de vie ou de mort pour la société et pour les admirables institutions qui nous régissent ! La société ne peut pas se tromper... les conseils de guerre ne peuvent pas se tromper... L’innocence de Dreyfus serait la fin de tout ! » . Alice Mirbeau, qui a assumé la publication du volume, y a joint trois autres dialogues, mettant en scène un écrivain de la même farine, également industriel de l’adultère, qu’il nomme Anselme Derveaux : « Une bonne affaire » (Le Journal, 22 septembre 1895), « Un grand écrivain » (Le Journal, 12 janvier 1896) et « Littérature » (Le Journal, 26 janvier 1902). Pour compléter le volume, elle a joint deux autres dialogues, « Scènes de la vie de famille », I et II , qui sont la première mouture des deux premières scènes de sa grande comédie de 1903, Les affaires sont les affaires ; un dialogue d’enfants (« La Divine enfance » (Le Journal, 26 juillet 1896) ; une longue nouvelle, Les Mémoires de mon ami (voir la notice), que Mirbeau a fait paraître en feuilleton dans Le Journal pendant l’Affaire ; et quatre contes : « La Peur de l'âne » (Le Journal, 1er juillet 1900), « Il est sourd » (Le Journal, 18 août 1901), « Sentimentalisme » (Le Journal, 4 août 1901) et « Tableau parisien » (Le Journal, 28 juillet 1901). P. M.
Bibliographie : Vincent Laisney, « “Une comédie bien humaine” : L’interview selon Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 140-149.
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CHRONIQUES ARIEGEOISES |
C’est le titre d’un petit volume publié chez un éditeur de l’Ariège, L’Agasse (Labarre), en 1998 (167 pages). Il s'agit d'une sélection d’articles, nouvelles à la main et notules parus dans L’Ariégeois en 1878 et, pour la plupart, non signés. Ils ont été recueillis et présentés par Jean Philippe, qui ne les a pas classés dans leur ordre chronologique, préférant les regrouper selon les thèmes traités et les cibles visées (le sous-préfet Bouillard, le curé Cabibel, le journaliste Jules Grégoire, le préfet d’Artigues, le professeur Chausson, etc.). En appendice, il a ajouté quatre textes inspirés par la séquence ariégeoise de l’écrivain : deux chapitres des 21 jours d’un neurasthénique et deux contes drôles, « Le Sous-préfet » et « Le Duel de Pescaire et de Cassaire ». Après les six mois où, au lendemain du coup d’État 16 Mai, il a travaillé à Foix comme chef de cabinet du nouveau préfet Lasserre Mirbeau a pris la tête de la rédaction de L’Ariégeois, très modeste organe du baron de Saint-Paul, député bonapartiste de l’Ariège. Il y a combattu les républicains locaux, dans des querelles clochemerlesques, notamment avec le curé Cabibel, au risque d’y noyer son talent. Sous prétexte de rendre publiques toutes les atteintes aux « principes libéraux » et au droit, comme il l’annonce dans son ambitieux éditorial du 3 avril 1878, il ne se pique pas de scrupules et ridiculise à loisir ses adversaires, ne reculant pas devant la perspective de devoir en découdre sur le pré, ni, à l’occasion, devant la scatologie. En même temps qu’il enrichit son « herbier humain », comme il dira dans Un gentilhomme, il fait ses armes de polémiste, de caricaturiste, et aussi de parodiste (il s’amuse par exemple à parodier Victor Hugo dans une hilarante pseudo-lettre du poète, p. 50). Reste que le « bonaparteux », comme le qualifient ses adversaires, continue d’être à contre-emploi et de servir la cause de la réaction, en l’occurrence le saint-paulisme, variante locale du bonapartisme, et que ces dérisoires combats d’arrière-garde n’ajoutent pas grand-chose à sa gloire. Voir les notices Bonapartisme, Saint-Paul, Cabibel et Foix. P. M.
Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau en Ariège », préface des Chroniques ariégeoises, L’Agasse, 1998, pp. 7-12 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le curé républicain Cabibel », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 217-228 ; Jean Philippe, « Mirbeau en Ariège », Société ariégeoise – Sciences, lettres et arts, Foix, 1997, tomeLXI, pp. 27-40 ; Jean Philippe, « L'herbier humain », préface des Chroniques ariégeoises, L’Agasse, 1998, pp. 13-29.
