Familles, amis et connaissances
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MILLEVOYE, lucien |
MILLEVOYE, Lucien (1850-1918), politicien nationaliste, petit-fils du poète élégiaque. Ancien boulangiste actif, il a été élu député d’Amiens en 1889, et obligé de démissionner en 1893 : le 22 juin, il avait très sérieusement lu à la Chambre, rapidement hilare, un faux grossier, concocté par le mulâtre Norton, accusant Clemenceau d’avoir touché 20 000 livres des services secrets britanniques, et, par 384 voix contre 2, les députés avaient alors flétri « les calomnies odieuses et ridicules apportées à la tribune ». Cela ne l’a pas empêché d’être réélu député de Paris, le 22 mai 1898. Il était rédacteur en chef du quotidien nationaliste La Patrie et avait pour particularité de mesurer plus de deux mètres. Pendant l’affaire Dreyfus, il fut une des cibles privilégiées de Mirbeau. Dans « Le Cadavre récalcitrant », celui-ci rappelle que Millevoye a fondé sa carrière sur un faux retentissant et l’accuse d’être un « véritable homme d’État, et même de coup d’État » : « Il est allé au faux d’instinct, tout droit, la narine haute, comme les chiens vont à la charogne dont ils ont humé l’odeur dans le vent. » Et, au sujet du prétendu “suicide” du colonel Henry, il ajoutait : « Vous croyez peut-être que M. Millevoye va trébucher contre le cadavre du colonel Henry et disparaître, pour toujours cette fois, emporté dans le même linceul d’infamie et de malédiction. [...] Eh bien, pas du tout... M. Millevoye ne bronche point à ce cadavre ; ses pieds ne glissent pas dans le sang. [...] Avec une admirable inconscience, qui n’étonnera que ceux à qui la physiologie si caractéristique de M. Millevoye n’est pas familière, il nous annonce qu’il va interpeller le ministre, demander la déportation, la fusillade, je ne sais quoi encore de nationaliste, non contre les faussaires, mais contre les victimes des faussaires » (L'Aurore, 5 septembre 1898). À la suite de quoi Millevoye adresse au pamphlétaire ses deux témoins pour lui demander réparation par les armes, ce que Mirbeau refuse, dans L’Aurore du 8 septembre : « Je ne vous dois aucune réparation. Je ne vous ai pas insulté. J'ai constaté que vous aviez fait du faux – faux Norton, faux de l'État-Major – votre carrière politique. Ce n'est pas moi qui fais l'histoire. » Le 19 janvier 1899, il le tourne de nouveau en dérision dans une lettre ouverte « À M. Lucien Millevoye » : « Il fait triste au dehors ; le ciel est tout gris, les façades des maisons semblent suinter de la suie. Et je pense à vous ; je veux dire que je ne pense à rien... / Ce n’est pas, pourtant, que vous me soyez indifférent ou antipathique. Je vous dois des heures gaies. Quand le découragement me prend, j’achète La Patrie, et cela me réconforte. Vous ne vous doutez pas, vous ne vous douterez jamais de la cocasserie énorme de vos articles. Vous avez surtout le secret de les terminer par des exclamations vraiment admirables, et qui n’appartiennent qu’à vous... Jamais vous ne saurez combien vos : “Vive la France, gredins !”, vos : “Au revoir, messieurs !”, vos : “À demain, traîtres !” m’ont souvent réjoui. Quand on doute de soi et qu’on vous lit, l’effet est miraculeux ; on a, tout de suite, une petite fierté de soi-même... Et c’est consolant ! / Ah ! monsieur, il y a une chose qui m’étonne et que j’admire : c’est votre bêtise, c’est votre persistance, votre ténacité dans la bêtise ; de quoi vos amis s’amusent plus encore que vos adversaires... Comment cela peut-il arriver que vous n’ayez jamais de répit, jamais le moindre repos dans la bêtise ?... Je sais bien que, quand on est bête, c’est pour longtemps... Mais avoir, comme vous avez, cette tension extraordinaire, continue, éternelle, dans la bêtise, n’est-ce point un prodige ?... Je laisse de côté vos autres qualités. Elles sont nombreuses et profondes... Mais la bêtise les dépasse, et, pour ainsi dire, les annule. On ne voit qu’elle !... Mais comme on la voit bien et comme on la voit mieux !... » Et il termine par : « Et, sur ce, Monsieur, bien le bonjour à Esterhazy ! » (L’Aurore, 19 janvier 1899). Dans L’Assiette au beurre du 31 mai 1902, nouvelle avoinée : « Il avait deux supériorités incontestées. / Il était le plus grand homme politique de la Chambre – le plus grand par la taille, s’entend. Il ne l’est plus. [...] Il était aussi l’homme politique le plus bête de la Chambre. L’est-il encore ? Il faut attendre. » Curieusement, les deux hommes se retrouvent dans le même hôtel de Contrexéville, en août 1907, comme Mirbeau l’écrit à Jules Huret : « Nous nous sommes plusieurs fois rencontrés dans l’ascenseur. J’étais avec Dash [son nouveau chien] ! Alors, Millevoye me regardait avec des airs attendris, et il se penchait ensuite vers Dash, le caressait, en disant : “Le beau toutou ! Ah ! le beau toutou !” Mais Dash, qui est physionomiste, comme tous les chiens, montrait les dents, grognait... » P. M.
Bibliographie : Octave Mirbeau, L’Affaire Dreyfus, Librairie Séguier, 1991.
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