Familles, amis et connaissances
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MONET, claude |
MONET, Claude (1840-1926), célèbre peintre impressionniste français. Né à Paris, il a passé toute sa jeunesse au Havre, où il a fait ses premières armes aux côtés d’Eugène Boudin. Puis il est venu à Paris, a fait un bref passage dans l’atelier de Gleyre, et s’est lié à Renoir, Bazille, Sisley, Manet et Jongkind. Il a épouse Camille Doncieux, qui lui a donné deux fils et est décédée prématurément en 1879. Il a vécu successivement à Argenteuil, puis à Vétheuil, avant de s’installer à Giverny en 1883 ; il y a aménagé une grande maison et un vaste jardin à son goût et y a vécu avec Alice Hoschedé, ex-épouse d’un riche amateur d’art brutalement ruiné, Ernest Hoschedé, et avec les cinq enfants de sa nouvelle compagne. Il a participé à plusieurs expositions du groupe impressionniste et c’est à l’occasion de la première d’entre elles, en 1874, qu’un critique mal intentionné, Louis Leroy, a forgé le terme d’impressionnisme, qui est resté, à propos d’une toile de Monet intitulée Impresssions soleil levant. Par la suite, Monet a exposé en solitaire, chez Durand-Ruel, son marchand de prédilection, dont il ne voulait cependant pas dépendre exclusivement, ou chez les Bernheim, ou encore, chez Georges Petit, à l’initiative de Mirbeau, aux côtés d’Auguste Rodin, en 1889. Après avoir connu la misère dans les années 1870, il a commencé à vendre honorablement ses toiles à la fin des années 1880 et elles ont commencé à atteindre des prix fort rémunérateurs au cours des années 1900. Dans les années 1880 et 1890, Claude Monet a peint les paysages les plus divers : de Vétheuil, de Giverny, de la Côte d’Azur, de Belle-Île (1886), de la Creuse (1889), de la côte haut-normande, et même de la Norvège (1895), et a tâché de saisir l’instantanéité, ce qui l’a amené à concevoir des séries de toiles où, placé au même poste d’observation, il a essayé de capter les éclairages différents d’un même motif au cours de la journée et au long des saisons : il a ainsi exposé les Meules (1891), les Peupliers (1892) et les Cathédrales de Rouen (1895), auxquelles il avait travaille pendant trois ans. Au cours des années 1900, il a peint de nouvelles séries à Londres et à Venise et les a exposées en 1904 et 1912. Durant ses dernières années, Monet a traversé des périodes de découragement, aggravé par la perte de sa femme, en 1911, et de son fils aîné, puis par l’affaiblissement de sa vue (cataracte). Il s’est alors consacré essentiellement à peindre, avec une espèce de frénésie, les jeux de lumière et de reflets sur son étang de nymphéas ; les dix-neuf panneaux de Nymphéas ont été donnés à l’État en 1922, à la demande de Clemenceau. Claude Monet a peint un très grand nombre de toiles, mais, très perfectionniste et en quête d’une espèce d’absolu inaccessible, il en a aussi crevé beaucoup. Doté d’un œil à l’acuité exceptionnelle, il a su capter les nuances infinies de la lumière. Alors qu’il est l’incarnation de l’impressionnisme classique, ce qui explique sa phénoménale réussite posthume, il a réussi à se renouveler et, à la fin de sa vie, au terme de recherches permanentes, il a ouvert la voie à la peinture abstraite.