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CHRONIQUES DU DIABLE |
Sous le titre de Chroniques du Diable a paru en 1995, aux Annales littéraires de l’université de Besançon, un recueil de vingt chroniques parues dans le quotidien radical L’Événement, entre le 4 août 1884 et le 3 janvier 1886. Les neuf premières ont paru sous le pseudonyme de Montrevêche, qui est l’exact opposé de Montjoyeux, et les onze suivantes, extraites d’une série de « Chroniques du Diable » stricto sensu, sont signées d’un petit diable aux pieds fourchus. Il ne s’agit que d’une anthologie de textes, choisis parmi les vingt-deux chroniques signées Montrevêche et les quarante-cinq « Chroniques du Diable ». Elles ont en commun de tracer un tableau, à la fois très pessimiste dans le fond et plaisant dans la forme, de la France du début des années 1880 et des problèmes auxquels sont confrontés les individus, face à des changements de plus en plus rapides. Montrevêche, comme le suggère son nom, nous apparaît comme un moraliste un peu grognon, détaché des choses de ce monde, qui jette sur la vaine agitation de ses contemporains un regard amusé et apitoyé, plus que vraiment revêche. Quant au petit diable, emprunté au Diable boiteux de Lesage, il présente, pour le romancier, l’avantage de pouvoir s’introduire en tous lieux et de nous faire découvrir des côtés habituellement cachés de la société française, comme le fera la Célestine du Journal d’une femme de chambre (1900). Grâce à ce nouvel Asmodée, il nous est loisible de pénétrer comme par effraction dans l’esprit des grands de ce monde, ce qui sera le principe des interviews imaginaires de Mirbeau, ou d’annoncer avec une louable avance des événements pas encore advenus, telle la pendaison de Louis Riel (« L’Exécution », 20 septembre 1885), ou des œuvres encore en préfiguration, en essayant de deviner, par exemple, ce que sera « le prochain roman de Zola », L’Œuvre, en l’occurrence (21 juin 1885). Or il s’avère que, par bien des aspects, l’Enfer évoqué par le diablotin ressemble fort à la France de la Troisième République, avec quelques années d’avance toutefois, et que, comme le sera le détour par la Chine dans Le Jardin des supplices, le recours à un observateur exotique, non pas Persan, mais infernal, constitue un procédé classique et efficace pour nous faire découvrir, à travers un regard neuf, nombre de choses sur lesquelles, de par la force de l’accoutumance, nous avons cessé de porter l’attention qu’elles mériteraient : « Imaginez-vous qu'il n'y a rien qui ressemble plus à l'Enfer que Paris. Nous avons les mêmes goûts, la même vie, les mêmes femmes, les mêmes hommes politiques, les mêmes imbéciles. Nous avons les mêmes rivalités, les mêmes mesquineries, les mêmes aspirations. Seulement, notre capitale est un peu en avance sur la vôtre » (« Littérature infernale », L’Événement, 22 mars 1885). L'Enfer apparaît comme le double de la France, et renvoie, comme un miroir, une image critique qui devrait inciter les lecteurs à se poser des questions. Et puis, si l'Enfer s’avère bien préférable à la vie parisienne, c'est que celle-ci est devenue un véritable enfer, comme Mirbeau va en apporter une nouvelle illustration dans Le Calvaire (1886), dont le titre est symptomatique à cet égard. Dans une société où tout marche à rebours de la justice et du bon sens, il conviendrait donc de renverser le désordre établi pour remettre le vieux monde sur ses pieds. De fait, le tableau qui est tracé de la société française des années 1880 n’a rien de bien enthousiasmant. L’humanité moderne est décidément bien malade, bien détraquée, et « la grande névrose dont nous souffrons tous », nouveau et incurable mal du siècle, prend des formes multiples : l’hystérie, mise à la mode par Charcot (« L’Hystérie des mâles », 20 mai 1885, et « Le Siècle de Charcot », 29 mai 1885) et le culte de la vitesse, l’alcoolisme (« L’Alcool », 19 septembre 1884) et les « folies amoureuses » (21 octobre 1884), l’éternelle bougeotte (« En route », 4 août 1884) et les perversions sexuelles (« De Paris à Sodome », 9 mars 1885), « la folie de l’art » (9 novembre 1884) et la jalousie possessive et homicide (« Fini de rire », 28 août 1884, et « Le Revolver et les femmes », 20 janvier 1885), autant de monomanies qui sont le symptôme d’un vaste malaise dans la civilisation. Si les causes profondes de notre mal tiennent à notre condition tragique, que la plupart des hommes se refusent à regarder en face, préférant à la lucidité du sage le « divertissement » pascalien et la quête effrénée de plaisirs mortifères, d’autres sont le produit d’une époque où l’on vit en accéléré et où tout change beaucoup trop vite, et d’une organisation sociale pathogène, irrémédiablement inapte à prendre en compte les aspirations nouvelles qui se sont fait jour. C’est cette vision fort noire de la société et de l’existence qui va irriguer toute l’œuvre romanesque que Mirbeau va tardivement publier sous son nom. Voir aussi les notices Enfer, Hystérie et Asmodée. P. M. Bibliographie : Bertrand Marquer, « Mirbeau et Charcot : la vision du Diable », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, mars 2004, pp. 53-67 ; Pierre Michel, « Les Chroniques du Diable », Octave Mirbeau, Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d'Angers, 1992, pp. 35-52 ; Pierre Michel, préface des Chroniques du Diable, Annales littéraires de Besançon, 1995, pp. 7-27 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau, Henri Barbusse et l'Enfer », Société Octave Mirbeau, 2006, 34 pages ; Pierre Michel, « L'Enfer selon Mirbeau et Barbusse », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, 28 septembre-2 octobre 2005, Presses de l’Université de Caen, décembre 2007, pp. 45-56.
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CHRONIQUES MUSICALES |
Sous ce titre ont été recueillis trente-deux articles de Mirbeau sur la musique, parus dans la presse entre 1876 et 1908, et édités en 2001 chez Séguier-Archimbaud (256 pages).
