Familles, amis et connaissances

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Terme
NIETZSCHE, friedrich

NIETZSCHE, Friedrich (1844-1900), philosophe allemand, qui a tenté de dépasser le nihilisme de Schopenhauer : d’abord, par l’art, comme volonté ou comme représentation ; ensuite, par la connaissance ; enfin, par un effort de l’imagination et de volonté pour devenir un être supérieur, libéré de tous les faux respects et de toutes les fausses valeurs destinés aux fourmis. Parmi ses œuvres, citons L’Origine de la tragédie (1872), Humain, trop humain (1878), La Généalogie de la morale (1887), Le Crépuscule des idoles (1888), Ainsi parlait Zarathoustra (1892), Le Gai savoir. Il est devenu fou en janvier 1889 et a passé ses dernières années interné. Mirbeau possédait les traductions françaises, par Henri Albert, de toutes ses œuvres, publiées en quinze volumes de 1899 à 1907, imprimées sur des papiers précieux et superbement reliées.

 

Mirbeau a-t-il été influencé par Nietzsche ?

 

Étant donné qu'on a retrouvé dans la bibliothèque de Mirbeau des éditions originales de premières traductions des grandes œuvres de Nietzsche publiées au Mercure de France, dont l’un des traducteurs, l’anarchiste Alexandre Cohen, était d’ailleurs un ami de Mirbeau, on sait que Mirbeau avait lu Nietzsche... et avait beaucoup apprécié. Il nous a fait part lui-même de son admiration pour le « philosophe au marteau », hérault annonciateur de la mort de Dieu, destructeur des valeurs judéo-chrétiennes et de sa métaphysique. Mirbeau n’écrit-il pas dans La 628-E8, chapitre II : « Ah ! comme ils ignorent Nietzsche et comme leur est indifférent ce Rembrandt dont La Ronde de Nuit leur est inexplicable ! ». Ou encore, au chapitre VII : « J’eusse voulu parler de Wagner, de Bismarck et de Nietzsche… Une génération arrive aux affaires [en Allemagne], pour qui Nietzsche aura autrement d’influence que Wagner et une génération d’hommes plus subtils, amis de la paix, renonçant aux conquêtes impossibles, raffinés, et qui pourront changer une mentalité héritée des fiers-à-bras de 1871… La vie nouvelle qu’apporte Nietzsche n’a pas germé immédiatement sur la terre allemande. »

Saluons tout de suite, à la fois la perspicacité de l’interprétation mirbellienne de Nietzsche et l’infléchissement de sens qu’il lui fait pourtant subir. Perspicacité : car, loin de voir, dans l’exaltation nietzschéenne de la Volonté de Puissance, la soif nationaliste de conquêtes et de domination que prétendirent y trouver les pangermanistes, et loin de conclure du procès nietzschéen de la morale judéo-chrétienne du ressentiment à un prétendu antisémitisme de Nietzsche dont se réclameront abusivement les Nazis, Mirbeau a compris que Nietzsche nous appelle en réalité à épouser la vie en nous dépassant nous-mêmes, appelle l’homme à se vaincre lui-même, pour l’emporter sur le nihilisme, et que la seule guerre qui soit désirable est la guerre contre des formes culturelles figées, mortes et mortifères ; que la seule victoire qu’il nous invite à remporter est la victoire sur la médiocrité, la faiblesse, la stérilité de l’esprit, la victoire sur nous-mêmes. Mirbeau a recueilli le vrai message de Nietzsche, pour qui ceux qui jouissent de dominer les autres ont une âme d’esclave qu’ils s’efforcent de « draper dans un manteau royal ». Nietzsche déplorait que « la bêtise aryenne » ait « corrompu le monde », et dénonçait dans l’antisémitisme le ressentiment d’imbéciles envieux du génie juif. Mirbeau fait allusion à cette « vie nouvelle » que Nietzsche nous presse d’inventer, par exemple dans Les 21 jours d’un neurasthénique, où il qualifie l’un de ses personnages, Clara Fistule, d’« intermédiaire entre l’homme et Dieu, un interhomme, comme pourrait l’appeler Nietzsche ». Très net renvoi à ce que Nietzsche appelle le surhomme, qui assumera la mort de Dieu, créera une nouvelle table des valeurs, pour nous éviter de dégénérer en cet être veule, vil, répugnant, fuyant l’effort et la douleur dans de petits plaisirs faciles, cet épouvantail d’une sous-humanité à venir, que brandit devant cette foule Zarathoustra, le porte-parole de Nietzsche et qu’il nomme « le dernier homme. »

Cependant Mirbeau infléchit la pensée de Nietzsche en privilégiant son aspect négatif, lorsqu’il compare son message à La Ronde de nuit. Car, pour Nietzsche, l’avenir sera lumière, lumière du Surhumain après la nuit du nihilisme. Alors que, s’il arrive à Mirbeau d’avoir des accents nietzschéens positifs, c’est-à-dire d’inviter les hommes à développer « leurs facultés dominantes », d’opposer les âmes fortes aux âmes faibles et même, dans Le Figaro du 25 juillet 1890, d’évoquer « ce chemin de lumière ouvert devant vous », force est de constater que, de l’alternative nietzschéenne : ou bien le surhomme, ou bien le dernier homme, c’est surtout ce spectre redoutable et méprisable qui hante les écrits de Mirbeau, dont nombre de personnages incarnent ce naufrage de l’humanité.

Il est donc certain que Mirbeau a tiré parti de sa fréquentation de Nietzsche, même s’il a souvent, par l’entremise de ses créatures, écarté, rejeté la philosophie. C'est sans doute plutôt parce que Nietzsche est un psychologue hors pair, qui s'auto-analyse, un écrivain à part entière, un imprécateur du paulinisme chrétien, qui reprend la lutte initiée par Voltaire : Écrasons l'infâme !

M. A.

 

Bibliographie : Lucien Guirlinger, « Mirbeau et Nietzsche », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 228-240.


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