Mirbeau chantre et ami de Monet Claude Monet a été le plus fidèle des amis de Mirbeau, qui lui a voué une admiration sans bornes et l’a constamment servi, pendant une trentaine d’années, avec un dévouement et une efficacité exceptionnels. Il avait, avec Monet, une complicité intellectuelle et idéologique, car ils partageaient les mêmes valeurs éthiques, qui leur ont fait, par exemple, refuser la croix de la Légion dite « d’Honneur » ou s’engager pour Alfred Dreyfus, ce qui les distingue notablement de leur commun ami Auguste Rodin. Ils avaient aussi en commun d’être deux artistes tardivement consacrés et semblablement exigeants, deux créateurs également en quête de renouvellement des formes et aux prises avec les mêmes ennemis : le misonéisme du public et des critiques, la marchandisation de l’art, le mercantilisme de la presse et la pusillanimité des politiciens. Ils étaient également des jardiniers passionnés et des amateurs de fleurs capables d’« horticulter avec rage » pour embellir leurs jardins. Bref, leur amitié indéfectible et leur admiration réciproque étaient en parfaite harmonie avec leur personnalité et avec leur éthique. Leur première rencontre remonte au 17 novembre 1884, peu après le retour de Mirbeau dans la presse parisienne : c'est le marchand Paul Durand-Ruel qui prend alors contact avec le journaliste et l'invite à rencontrer ses peintres, notamment Monet. Le premier article que lui consacre Mirbeau paraît dans La France le 21 novembre, dans la série de ses Notes sur l’art. En signe de reconnaissance, et conscient de l’importance d’un élogieux article paru dans la grande presse, Monet lui fait cadeau d'une toile, La Cabane du douanier, et le critique l'en remercie le 31 décembre, lui annonçant qu'il entend livrer une « véritable bataille » : « Croyez bien aussi que je ne laisserai jamais échapper une occasion de proclamer toute ma foi artistique et toute mon admiration pour ceux-là qui, comme vous, la défendent à coups de chefs-d’œuvre. » Il tiendra parole, comme en témoignent les nombreux articles qui vont suivre : « Claude Monet », Le Figaro, 10 mars 1889 ; « L’Exposition internationale de peinture », La France, 20 mai 1885 ; « Impressions d’art », Le Gaulois, 16 juin 1886 ; « L’Exposition internationale de la rue de Sèze », Gil Blas, 13 mai 1887 ; « L’Exposition Monet – Rodin », Gil Blas, 22 juin 1889 ; « Claude Monet », L’Art dans les deux mondes, 7 mars 1891 ; « Claude Monet », L’Humanité, 8 mai 1904 ; « La découverte de Claude Monet », in La 628-E8, 1907 ; « Les Venise de Claude Monet », L’Art moderne, 2 juin 1912. Le rôle joué par Mirbeau auprès de Monet est triple : * Tout d’abord, en tant que journaliste de renom, doté d'une force de frappe exceptionnelle, il consacre à son « dieu » nombre d'articles qui contribuent à le crédibiliser et qui, en vingt-cinq ans, le font passer d'une très modeste notoriété à une célébrité mondiale, confirmée par la montée rapide du prix de vente de ses tableaux. Monet est tellement conscient de l’importance des dithyrambes de son thuriféraire attitré qu’il s’accommode d’une certaine possessivité, parfois un peu pesante, de la part de l’écrivain, et qu’il accepte, non seulement de fréquenter Alice Mirbeau, qu’il n’aime guère pourtant, mais aussi de faire pression sur sa femme, qui l’apprécie encore moins, pour qu’elle lui fasse bonne figure. * Ensuite, en tant qu'admirateur inconditionnel et qu'ami dévoué, il est un confident, un conseiller écouté, qui