Les chroniques de Mirbeau consacrées à la musique sont un peu le parent pauvre de sa production journalistique : d’une part, elles sont relativement peu nombreuses, si on les compare aux chroniques littéraires et à celles qui traitent de peinture et de sculpture ; d’autre part, Mirbeau ne connaît rien en musique, et il ne s’en cache pas, mais il affirme que l’émotion est ce qui importe le plus et qu’il n’est donc nullement illégitime qu’un simple amateur ait envie de faire partager ses coups de cœur, comme il le lance à la tête de critiques imbus des privilèges de leur compétence technique : « Je ne suis qu’un pauvre homme qui va dans la vie, tâchant de voir, de sentir, de comprendre et d’aimer des choses dont vous ne soupçonnez pas, dont vous ne soupçonnerez jamais la beauté, et dont ils vous suffira de savoir qu’elles sont en ré mineur, ou en sol, ou en do » (« Ce que l’on écrit », Le Journal, 17 janvier 1897). De fait, cet ignorant en matière de musique, de son propre aveu, « aime passionnément la musique » (« Chronique de Paris », L’Ordre de Paris, 14 décembre 1876) : il y voit « la langue de l’âme, la langue des sens, la langue de l’amour » (« Le Marquis d’Aoust », Le Gaulois, 3 mai 1880), et il a fait du « surhumain génie de Beethoven » une des « deux ferveurs de [sa] vie » (La 628-E8, 1907).
Il n’en est pas moins vrai qu’il est étranger au monde de la musique – il n’a fréquenté qu’un seul compositeur, Alfred Bruneau, et encore fut-ce pendant l’affaire Dreyfus et pour des raisons sans rapport avec la musique – ; qu’il ne maîtrise pas du tout le langage de la musicologie, ce qui l’oblige à n’utiliser que le vocabulaire courant ; et qu’il a vécu souvent loin de Paris et, donc, des concerts et de l’Opéra, ce qui l’a forcément privé de quantité de créations musicales. Il n’intervient donc que rarement sur un terrain qui n’est pas vraiment de sa compétence, et souvent pour des raisons extra-musicales, par exemple pour dénoncer le nationalisme des « patriotes » à front bas hostiles à Wagner et à César Franck, ou pour préconiser l’amitié franco-allemande à l’occasion de la première de Salomé, de Richard Strauss. Il n’en est que plus étonnant que, dans ce domaine comme dans celui de la peinture et de la sculpture, il ait fait de nouveau preuve d’un goût très sûr, en rupture avec celui de la majorité du public et des critiques tardigrades. C’est ainsi qu’il chante les louanges, non seulement de Wagner, mais aussi de Franck et de Debussy, et qu’il apprécie Augusta Holmès et Franz Servais. En revanche, il tourne en dérision une gloire nationale comme Gounod, ce qui lui vaut une avalanche de protestations, et n’est guère élogieux pour les deux autres gloires françaises que sont Saint-Saëns et Massenet. Voir aussi les notices Gounod, Franck, Servais, Debussy et Wagner.
P. M.
Bibliographie : Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Mirbeau et la musique », préface des Chroniques musicales, Séguier-Archimbaud, 2001, pp. 7-17 ; Mathieu Schneider, « La géopolitique musicale d’Octave Mirbeau », in Actes du colloque de Strabourg L’Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses de l’Université de Strasbourg, 2009, pp. 181-192.
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COCHER DE MAÎTRE |
Cocher de maître est un court texte de 11 pages in-4°, grand format, publié le 15 mars 1889 aux Éditions du Figaro, dans la collection « Les Types de Paris », illustrée par le peintre Jean-François Raffaëlli, alors ami de Mirbeau. Il a ensuite été inséré dans un volume intitulé Les Types de Paris (Plon, Nourrit et Cie, avril 1889, 162 pages) et qui devait constituer une « physiologie » de types humains et professionnels propres à la capitale Y ont également contribué Stéphane Mallarmé, Alphonse Daudet, Gustave Geffroy, Edmond de Goncourt, Jean Richepin, Antonin Proust, Paul Bonnetain, Jean Ajalbert, Henry Céard, J.-H. Rosny, Félicien Champsaur, J.-K. Huysmans, Roger-Marx, Louis de Fourcaud, Henry Gréville, Robert de Bonnières et Louis Mullem. C’est Raffaëlli qui a sollicité lui-même tous ces écrivains qui, selon Mirbeau, ne se seraient guère mis en peine pour des articles de commande : « Je crois qu’on ne s’est pas lâché pour ce malheureux diable de Radffaëlli », écrit-il à Paul Hervieu le 20 avril 1889. Il était aussi fort critique pour les illustrations de Raffaëlli, qui, selon lui, « s’est révélé d’une inintelligence rare, d’une vulgarité peu commune et d’une gaucherie stupéfiante » (ibid.). Cocher de maître a été réédité en 1990 par les éditions À l’écart, mais le tirage a été limité à cent exemplaires.
L'essentiel du texte sera curieusement inséré dans le chapitre XVI du Journal d'une femme de chambre (1900). En évoquant les rapports de domination inversée entre un cocher, William, devenu célèbre, honoré et puisant, et son patron de la vieille noblesse, le baron de X..., Mirbeau y entend donner une illustration d'une de ses idées majeures, exprimées notamment dans son pamphlet de 1882 sur Le Comédien : tout, dans la société moderne, marche à rebours du bon sens et de la justice, et il faut voir, dans le respect disproportionné dont bénéficie le cocher (ou le comédien), un symptôme de décadence révélateur de la perte des véritables valeurs, dans un monde complètement déboussolé. P. M.
