Familles, amis et connaissances
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WHISTLER, james abbott mcneill |
WHISTLER, James Abbott McNeill (1834-1903), peintre américain qui a fait toute sa carrière en Europe, en Angleterre (il a longtemps vécu à Londres) et en France (il a étudié la peinture à Paris et, à l’occasion de ses nombreux séjours, il est devenu une figure de la vie parisienne). Il était lié d’amitié avec Mallarmé et Monet, et, par leur truchement, est devenu aussi l’ami de Mirbeau. Il a réalisé des paysages (de la Tamise, dont il a peint plusieurs nocturnes, et de Venise, notamment) et surtout de nombreux portraits : de sa mère (1871), de Lady Meux (1882), de Théodore Duret (1885), de Lady Dombasle (1885), de Pablo de Sarasate (1886) et de Robert de Montesquiou (1892). Il intitulait souvent ses tableaux par les contrastes de couleurs qui les caractérisaient, par exemple Symphonie en blanc, également connu comme La Fille en blanc (1862), Variations en violet et vert (1871), Arrangement en noir et gris (1871), Nocturne en bleu et or (1875), Harmonie en noir et rouge (1882), Arrangement en noir (1884), ou Autoportrait en brun et or (1896), car, pour lui, c’est l'harmonie des couleurs qui importe seule, et non la représentation d’une réalité objective, raison pour laquelle il a pu être considéré par certains historiens de l’art comme un précurseur de la peinture abstraite. Mallarmé a traduit son Ten o’clock, conférence sur l’esthétique. Mirbeau a longtemps manifesté pour Whistler une vive admiration, en dépit de ses gamineries et de son goût pour le scandale, la réclame, les dépenses inconsidérées et surtout pour la procédure (Whistler a, par exemple, intenté à Ruskin un ruineux procès en diffamation pour une critique un peu vive). En 1882, dans un article signé Demiton, il admire le portrait de Lady Meux, « une simple, belle et grande œuvre », où il y a, « dans l’harmonie générale du tableau, une mélancolie grandiose, qui fait penser à la Marche funèbre de Chopin » (Paris-Journal, 4 mai 1882). Trois ans plus tard, dans son « Salon », il qualifie Whistler de « portraitiste de race », avec « le charme sans rival de ses tonalités exquises » (« Le Salon I – Coup d’œil général », La France, 1er mai 1885), sa « délicatesse d’analyse » et son « mysticisme troublant » (ibid., 9 mai 1885) ; il admire particulièrement le portrait de Lady Dombasle, qui semble « brossé d’hier » et à travers lequel se révèle « toute une noblesse, toute une race », et il affirme que Whistler « a du style, et même un style qui lui est propre » (ibid., 26 mai 1885). L’année suivante, dans son « Salon » de La France, Mirbeau est admiratif devant « l’harmonie souveraine » du portrait de Sarasate, qui « dénote une habileté prestigieuse de dessinateur » et qui exprime « le caractère physique et le caractère moral de cette physionomie si intéressante » : « les passages du noir du noir du fond avec le noir de l’habit, ceux du noir de l’habit avec le blanc de la chemise et le ton enveloppé des chairs, sont ménagés avec une science étonnante » (24 mai 1886). Lors de l’exposition internationale de la rue de Sèze, un an plus tard, nouveau dithyrambe face aux « cinquante et un petits joyaux du prix le plus rare » présentés par le peintre américain, notamment des eaux-fortes « incomparables », qui n’ont d’égales que celles de Rembrandt, et un portrait de femme, « harmonie en noir, qui impressionne comme un mystère » (Gil Blas, 13 mai 1887). Dans son « Salon » de 1892, Mirbeau classe Whistler parmi les rares « élus » et admire particulièrement sa Place Saint-Marc, « avec ses architectures noyées de nuit » (Le Figaro, 6 mai 1892). Par la suite, il n’est plus guère question de Whistler dans sa critique d’art, comme si la connaissance intime de l’homme avait ramené son admiration pour le peintre à des proportions plus modestes. Tout au plus Mirbeau voit-il en Whistler celui qui, par la connaissance qu’il en a, serait le mieux placé pour écrire « l’histoire du préraphaélisme, ce « prodige de folies esthétiques et d’erreurs morales », dont « il eut à souffrir » (« L’Homme au large feutre », Le Gaulois, 23 octobre 1896). C’est précisément par Whistler que Mirbeau a connu les dessous du curieux pacte passé, un quart de siècle plus tôt, entre le poète Dante Gabriel Rossetti et son disciple, le peintre William Morris, pour la possession de la sculpturale Jane Burden, épouse du second et maîtresse du premier : il en a tiré la matière première de sa chronique satirique intitulée « Intimités préraphaélites » (Le Journal, 9 juin 1895) et qui deviendra le chapitre X du Journal d’un femme de chambre, ajouté sur épreuves, au dernier moment. En 1895, Mirbeau a accepté de seconder le peintre lors de ses démêlés avec l’écrivain George Moore, qui avait insulté Whistler dans un article de la Pall Mall Gazette : Whistler a alors chargé ses deux témoins, Mirbeau et Francis Viélé-Griffin, d'exiger soit une rétractation formelle, soit une réparation par les armes. Moore n’ayant pas répondu, l'affaire se termina par la publication d'un procès-verbal de carence dans Le Journal du 24 mars. Ce même jour, dans une chronique du Journal intitulée « Le Portrait de sa femme », Mirbeau évoquait le procès de Whistler avec un de ses clients, lord Eden, qui ne voulait payer un portrait grand format de son épouse que le dixième du prix habituel, amenant Whistler à ne pas livrer son œuvre, et il ironisait sur l’arrêt aberrant rendu le 27 février par le président Toutée, condamnant le peintre à rendre à Eden le portrait de sa femme, ainsi que les cent livres versées en paiement, à lui payer de surcroît mille francs de dommages-intérêts, et à supporter tous les frais du procès... Naturellement, Whistler fera appel et finira par gagner, en 1896. Le jour même de la parution de l’article, il écrit à Mirbeau pour le remercier : « Je voulais surtout vous dire combien je trouve charmant et brillant le terrible “Portrait de sa femme” ! J’en suis ravi ! Étincelant de joie, qui est toujours l’arme des gentilshommes, et rayonnant de clarté, ce qui fait la terreur de nos ennemis ! / Et le tout sans effort, sans explication, enfin un petit chef-d’œuvre de gaieté ! Et la gaieté du vrai artiste rend fou l’imbécile qui est toujours coupable en lui mettant le désespoir dans l’âme ! / Je ne sais pas combien de numéros du Journal sont déjà partis pour Londres. » P. M.
Bibliographie : Octave Mirbeau, « Le Portrait de sa femme », Le Journal, 24 mars 1895 ; Joy Newton, « Whistler, Octave Mirbeau and George Moore », Romance quaterly, volume 37, mai 1990, pp. 157-163.
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