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SARCEY, francisque |
SARCEY, Francisque (1827-1899), célèbre critique dramatique. Ancien normalien et condisciple de Taine, professeur puis journaliste républicain sous l’Empire, il doit sa célébrité aux feuilletons dramatiques qu’il a chèrement vendus pendant quatre décennies au Temps et à d’autres quotidiens (dont Le XIXe siècle et, un temps, La France), et qui ont été recueillis après sa mort dans les huit volumes de Quarante ans de théâtre (1900-1902). Il a aussi publié une étude sur Paul-Louis Courier (1876) et deux volumes de notices biographiques de comédiens. Violemment anti-communard, ce bourgeois ventripotent et féroce a appelé à une répression sanglante. Malgré ses allures bonhommes, il a exercé, sur le théâtre de son temps, une dictature tout aussi féroce, quoique moins sanglante, et notamment combattu impitoyablement Henry Becque, Maurice Maeterlinck, Ibsen et le théâtre scandinave. Au nom du « bon sens » et de la « moyenne », il a abaissé le théâtre au niveau d’un public amateur de simples divertissements et dont il faisait siennes les opinions, parce que le public était supposé avoir toujours raison et que le succès est le critère suprême. Amateur de la pièce bien faite sur le modèle de celles d’Eugène Scribe, allergique aux nouveautés et à tout ce qui donne à réfléchir et risque de perturber la digestion, il représentait tout ce que Mirbeau abominait : le culte du vaudeville qui fait « se tordre » les spectateurs (voir « Il faut se tordre ! », L’Écho de Paris, 10 octobre 1893) ; la priorité accordée à « la scène à faire » au détriment de la vie et de la vérité humaine ; le modèle de la pièce bien formatée et recourant à de grosses ficelles ; l’exclusivité accordée à des spectacles anesthésiante, parce que destinée à un public bourgeois dépourvu de toute sensibilité esthétique et de toute véritable éthique. Mirbeau, pour qui il incarnait, en dépit de son apparence débonnaire, l’infrangible et féroce stupidité bourgeoise, a fait de Sarcey, « Son Auguste Triperie », une de ses têtes de Turc préférées. Il n’a cessé, dans de multiples chroniques, de vilipender son « absolue vulgarité », sa haine du génie, la bassesse de ses goûts et de ses critères, « la pauvreté de son esprit, la petitesse de ses conceptions, l’étroitesse de son jugement » (« La Victime de M. Sarcey », Le Gaulois, 22 septembre 1884). Il a régulièrement dénoncé le dangereux magistère dictatorial exercé par ce « feuilletoniste prolixe, rageur et verbeux » (« Quand on n’a rien à dire », Le Journal, 20 février 1898), qu’on appelait familièrement « mon oncle ». Il l’a notamment démystifié d’importance dans des interviews imaginaires volontiers scatologiques, dont une, post mortem, constitue une notice nécrologique au vitriol (« Apparition », L'Aurore, 18 mai 1899). Dans une de ces interviews, « Une visite à Sarcey » (Le Journal, 2 janvier 1898), Mirbeau lui annonce sa mort prochaine dans des conditions particulièrement grotesques (« Votre destinée est de mourir un soir, tout d’un coup, dans un fauteuil d’orchestre », mais sans que son cadavre puisse passer par des portes trop étroites pour sa bedaine) et tire un bilan totalement négatif de ses quarante années d’abêtissement de ses lecteurs : « Vous avez été un être malfaisant et vil, toute votre vie vous avez accompli une besogne laide et sale... et lâche, comme l’impuissance dont elle sort. [...] Tous les efforts qui méritaient d’être soutenus, vous les avez découragés... Vous avez craché ignominieusement sur tout ce qui est beau... Votre bonhomie hypocrite ? Du fiel et de la haine... Votre bon sens ? Du caca !... » Et Sarcey d’avouer : « Du caca ?... C’est vrai !... J’aime ça !... Je suis une vieille canaille. J’ai exalté tout ce qu’il y a de bas dans l’esprit de l’homme. J’ai adoré l’ordure et divinisé la stupidité... Tout ce que j’ai commis d’infamies, moi seul le sais !... » P. M.
Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau critique dramatique », in Théâtre naturaliste - Théâtre moderne ? Éléments d’une dramaturgie naturaliste au tournant du XIXe au XXe siècle, Presses universitaires de Valenciennes, 2001, pp. 233-245 ; Octave Mirbeau, Gens de théâtre, Flammarion, 1924.
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