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COLONISONS |
Sous ce titre, Émile Van Balberghe, libraire-éditeur de Bruxelles, a publié en 2003 une plaquette de 24 pages, postfacée par Pierre Michel, qui reprend le texte d’un article de Mirbeau, paru sous le pseudonyme de Jean Maure dans Le Journal du 13 novembre 1892, « Colonisons », . Mirbeau l’avait lui-même repris en grande partie, mais cette fois sous sa signature et sous un nouveau titre, « Civilisons ! », le 22 mai 1898, également dans Le Journal. . Le narrateur évoque tout d’abord Kandy, l’ancienne capitale de Ceylan déjà décrite dans les Lettres de l’Inde de 1885, mais où Mirbeau n’a jamais mis les pieds, et « la honte historique » qu’il y a éprouvée au souvenir des petits princes Modéliars égorgés par les Anglais. Après avoir rappelé quelques atrocités gratinées commises avec la bénédiction des prêtres d’une religion d’amour, Mirbeau conclut que « l’histoire des conquêtes coloniales sera la honte à jamais ineffaçable de notre temps » : « Elle égale en horreur, quand elle ne les dépasse pas, les atrocités des antiques époques de sang, atteintes de la folie rouge du massacre. Notre cruauté actuelle n’a rien à envier à celle des plus féroces barbares, et nous avons, au nom de la civilisation et du progrès — masques du sanguinaire commerce —, nous avons, sur des peuples candides et doux, sur de vaillantes et belles races, tels les Arabes, renouvelé, en les développant, les raffinements de torture de l’Inquisition espagnole. » Voir les notices Colonialisme, Anticolonialisme et Lettres de l’Inde. P. M.
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COMBATS ESTHETIQUES |
C’est sous ce titre que Pierre Michel et Jean-François Nivet ont recueilli, en deux gros volumes de 521 et de 640 pages, les articles que Mirbeau a consacrés à la peinture et à la sculpture au cours de sa longue carrière de journaliste, entre 1877 et 1914. Il s’agit essentiellement des articles parus dans la grande presse, notamment La France, L’Écho de Paris, Le Gaulois et Le Journal, complétés par quelques préfaces à des catalogues d’expositions. À deux exceptions près, seuls ont été rassemblés les articles parus sous son nom, les articles parus sous pseudonyme ayant été publiés dans les Premières chroniques esthétiques. Le tome I, qui couvre les années 1877-1892, comporte une longue préface, « Mirbeau critique d’art ». En annexe du tome II, qui couvre les années 1893-1914, on trouve reproduit le catalogue de la vente de la collection d'œuvres d'art de Mirbeau, les 24 février et 21 mars 1919 (pp. 533-580), ainsi que des notices de peintres et sculpteurs cités (pp. 581-612), un index et une table des matières.
Une critique passionnée L’ensemble est extrêmement révélateur de l’importance du rôle joué par Mirbeau dans l’histoire de l’art, à une époque charnière, sans qu'il recoure jamais pour autant au jargon des spécialistes, ni qu'il joue au “critique d’art”, personnage qu’il exècre et qu’il compare avec humour au ramasseur du crottin des chevaux de bois... En 1910, tirant une espèce de bilan de son tiers de siècle de combats pour le Beau, il note avec satisfaction que les académistes qu’il a vilipendés ont vu leur cote s’effondrer et sont « plus que morts » (« Plus que morts », Paris-Journal, 19 mars 1910), cependant que les toiles de Monet et de Van Gogh atteignent des sommets (qui ont été invraisemblablement dépassés depuis un siècle). Plus encore qu’un découvreur (encore que Maxime Maufra, Constantin Meunier, Vincent Van Gogh, Camille Claudel, Aristide Maillol et Maurice Utrillo lui doivent leur première reconnaissance), il est un annonciateur, un passeur et un vulgarisateur, qui se sert du pouvoir qu’il a difficilement conquis dans la grande presse pour servir la cause du Beau et crier ses enthousiasmes et ses exécrations : * Ses passions, ce sont d’abord les « grands dieux de [son] cœur » que sont Monet et Rodin, dont il est quasiment le chantre officiel, mais aussi Pissarro, Degas, Renoir, Cézanne, Raffaëlli, Van Gogh, Gauguin, les Nabis, Camille Claudel, Maillol, etc. * Ses exécrations, ce sont d’un côté, les symbolistes, préraphaélites, « larvistes », « vermicellistes » et autres « kabbalistes », dont il exècre l’inspiration artificielle, qui tournent « un dos méprisant » à la nature et qu’il voue au ridicule qui tue ; et, de l’autre, les académistes, les pompiers, les fabricants de toiles peintes et les industriels de la statuaire, couverts de prix et de breloques, décorés comme des vaches aux comices agricoles, et qui, de surcroît, s’opposent de toutes leurs forces aux artistes novateurs : ses têtes de Turc sont Alexandre Cabanel, William Bouguereau, Édouard Detaille, Gérôme, Boulanger, Carolus-Duran, Dagnan-Bouveret, Benjamin-Constant, Denys Puech, etc.