aide son frère spirituel, moins au fait des arcanes de la politique, de l'administration et de la presse, en lui indiquant la marche à suivre (par exemple, lors de la bataille pour l’Olympia de Manet, en 1890-1891, ou lors du projet d’installation d’une usine d’amidon à Giverny, en 1895), et en le mettant en garde contre les erreurs et les chausse-trapes. * Enfin, en jouant auprès de lui le rôle d’un psychothérapeute, qui s’est fixé pour mission d’aider un artiste trop exigeant, et par conséquent souvent désespéré, à traverser ses crises de découragement et à aller de l'avant. Il a contribué mieux que personne à redonner le moral à un ami qui a la fâcheuse habitude de « tendre ses filets trop haut », selon l’expression de Stendhal, et il l’a mis en garde, dès 1887, contre « la maladie du toujours mieux » : « Il est un point que l’homme ne peut dépasser. La nature est tellement merveilleuse qu’il est impossible à n’importe qui de la rendre comme on la ressent. » Et de nouveau le 19 mai 1908 : « Dites-vous qu’il est des rêves, en deçà de la vie, qu’une âme forte ne doit pas tenter, parce qu’ils sont irréalisables. On ne peut aller plus loin que le monde sensible ; et, sapristi, ce que vous voyez, est un domaine assez vaste, assez infini pour vous. » Ses interventions se révèlent le plus souvent efficaces, comme en témoigne, par exemple, la lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, deux jours plus tard : « Monet a reçu une longue lettre de Mirbeau ne lui ménageant pas les compliments et cherchant à le remonter. Heureusement sa voix autorisée y arrive mieux que nous, et il relit cette lettre avec joie et semble moins au noir. » Pour parvenir à ses fins, Mirbeau recourt fréquemment au dithyrambe et tente de « raisonner » son ami : « Voyons, voyons, raisonnez-vous un peu. Vous êtes perdu parce que la neige a fondu au lieu de rester sur la terre comme vous l'eussiez désiré. C'est de l'enfantillage. Il n'y a qu'une chose qui doit vous préoccuper. C'est votre art. Êtes-vous en progrès, ou bien êtes-vous en décadence ? Voilà les deux seules questions qui doivent se poser à vous. Eh bien, mon ami, je vous le dis, et croyez-moi, depuis trois ans vous avez fait des pas de géant. Vous avez découvert des choses nouvelles. Votre art s'est élargi ; il a embrassé ce qui est possible. Vous êtes, de ce temps, le seul artiste qui ayez doté la peinture de quelque chose qu'elle n'avait pas. Et votre vision s'élargit encore. Vous êtes en pleine puissance de vous-même. Le plus fort et le plus subtil aussi ; celui qui laissera après soi le plus d'influence. Et vous dites que vous êtes foutu ? Quand vous-même vous me disiez l'autre jour, à propos de votre figure au soleil : “c'était quelque chose que je n'avais pas fait encore ; un frisson que ma peinture n'avait pas encore donné.” Et maintenant vous êtes foutu ! Vous bafouillez, mon bon Monet, et c'est triste qu'un homme de votre trempe, rare, de votre talent, unique, en soit à radoter sur ces stupidités. Et ce n'est pas mon avis seul. C'est l'opinion de tous ceux qui vous suivent et qui vous aiment. À chaque campagne, dit-on, ce diable de Monet nous donne encore autre chose. Il y a encore plus de profondeur, plus de pénétration, plus d'exécution. Et c'est la vérité pure. » L’aveu de ses propres doutes et de son lancinant sentiment d’impuissance lui sert aussi, bien souvent, à faire comprendre à Monet, par comparaison, qu’il n’est pas le plus mal loti, tant s’en faut.
