Familles, amis et connaissances

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Terme
MIRBEAU, ladislas

Mirbeau, Ladislas François (1815 – 1900), père d’Octave Mirbeau qui dotera plusieurs de ses personnages  de traits de caractère autoritaires et d’attitudes conformistes reflétant ses manières d’être. Il est quant à lui le sixième des douze enfants de Louis Amable « senior » (le deuxième issu de son second mariage). C’est dans le bourg percheron de Rémalard qu’il a vu le jour alors que son géniteur, en phase d’ascension sociale flamboyante, venait d’y être porté aux fonctions de maire et de notaire.

Quinze ans plus tard, la relative disgrâce politique dont pâtit Louis Amable, évincé de la mairie et du notariat de Rémalard par la Révolution de 1830, a changé la donne. C’est peut-être ce qui explique que le jeune Ladislas soit envoyé faire des études de médecine non à l’université de Caen mais dans une école d’officiers de santé ouverte en 1830 au monastère de la Trappe, situé à une quarantaine de kilomètres de Rémalard, par un moine de cette institution, le père Debreyne. Le diplôme d’officier de santé est le fruit d’une formation médicale plus sommaire que celle aboutissant au titre prestigieux de docteur en médecine, et ses détenteurs ne sont même pas tenus de posséder le baccalauréat. L’ancien élève des trappistes devra cependant se contenter pendant toute sa vie de cette situation et de la fonction correspondante, qui est celle d’un médecin de campagne, tenu en principe d’exercer le métier dans le département où il a obtenu son diplôme.

Le destin semble à vrai dire le vouer à des seconds rôles. De même qu’il ne sera pas docteur mais seulement officier de santé, il ne deviendra pas par la suite juge de paix comme l’un de ses frères mais juge de paix… suppléant, ni maire de Rémalard comme l’avait été son père, mais, sur le tard,… adjoint d’un des successeurs de ce dernier.

Fils d’un notable ancien maire et ancien notaire, c’est la fille d’un autre notable ancien maire et ancien notaire, Eugénie Dubosq, sa cadette de dix ans qu’il va épouser en 1843. Il s’installe aussitôt avec son élue au foyer de sa belle-mère (veuve depuis deux ans) à Trévières, chef-lieu de canton du Bessin (Calvados) pas très différent de ce qu’est Rémalard dans le Perche ornais. C’est là que sa femme mettra au monde une fille, Marie, le 22 juillet 1845, puis Octave qui va voir le jour le 16 février 1848.

La mort de Louis Amable Mirbeau, père de Ladislas, le 23 juillet suivant aura pour effet de ramener la petite famille à Rémalard, où un arrangement avec le reste de la fratrie Mirbeau va lui permettre de s’installer dans un ancien manoir (aujourd’hui occupé par la mairie) habité jusqu’à sa mort par Louis Amable. Elle déménagera quelques années plus tard pour s’installer à peu de distance de là dans une confortable maison, dite du Chêne vert, de construction très récente à cette époque. Eugénie a donné entre temps naissance à un troisième enfant,  une petite Berthe, qui a vu le jour en 1850.

  C’est tout autour de cette maison du Chêne vert que l’officier de santé rayonnera dans la campagne environnante pour rendre visite à des malades, emmenant souvent dans ses tournées son petit Octave qui s’en souviendra souvent par la suite.

À l’âge de vingt-et-un ans, le futur écrivain évoquera une de ces visites en termes rigolards dans une lettre adressée à l’ami Bansard des Bois en 1869 : « J’ai assisté hier à la décapitation d’une... d’un... ah ! comment dirai-je ? Pudeur, inspire-moi ! d’une... ah !... d’un petit obélisque de poche littéralement mangé par un chancre, mais un chancre de roi, ou un roi des chancres. »

Ce cynisme encore presque adolescent cèdera plus tard le pas à une émotion empreinte d’une réelle humanité dans un récit placé sous la plume de l’enfant narrateur de L’Abbé Jules : « C’était sans doute aussi pour me remonter le moral que, le jeudi, lorsque j’avais été sage, mon père m’emmenait avec lui, dans son cabriolet. Je l’accompagnais en ses tournées de malades. Et nous roulions tous les deux, sans échanger une parole, tous les deux secoués sur les ornières des chemins creux, comme sur une barque que soulève la houle. Dans les villages, devant les maisons, où gémissaient les pauvres diables, nous descendions de voiture ; mon père attachait la longe du cheval aux barreaux de la fenêtre, et, tandis qu’il pénétrait dans les tristes logis, moi, resté sur le pas de la porte, j’apercevais, à travers l’ombre, des pièces enfumées et misérables, j’apercevais des visages douloureux et jaunes, des mentons levés, des dents serrées et des yeux fixes, profonds, les yeux des êtres qui vont mourir. »

Ce sont cependant des personnalités psycho-rigides, froidement attachées à leurs intérêts matériels et engluées dans un conformisme désespérant, qu’il évoque dans les textes où il se souvient à l’évidence de ses père et mère, et plus particulièrement de son géniteur. L’enfant narrateur de L’Abbé Jules décrit ainsi ses parents comme « très imprégnés de cette idée qu’un enfant bien élevé ne doit ouvrir la bouche que pour manger, réciter ses leçons, faire sa prière ». « S’il m’arrivait quelquefois de m’insurger contre ce système de pédagogie familiale, ajoute-t-il, mon père, sévèrement, m’imposait silence par cet argument définitif : - Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?… Et les trappistes, est-ce qu’ils parlent, eux ? »

Bien qu’il ne fournisse pas d’indication sur ses sources, on peut avoir foi dans une appréciation de l’essayiste belge Hubert Juin selon lequel Ladislas passait pour « un parfait honnête homme et de la meilleure compagnie », dont chacun s’accordait à « souligner  le dévouement obstiné et inébranlable à la cause du trône et de l’autel ». Portrait proche de celui d’un autre médecin de l’œuvre d’Octave Mirbeau, le dr Lerond du roman inachevé Un gentilhomme. Ceci explique cela…

L’évocation par Octave de l’attitude du couple parental envers ses enfants est particulièrement sinistre – en même temps que plus générale et empreinte de fatalisme – dans le roman Dans le ciel, publié en feuilleton dans l’Écho de Paris au cours des années 1893-1894 :

« J’ai aimé mon père, j’ai aimé ma mère. Je les ai aimés jusque dans leurs ridicules, jusque dans leur malfaisance pour moi. (…). Je ne les rends responsables ni des misères qui me vinrent d’eux, ni de la destinée – indicible – que leur parfaite et si honnête inintelligence m’imposa. Ils ont été ce que sont tous les parents, et je ne puis oublier qu’eux-mêmes souffrirent, enfants, sans doute, ce qu’ils m’ont fait souffrir. (…). Tout être à peu près bien constitué naît avec des facultés dominantes, des forces individuelles, qui correspondent exactement à un besoin ou à un agrément de la vie. Au lieu de veiller à leur développement dans un sens normal, la famille a bien vite fait de les déprimer et de les anéantir. Elle ne produit que des déclassés, des révoltés, des déséquilibrés, des malheureux, en les rejetant, avec un merveilleux instinct, hors de leur moi ; en leur imposant, de par son autorité légale, des goûts, des fonctions, des actions qui ne sont pas les leurs, et qui deviennent non plus une joie, ce qu’ils devraient être, mais un intolérable supplice. Combien rencontrez-vous dans la vie de gens adéquats à eux-mêmes ? »

 

M. C.


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