La mission du critique Hostile au système des Salons, ces « Bazars des médiocrités à treize sous », et à l’intervention de l’État niveleur dans le domaine des beaux-arts, Mirbeau est partie prenante du système marchand-critique (voir la notice), qui se met en place dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et qui permet aux peintres impressionnistes de subsister malgré l’ostracisme des Salons officiels. Mais il ne se fait aucune illusion sur les marchands et galeristes, et le mercantilisme en art lui semble éminemment dangereux, puisqu’il tend, à son tour, à étouffer les véritables talents et les voix originales, si elles sont jugées non rentables. Son devoir de critique malgré lui n’est pas d’analyser et d’interpréter les œuvres, car cet exercice lui semble vain et arbitraire : « L’œuvre d’art ne s’explique pas et on ne l’explique pas. L’œuvre d’art se sent et on la sent. Paroles et commentaires n’y peuvent rien ajouter, et ils risquent, en s’en mêlant, d’en altérer l’émotion simple, silencieuse et délicieuse » (« Claude Monet », L’Humanité, 8 mai 1904). Il est, plus modestement, d’essayer de faire partager à ses lecteurs ses coups de cœur et ses dégoûts, voire ses « haines », comme disait Zola, dans l’espoir de permettre à quelques artistes novateurs de se faire connaître et reconnaître et de vivre décemment de leur art. Il est avant tout un porte-voix, qui fait de l’émotion esthétique, toute subjective, le critère de ses jugements en matière d’art. Mais, n’entretenant aucune illusion sur les hommes ni sur le système éducatif (voir la notice École), il sait pertinemment qu’un nouveau snobisme risque de se mettre en place, sans que le grand public parvienne jamais à éprouver de véritables émotions esthétiques. À la différence de la majorité des écrivains qui se piquent alors de critique d’art, Mirbeau agit d’une manière totalement désintéressée : loin de se servir des artistes qu’il promeut pour assurer sa propre promotion, il met généreusement sa plume, d’une exceptionnelle efficacité, au service des génies contemporains (Monet, Rodin, Pissarro) et des talents méconnus (Cézanne, Maillol, les Nabis) ou oubliés (François Bonvin, par exemple). Il est à la fois un amateur d’art, qui éprouve des émotions très fortes au contact des œuvres et qui a envie de les faire partager, et un mécène d’un rare dévouement, toujours prêt à aider les créateurs qu’il admire et à faire entendre sa voix de stentor pour les imposer à des critiques misonéistes et à un public récalcitrant. Critique redouté et sollicité, il réussit, à maintes reprises, à mettre en lumière, malgré la malveillance ahurie des directeurs de journaux contre lesquels il doit bien souvent se battre, des artistes restés longtemps ignorés. Non seulement il consacre le triomphe tardif de Claude Monet, Auguste Rodin et Camille Pissarro, que d’autres avant lui ont déjà soutenus, mais il lance aussi de jeunes peintres, comme Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou Félix Vallotton, des sculpteurs comme Camille Claudel et Aristide Maillol, ce qui est encore plus méritoire. En affirmant le caractère révolutionnaire de Cézanne et de Van Gogh, puis des Nabis, il se présente comme « le fourrier de l’art moderne », selon l’expression de Laurence Tartreau-Zeller ; et, en donnant la primauté à la subjectivité et le droit de cité à « l’exagération », il annonce également l’expressionnisme. Ce n’est pas le moindre apport de Mirbeau que d’avoir affirmé avec force les droits de la subjectivité. À ce tournant du XIXe siècle, qui voit l’épuisement des critères dogmatiques, Mirbeau introduit dans la critique d’art une passion souveraine, faisant d’elle une autre forme de création. Voir aussi les notices Art, Artiste, Critiques, Système marchand-critique et Premières chroniques esthétiques.
P. M.
Bibliographie : Nella Arambasin, « La Critique d’art de Mirbeau, ou l’élaboration d’une anthropologie religieuse », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 97-123 ; Pierre Citti, « L’Annonciateur et le mythe de l’origine », Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 321-330 ; Claude Herzfeld, « Critique esthétique et imaginaire mirbellien », Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 103-109 ; Laure Himy, « La Description de tableaux dans les Combats esthétiques de Mirbeau », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, Presses de l’Université de Caen, 2007, pp. 259-268 ; Leo Hoek, « Octave Mirbeau et la peinture de paysage – Une critique d’art entre éthique et esthétique », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 174-205 ; Samuel Lair, « L'Impressionnisme et ses apôtres : Zola et Mirbeau, divergence des approches critiques », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, mai 1994, pp. 47-55 ; Samuel Lair, « L’Art selon Mirbeau : sous le signe de la nature », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 133-138 ; Christian Limousin, « Mirbeau critique d'art : de “l'âge de l'huile diluvienne” au règne de l'artiste de génie », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 11-41 ; Christian Limousin, « À quoi bon les artistes en temps de crise ? » Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 60-77 ; Christian Limousin, « Une critique tranchante », Europe, n° 839, mars 1999, pp. 79-95 ; Pierre Michel, « Le culte de l’art », in Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, pp. 125-158 ; Pierre Michel, et Jean-François Nivet, « Mirbeau et l’impressionnisme », L’Orne littéraire, juin 1992, pp. 31-45 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Mirbeau critique d’art », préface des Combats esthétiques, Nouvelles éditions Séguier, 1993, t. I, pp. 9-36 ; Delphine Neuenschwander, Le Dépassement du naturalisme dans les “Combats esthétiques” d'Octave Mirbeau, mémoire de licence dactylographié, Université de Fribourg, 2007, 250 pages ; Denys Riout, « Mirbeau critique d&rsq |