Monet vu par Mirbeau Pour promouvoir son ami, Mirbeau a l’habitude de recourir à l’hyperbole, et le peintre n’est pas forcément dupe du tombereau d’éloges que le critique déverse sur lui. Mais il sait aussi que le critique n’est pas seulement d’une totale sincérité, mais qu’il a aussi un œil fort exercé et un jugement très sûr, auquel il peut se permettre de faire confiance. Or, pour Mirbeau, Monet est un artiste exemplaire, voire unique, parce qu’il s’est fait « tout seul », en dehors de toute école, parce qu’il a poursuivi inlassablement son œuvre et que, assoiffé de perfection, il n’a cessé de chercher à se renouveler et à se dépasser. Aux yeux de Mirbeau, Monet a réalisé une synthèse miraculeuse de contraires d’ordinaire considérés comme incompatibles : synthèse de l’immuabilité de l’œuvre d’art et du mouvement de la vie ; synthèse de l’objectivité de l’homme de science, qui observe la nature et en dégage les lois, et de subjectivité de l’artiste, qui ressent des émotions et tâche à les faire partager par la magie de son art ; synthèse de la spontanéité du regard et du travail exigeant, toujours recommencé. En exprimant « l’inexprimable de la nature » et en saisissant « l’insaisissable », en captant l’instant et en exprimant la nature « sous ses aspects changeants », en faisant de la lumière, « qui enveloppe toutes les choses vivantes », l’enjeu de sa création, en rendant les frissons de l’air et de l’eau, en évoquant « la vie prodigieuse des météores », Monet réussit à aller au-delà des apparences pour accéder à « l’essence » des choses et à donner une telle « illusion de la vie » que l’art se fait oublier et cesse de s’interposer entre l’amateur d’art, l’œuvre qu’il contemple et la nature qui s’y trouve transfigurée : « Et il nous arrive cette impression que bien des fois j’ai ressentie en regardant les tableaux de Claude Monet : c’est que l’art disparaît, s’efface, et que nous ne nous trouvons plus qu’en présence de la nature vivante, complètement conquise et domptée par ce miraculeux peintre » (« L’Exposition Monet-Rodin », Gil Blas, 22 juin 1889). Certes, Mirbeau sait pertinemment que ce n’est là qu’une « illusion de la vie », et non la vie elle-même, ce qui atténue quelque peu le miracle constamment renouvelé que constitue l’œuvre picturale de Claude Monet. Mais il n’en éprouve pas moins, en contemplant les toiles de son ami, la même « émotion » que celle « qu’on ressent devant les beautés de la vie des choses ». Alors, tout bien pesé, l’art de Monet, non seulement n’est pas une « mystification », comme il arrive à Mirbeau de le dire de l’art en général quand il est en veine de provocation, mais constitue une source inépuisable de beauté, d’harmonie et d’émotion. P. M.
Bibliographie : Emily Apter, « The Garden of scopic perversion from Monet to Mirbeau », October, n° 47, hiver 1988, pp. 91-115 ; Pierre-Olivier Douphis, « Mirbeau et les Venise de Claude Monet », site Internet de Geographis, 21 octobre 2004 ; Marc Elder, À Giverny, chez Claude Monet, Bernheim-Jeune, 1924, pp. 73-75 ; Eva Figes, Lumière, Éditions Rivages, 1985, pp. 57-83 ; Aleksandra Gruzinska, « Fragments d'une amitié - Octave Mirbeau, Claude Monet et Théodore Robinson », in L'Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses de l'Université de Strasbourg, 2009, pp. 151-160 ; Steven Levine, Monet and his critics, Garland, New York, 1976, pp. 95-113 ; Steven Levine, « Mirbeau and the cult of the self (1889) », in Monet, Narcissus, and Self-Reflection: The Modernist Myth of the Self, University Chicago Press, 1994, pp. 89-102 ; Christian Limousin, « L’Ardeur poétique de l’admiration – Mirbeau parmi les critiques de Monet », in Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 101-119 ; Christian Limousin, « Monet au jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 256-278 ; Pierre Michel, « Autour des lettres de Mirbeau à Claude Monet », in Actes du colloque de Rouen Impressionnisme et littérature, à paraître en 2011 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, préface de la Correspondance avec Claude Monet, Éditions du Lérot, 1990, pp. 7-28 ; Gérard Poulouin, « Conversations à Giverny : Claude Monet et Octave Mirbeau », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Presses de l’Université de Caen, décembre 2007, pp. 19-34 ; Pilar Rodriguez Reyes, « Le Port, patrie du peintre : l'esthétique de l'eau chez Monet et Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 141-151. .
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