Thèmes et interprétations
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PEDOPHILIE |
Bien que ce mot signifie littéralement « l’amour des enfants », il a désormais pris un sens infiniment plus négatif et désigne une pratique aujourd’hui criminalisée : les viols et les abus ou harcèlements sexuels perpétrés par des adultes sur des enfants et adolescents des deux sexes. Mirbeau est l’un des tout-premiers à en avoir parlé comme d’un scandale, à la différence des romans érotiques du XVIIIe siècle où la chose était banalisée et constituait un piment supplémentaire. C’est surtout dans son roman de 1890, Sébastien Roch, qu’il a transgressé un tabou bien enraciné, d’autant plus gravement que l’auteur du viol y est un prêtre inspiré d’un prédicateur célèbre, le jésuite Stanislas Du Lac, ce qui n’a pas peu contribué à rendre à son tour scandaleux celui par qui le scandale public était arrivé. Se sentant concerné au premier chef, dans la mesure où lui-même, selon toute vraisemblance, a dû connaître un traumatisme comparable, Mirbeau multiplie, dans son œuvre littéraire, les exemples d’enfants violés, ou prostitués à des adultes, et même, dans plusieurs romans, carrément assassinés, notamment dans La Maréchale (1883), Vieux ménages (1898), Le Journal d’une femme de chambre (1900), Les Vingt et un jours d’un neurasthénique (1901), Le Foyer (1908) et Dingo (1913). Il évoque aussi la prostitution des enfants dans ses Chroniques du Diable de 1885 et dans « Les Petits martyrs » (L'Écho de Paris, 3 mai 1892). Il s’agit donc bien chez lui d’un thème récurrent, symptomatique de sa très vive sensibilité à ce sujet, à une époque où les droits des enfants étaient très généralement ignorés et bafoués et où l’autorité des pères, des professeurs et des prêtres était sacralisée et au-dessus de tout soupçon. Le viol du petit Sébastien Roch, au collège des jésuites de Vannes, est assimilé par le romancier au « meurtre d’une âme d’enfant ». Certes, il n’est pas tué physiquement, comme la petite Claire du Journal, mais tout se passe comme s’il avait été tué moralement, car, dès lors, tout semble mort chez la petite victime. Son intelligence ne débouche pas sur l’action, sa sexualité est toute perturbée, il perd toute joie de vivre, et sa mort absurde à la guerre, alors qu’il refuse de tuer, s’apparente à un suicide. La spécificité du jésuite pédophile du roman, le père de Kern, est qu’il ne recourt pas à la violence, pour amener ses victimes jusque dans son lit, mais à la douceur et à la séduction. Ce prédateur met en œuvre des moyens spirituels et élevés (per augusta) pour assouvir un appétit bassement charnel (ad angusta), il « chloroforme » les malléables petites âmes de ses victimes pour pouvoir plus aisément prendre possession de leurs corps. Chez Sébastien, le paradoxal résultat est que, de tous les jésuites du collège, c’est encore de Kern qu’il déteste le moins, car il lui a du moins ouvert l’esprit et révélé les beautés de l’art. Autre conséquence de cette entreprise de séduction qui a précédé le viol stricto sensu : lorsqu’il fait l’amour avec Marguerite pour la première fois, à la veille de partir à la guerre, Sébastien est obligé, pour pouvoir la posséder, de « faire appel à tous ses souvenirs de luxure, de voluptés déformées, de rêves pervertis ». Or ces « souvenirs » qu’il lui faut « appeler de très loin », ce sont ceux de son viol, ce sont « des ombres anciennes, du fond de cette chambre de collège, où le Jésuite l'avait pris, du fond de ce dortoir où s'était continuée et achevée, dans le silence des nuits, dans la clarté tremblante des lampes, l'œuvre de démoralisation qui le mettait aujourd'hui, sur ce banc, entre un abîme de sang et un abîme de boue » (Sébastien Roch, II, 3). Malgré les conséquences dévastatrices du viol sur sa personnalité, le plaisir n’en a pas été absent, et il a donc été plus difficile pour lui, qui continue de se sentir coupable, d’exorciser le traumatisme passé que si le pédophile avait recouru à la violence ou à l’autorité du prêtre, car en ce cas l’adolescent n’aurait été qu’une victime, et n’aurait pas pu avoir le sentiment d’être complice de son bourreau. Voir aussi les notices Sexualité, Homosexualité, Du Lac et Sébastien Roch. P. M.
Bibliographie : Laurent Ferron, « Le Viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001 pp. 287-297 ; Pierre Michel, « Sébastien Roch, ou le meurtre d’une âme d’enfant », introduction à Sébastien Roch, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-24
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