COMBATS LITTERAIRES |
Sous le titre de Combats littéraires, gros volume de 704 pages paru en 2006 aux éditions de L’Âge d’Homme, sont regroupés les articles de critique littéraire que Mirbeau a signés de son nom, plus quelques interviews et quelques préfaces, soit en tout 187 textes, précédés de deux préfaces, signées Pierre Michel et Jean-François Nivet. On y trouve également recueillis les articles consacrés à la presse et à l’édition, qui, d'après Mirbeau, contribuent l’une et l’autre à l’abrutissement des masses, à leur émasculation et, par conséquent, à la préservation de l’ordre social inique qu’il ne cesse de dénoncer. Pour avoir été journaliste lui-même pendant près de quatre décennies et avoir connu les coulisses peu ragoûtantes des grands quotidiens, Mirbeau s'y révèle particulièrement sévère pour l'engeance des journalistes et pour la presse de caniveau et/ou de chantage. Paradoxalement, au cours de sa longue carrière de journaliste, Mirbeau n’a jamais été chargé de la chronique des livres, ce qui l’a obligé à slalomer entre les oukases et les interdits et à ne traiter de littérature que par la bande et sous haute surveillance. Autre paradoxe : il n’a cessé de manifester son horreur pour les critiques littéraires, ces inquiétants personnages qui, non contents d’être aussi inutiles que « des ramasseurs de crottin de chevaux de bois », s’arrogent le droit de juger de tout du haut de leur incompétence, sans pour autant avoir jamais rien créé eux-mêmes. Pour sa part, il entend au contraire faire de ses interventions dans le champ littéraire un combat pour la justice : comme dans celui des beaux-arts, il veut tenter de faire partager ses enthousiasme et ses dégoûts, démystifier et déboulonner les fausses gloires (Georges Ohnet, Albert Delpit, Paul Bourget, Viélé-Griffin), et promouvoir les véritables créateurs dignes de la reconnaissance publique et de l’admiration des amateurs , même s’il ne se berce d’aucune illusion. C’est ainsi qu’il a lancé Maurice Maeterlinck et Marguerite Audoux, manifesté son admiration pour Barbey d’Aurevilly, Edmond de Goncourt et Georges Rodenbach, et défendu, entre beaucoup d’autres, Léon Bloy, Charles-Louis Philippe et Paul Léautaud. Mirbeau a naturellement évolué, dans le domaine de la littérature comme dans les autres, et les jugements qu’il a portés sur les écrivains contemporains, au fur et à mesure de ses expériences et de ses découvertes, ont connu des infléchissements sensibles, dont témoignent notamment ses relations fluctuantes avec Alphonse Daudet, Paul Bourget, Ferdinand Brunetière et, plus encore, Émile Zola, à l’égard de qui il est passé de l’admiration au mépris, lors de sa candidature à l’Académie, puis à la vénération après l’affaire Dreyfus. Néanmoins, ses combats littéraires obéissent à quelques principes clairs, qui se sont imposés à lui avec la force de l’évidence. Tout d’abord, selon Mirbeau, toute œuvre d’art digne de ce nom possède une vertu pédagogique et participe d’une mission libératrice, qu’elle est paradoxalement mieux à même de mener à bien que l’action politique stricto sensu, dont il n’a jamais cessé de se méfier : « Aujourd’hui l’action doit se réfugier dans le livre. C’est dans le livre seul que, dégagée des contingences malsaines et multiples qui l’annihilent et l’étouffent, elle peut trouver le terrain propre à la germination des idées qu’elle sème. […] Les idées demeurent et pullulent : semées, elles germent ; germées , elles fleurissent. Et l’humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement » (« Clemenceau », Le Journal, 11 mars 1895). Il ne s’agit évidemment pas de faire de la littérature un instrument de propagande, ce qui serait l’exact contraire du but recherché, mais de voir en elle un moyen d’ouvrir les yeux des lecteurs sur la réalité du monde telle que la perçoit et la filtre l’écrivain-artiste, qui jette sur les êtres et les choses un regard différent. C’est parce qu’il attend beaucoup de la littérature que Mirbeau a été amené à dénoncer avec constance les tendances dominantes de la production littéraire de son temps, qui ne font, à ses yeux, que la rabaisser ou l’égarer : le mercantilisme de ceux qui exploitent à fond des recettes éculées pour inonder le marché de leur production, à l’instar de Paul Bourget avec ses « adultères chrétiens », dont Mirbeau se gausse ; le réclamisme, qu’il critique notamment chez Richepin, Maupassant et Bourget, parce que la « réclame » contribue à étouffer efficacement les talents modestes pour placer sur le devant de la scène médiatique les médiocres et les habiles ; l’académisme qui, au lieu de nous aider à jeter un regard neuf sur les choses, tente au contraire d’engluer les lecteurs dans leurs préjugés et leur misonéisme ; le naturalisme, cette « doctrine absurde et barbare » qui « se réfute d’elle même » (« Le Salon II » , La France, 9 mai 1886), cette littérature de myopes qui réduit les êtres à leur apparence superficielle et qui accorde une importance démesurée à l’insignifiant bouton de guêtres, au nom de pseudo-observations dérisoires ; et enfin l’art pour l’art et le symbolisme, qui risquent fort de sombrer eux aussi dans l’insignifiance, en dépit des prétentions affichées. Même si certaines de ces chroniques sont élogieuses