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CABIBEL |
CABIBEL, curé de Montardit, dans l’Ariège. Au cours de l’année 1878, où Mirbeau, rédacteur en chef de L’Ariégeois, a ferraillé pour le compte du baron de Saint-Paul (voir la notice), il a eu des démêlés clochemerlesques avec le curé Cabibel, de la petite commune de Montardit. Forte personnalité, Cabibel présentait l’originalité d’être républicain, quatorze ans avant le “Ralliement” des catholiques de France à la République, mais plus par opportunisme que par conviction, car précédemment il avait appelé à la restauration du Roy. Pour se justifier de son ralliement et répondre aux attaques dont il était l’objet dans L’Ariégeois, il a publié, sans doute à ses frais, une brochure de 48 pages, Le Clairon, où il reproduisait notamment trois de ses lettres à Mirbeau. Curieusement, les protagonistes de ce combat dérisoire combattent à front renversé : le futur anarchiste Mirbeau se fait alors le défenseur de l’Ordre, de l’Autel et du défunt Empire, cependant qu’un modeste curé de campagne soutient la jeune République contre sa propre hiérarchie! En fait, ces querelles locales ont un double enjeu. D’une part, il s’agit de déterminer la forme institutionnelle de l’État français (Empire, République ou Monarchie), qui est en débat depuis presque huit ans, mais à un moment où les chances de restauration de l’Empire sont quasiment nulles, ce qui fait perdre à ce débat une partie de son intérêt. D’autre part, comme la République a l’air d’être désormais solidement implantée, après l’échec de Mac-Mahon et la victoire des républicains aux élections de décembre 1877, il s’agit de déterminer l’orientation du nouveau régime. Doit-il être dans la continuité de la Révolution, s’engager dans des transformations en profondeur et considérer le clergé comme un ennemi à combattre ? Ou bien, au contraire, la République doit-elle devenir un facteur d’ordre et de stabilité et, pour cela, s’appuyer sur le clergé ? Le principe de réalité amène nombre de politiciens à virer de bord, chacun des anciens camps en présence se divise, de nouvelles alliances se profilent, et on assiste à une redistribution des cartes. Cependant que des légitimistes et des bonapartistes se rallient à la République naguère vilipendée, à l’instar de Cabibel, trois ans après les orléanistes, qui voulaient à tout prix empêcher le retour de l’Empire, les républicains se divisent entre progressistes et conservateurs (sans parler des révolutionnaires, qui en appellent à “la Sociale”). Dans cette situation, le pisse-copie à gages qu’est encore le jeune Mirbeau ne sait pas trop sur quel pied danser. Il travaille pour les bonapartistes, qui n’ont de chances de préserver leur emprise sur les populations rurales qu’à condition de conserver de nombreux appuis dans le clergé : Cabibel constitue donc pour eux un mauvais exemple à combattre et à discréditer à tout prix. Mais, par ailleurs, il tente de donner du bonapartisme (voir la notice) une image progressiste, et un curé légitimiste rallié à la République conservatrice, tel que Cabibel, doit lui apparaître comme un adversaire du Progrès, qu’il convient donc de démasquer, mais pour des raisons diamétralement opposées… L’ennui est que Saint-Paul n’a rien de progressiste et que son thuriféraire est amené à employer, contre Cabibel, un ton méprisant et de bien douteux arguments, qui ne lui font guère honneur. Peut-être vaut-il mieux prendre le parti de rire de cette picrocholine guéguerre, où l’on voit le journaliste stipendié exercer sa verve et faire ses armes, en même temps que ses preuves, sur le dos d’un modeste curé de campagne qui a du répondant et sait se trouver des alliés de poids. P. M.
Bibliographie : Cabibel, Le Coup de clairon, André Sagnier et F. Massip, 1878 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le curé républicain Cabibel », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 217-228 ; Octave Mirbeau, Chroniques ariégeoises, L’Agasse, pp. 59-69.
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