pour Zola, notamment pour Germinal, et, surtout, pour Edmond de Goncourt, auxquels sont consacrés de nombreux articles, l'ensemble de la critique littéraire de Mirbeau révèle une esthétique radicalement hostile au naturalisme, qu’il considère comme la plus grave erreur du siècle en matière d'art et de littérature et qu'il tourne en dérision autant que la soporifique littérature académique et bien-pensante. Comme dans ses chroniques esthétiques, il fait preuve d’éclectisme et encense des œuvres et des auteurs très différents les uns des autres, et aussi très différents de lui et de sa propre esthétique. À cet égard, on y relèvera avec un intérêt particulier le grand article dithyrambique sur La Femme pauvre, de Léon Bloy, les deux articles sur Maurice Maeterlinck (notamment celui d'août 1890, qui a lancé le poète gantois, nobélisé vingt ans plus tard ), les deux articles sur Georges Rodenbach, les deux articles où il prend la défense d’Oscar Wilde condamné au hard labour en 1895, l’article de 1886 sur Léon Tolstoï (intitulé « Un fou »), la lettre ouverte à Léon Blum sur la poétesse Anna de Noailles, en 1904, les nombreuses chroniques sur Barbey d'Aurevilly et sur Alphonse Daudet, longtemps vilipendé avant une tardive réconciliation, la défense de Remy de Gourmont licencié de la Bibliothèque Nationale, et la fameuse interview de Mirbeau par Jules Huret, en avril 1891. On y verra aussi comment Mirbeau a conçu son rôle d’académicien Goncourt et comment il a défendu Charles-Louis Philippe, Émile Guillaumin, Marguerite Audoux (dont il préface Marie-Claire), André Gide, Paul Léautaud et Neel Doff. Pour Mirbeau, le champ littéraire est un terrain de luttes, complémentaires et indissociables de ses combats politiques et sociaux, et, sans jamais jouer au critique littéraire, engeance qu’il écrase de son mépris pour crime de lèse littérature, il joue dans le domaine littéraire le même rôle d’intercesseur et de promoteur, voire de découvreur, que dans celui des beaux-arts. Et, comme il utilise, pour mener ses combats, toute sa palette stylistique et rhétorique, et pratique largement l’humour et la caricature, il parvient souvent à faire sourire ses lecteurs : ses chroniques sont jouissives et délectables ! Voir aussi les notices Roman, Journalisme et Combats esthétiques. P. M.
Bibliographie : Cécile Barraud, « Octave Mirbeau, “un batteur d’âmes”, à l’horizon de la Revue blanche », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 92-101 ; Sylvie Ducas-Spaës, « Mirbeau académicien Goncourt, ou le défenseur des Lettres devenu juré », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 323-340 ; Samuel Lair, « Les Combats littéraires d’Octave Mirbeau - « le rire et les larmes », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 174-185 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le symbolisme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 8-22 :; Pierre Michel, « L’Esthétique de Mirbeau critique littéraire », préface des Combats littéraires, L’Age d’Homme, 2006, pp. 7-21 ; Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau – Regards sur la littérature de l’avant-siècle et de la Belle Époque », Studi di letteratura francese, Florence, 1996, vol. 273, pp. 145-155 ; Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau au pays des Lettres », préface des Combats littéraires, L’Âge d’Homme, 2006, pp. 23-30 ; Arnaud Vareille, « Mirbeau ou le papillon incendiaire », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Presses de l’université de Caen, décembre 2007, pp. 217-226. .
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COMBATS POLITIQUES |
C’est à la Librairie Séguier qu’a paru, en 1990, ce volume de 296 pages. Il s’agit d’une anthologie de trente articles politiques de Mirbeau, parus entre 1882 (« Le Comédien ») et 1909 (Lettre de protestation contre la peine de mort). Ils sont regroupés en cinq chapitres, correspondant à un découpage chronologique et précédés, chacun, d’une brève introduction : « Au service de la réaction » (pp. 39-78), « Avec tous les opprimés » (pp. 79-116), « Du côté des anarchistes » (pp. 117-168), « Dreyfusard » (pp. 169-224) et « Compagnon de route des socialistes » (pp. 225-264). En appendice, est reproduit le pseudo-« Testament politique d’Octave Mirbeau », suivi de la démonstration, par Léon Werth, qu’il s’agit bien d’un faux (pp. 265-274). Dans leur préface, les éditeurs, Pierre Michel et Jean-François Nivet, présentent « l’itinéraire politique d’Octave Mirbeau » qui, au premier abord peut paraître déconcertant. Une liste des articles politiques signés Mirbeau (pp. 287-294) et une chronologie (pp 275-283) complètent le volume.
De ce recueil, il ressort que, si l’engagement politique de Mirbeau a été effectivement sinueux – il a commencé à servir la droite (voir la notice Bonapartisme) avant de se convertir à l’anarchie –, il n’en obéit pas moins à des constantes : primauté de l’éthique et des combats pour la vérité et la justice (voir la notice Éthique) ; préoccupations sociales et défense de tous les opprimés (les petits, les humbles, les marginaux, les chômeurs, les vagabonds, les sans-voix, les sans-toit et les sans-droit) ; rejet des politiciens professionnels ; radicale hostilité à l’appareil d’État ; dénonciation de la pseudo-République et du suffrage universel considéré comme une duperie ; très vive méfiance envers les dogmes, les idéologies, les programmes et les promesses électorales ; et totale indépendance à l’égard des organisations politiques, fussent-elles d’orientation anarchiste, et des gouvernements, fussent-ils républicains.
L’objectif de Mirbeau est d’exercer sa lucidité sur tous les problèmes sur lesquels il a quelque chance d’ouvrir les yeux d’une partie, peu nombreuse, de son lectorat : ceux qu’il considère comme des « âmes naïves » susceptibles d’avoir échappé à une totale aliénation. Au raisonnement et à la démonstration abstraite, il préfère de beaucoup l’exemple concret et l’anecdote révélatrice, et il recourt beaucoup au dialogue. Il pratique avec maestria l’art des formules concises et efficaces, ainsi que l’ironie, l’humour noir et le cynisme apparent.
Si les éditeurs ont placé un article a priori non politique, « Le Comédien »), en tête du volume, c’est parce que, tout en travaillant encore pour la réaction, le pamphlétaire y dénonce déjà une société aberrante, où tout marche à rebours du bon sens et de la justice, position qui restera la sienne toute sa vie. Tous ses combats politiques ont précisément pour objectif de contribuer, modestement, à persuader ses lecteurs qu’il importe de la remettre sur ses pieds. Mais il ne se fait guère d’illusions, ni sur les hommes, ni sur les sociétés. Voir aussi les notices Politique, Anarchie, Élections et Éthique. P. M.
Bibliographie : Reginald Carr, Anarchism in France - The case of Octave Mirbeau, Manchester University Press, 1977, 190 pages ; Pierre Michel, « Au cœur de la mêlée », in Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, pp. 89-124 ; Pierre Michel, « L’Itinéraire politique de Mirbeau », Europe, n° 839, mars 1999, pp. 96-109 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et la question sociale », Intégration et exclusion sociale, Anthropos, juin 1999, pp. 17-28 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, « L’Itinéraire politique de Mirbeau », préface des Combats politiques, Librairie Séguier, 1990, pp. 5-36 : Jean-Yves Mollier, « Mirbeau et la vie politique de son temps », in Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 75-90 ; Yvette Mousson, « Le Style de Mirbeau dans ses Combats politiques et L’Affaire Dreyfus », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 46-51 ; Lawrence Schehr, « Mirbeau’s ultraviolence », Sub-stance, Madison (États-Unis), 1998, vol. 27, n° 86, pp. 106-127.
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COMBATS POUR L'ENFANT |
Sous ce titre a été publiée en 1990, chez Ivan Davy (Vauchrétien), une anthologie de textes de Mirbeau sur l’enfant. On y trouve des contes parus dans les Lettres de ma chaumière de 1885 (« L’Enfant » et « Le Petit mendiant »), des extraits trois romans dits autobiographiques et de Dans le ciel, ainsi que diverses chroniques et interviews parues dans la presse, notamment « Cartouche et Loyola » (Le Journal, 9 septembre 1894), « Pétrisseurs d'âmes » (Le Journal,16 février 1901), « Souvenirs » (L'Aurore, le 22 août 1898), Réponse à une enquête sur l’éducation (Revue blanche, 1er juin 1902), « Propos de l'instituteur II » (L'Humanité, 31 juillet 1904), « Le Petit homme des foules » (L'Humanité, 19 juin 1904) et l’interview sur le scandale de Mettray (La Petite République, 29 janvier 1909).
Mirbeau nous décrit la condition de l'enfant sous les couleurs les plus noires : la famille, l'école et l'Église constituent la « sainte trinité », oppressive et aliénante, dont la seule fonction semble être de crétiniser et de ravaler l'enfant afin de permettre aux « mauvais bergers », politiciens de tout poil, assimilés à Cartouche, et religieux « pétrisseurs d'âmes », comme les sectateurs de Loyola, de mieux dominer et exploiter l'adulte plus tard. Contre toutes les autorités usurpées et contre toutes les forces d'oppression, Mirbeau plaide donc inlassablement pour les droits imprescriptibles de l'enfant, à une époque où ils ne sont absolument pas reconnus : non seulement il a droit à de bonnes conditions de vie, matérielles et affectives, mais aussi à la culture et à la beauté. Il préconise une laïcité vigilante et combative, face au « poison religieux », et un enseignement radicalement matérialiste, qui contribue à l’émancipation intellectuelle de l’enfant et lui permette de devenir un véritable citoyen. L'un des tout premiers, Mirbeau s'élève avec virulence contre la politique nataliste en vigueur, qui ne voit dans l'enfant que de la future chair à usine ou à canon, et il développe des thèses néo-malthusiennes. Cela le rapproche du pédagogue libertaire Paul Robin, dont il prend précisément la défense quand on lui enlève la direction de l'orphelinat modèle de Cempuis.
Voir aussi les notices Famille, École, Église, Laïcité, Matérialisme, Robin et Néo-malthusianisme. P. M.
Bibliographie : Pierre Michel, « Introduction » aux Combats pour l’enfant, Ivan Davy, 1990, pp. 7-21 ; Pierre Michel, « Mirbeau et l’école – De la chronique au roman », Vallès-Mirbeau - Journalisme et littérature, in Autour de Vallès, n° 31, 2001, pp. 157-180 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le poison religieux », L'Anjou laïque, Angers, février 2006 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et le néo-malthusianisme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 214-259 ; Anne-Laure Séveno, « L'Enfance dans les romans autobiographiques de Mirbeau : démythification et démystification », Angers, Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 160-180.
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