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DELACROIX, eugène |
DELACROIX, Eugène (1798-1863), célèbre peintre romantique français, considéré comme le maître de la couleur. Il a combattu le classicisme, l’académisme et le réalisme et s’est heurté à de nombreuses oppositions et incompréhensions, notamment de la part des panégyristes d’Ingres, auquel il s’opposait par la primauté accordée à la couleur plutôt qu’au dessin et à la passion et à ses excès plutôt qu’à la raison et à sa modération : « Voilà plus de trente ans que je suis jeté aux bêtes », dira-t-il sur le tard. Son inspiration est souvent littéraire, il s’est en particulier inspiré de Shakespeare, Dante, Goethe, Byron et Delavigne. Il a aussi réalisé des scènes de genre en Algérie, quelques paysages exotiques et des peintures animalières, notamment de fauves du désert. Parmi ses toiles les plus célèbres, citons La Barque de Dante (1822), Massacres de Scio (1824), Marino Faliero condamné à mort (1826), La Mort de Sardanapale (1828), La Liberté guidant le peuple (1830), Mirabeau et Dreux-Brézé (1830), Fantasia arabe (1833), Le Prisonnier de Chillon (1834), Femmes d’Alger (1834), Entrée des croisés à Constantinople (1840), Les Adieux de Roméo et Juliette (1845), Lady Macbeth (1850), Les Disciples d’Emmaüs (1853), Le Christ sur le lac de Génésareth (1854), Les Deux Foscari (1855), Les Convulsionnaires de Tanger (1857), Hamlet et Horatio au cimetière et les deux fossoyeurs (1859), etc. Dans son Journal, publié en 1863, Delacroix exprime, sur l’art et sur la peinture, nombre d’idées avec lesquelles Mirbeau se retrouve d’accord et dont il cite trois extraits dans son article du 6 octobre 1890 dans L’Écho de Paris : méfiance à l’égard de « l’adresse de la main », refus du « beau traditionnel » transmis de génération en génération, conscience mélancolique de l’incompréhension et de l’injustice du public face aux génies novateurs. Nombreuses sont, dans ses chroniques esthétiques, les références élogieuses de Mirbeau à Delacroix, pour lequel il professe une admiration sans réserves. Il lui consacre deux articles de La France à l’occasion de l’exposition rétrospective de ses œuvres aux Beaux-Arts, en mars-avril 1885, et où il voit par avance « un régal de l’esprit » et « une vraie fête des yeux ». Dans le premier, paru le 4 mars, il trouve que le « vol » de Delacroix est « plus superbe » encore que celui de Victor Hugo, que l’on vient d’enterrer solennellement : « Si ses tableaux ont la beauté des grandissements épiques, ils ont aussi la passion, le mouvement, le geste de l’humanité. Delacroix met, entre l’homme et le milieu où l’homme s’agite, une corrélation intime, un accord violent. [...] On sent en Delacroix une pensée plus profonde, une âme plus altérée d’émotions, une vision plus large, car il embrasse, du même coup d’œil, la scène et les acteurs. » Le « grand artiste » en lui se doublait d’un « admirable esprit », capable de « raisonner de tout en perfection », et d’un écrivain aux « qualités rares », dont la correspondance « devrait rester comme le bréviaire de l’artiste » : « Ses jugements portent tous l’empreinte d’un génie qui ne se cantonne pas dans une spécialité, mais qui va fouillant avec passion le fond et le tréfonds des choses ». Ses dessins ont été critiqués à cause de « certaines exagérations des muscles », mais Delacroix les « a voulus ainsi » : « Il donnait aux muscles agissants des développements extraordinaires pour indiquer l’action, le mouvement, pour rendre le geste et la pensée qui dirige le geste », car, désireux d’ « exprimer », « il n’hésitait pas à faire les sacrifices nécessaires, que la nature elle-même commande quand on sait la regarder et la comprendre et qu’on veut arriver à l’âme sous la forme ». Dans le second article, paru le 14 mars 1885 et rédigé après la visite de l’exposition, Mirbeau se réjouit d’avoir pu suivre, des dessins préparatoires aux « grandes conceptions réalisées », « la marche héroïque de cet infatigable esprit à travers toutes les religions, toutes les histoires, toutes les poésies, toutes les fantaisies, tous les rêves » : « On reste anéanti devant ce travail de géant – presque de Dieu. » Et il admire comment Delacroix est parvenu à emplir ses toiles, où se concentrent « tous les crimes et toutes les fureurs, d’une vie prodigieuse, d’une couleur éclatante, d’un mouvement et d’une pensée tels qu’on pourrait croire que le sublime artiste a dérobé à Dieu les mystères de sa création ! » Et de conclure que l’immortalité lui est acquise, car « il a été un grand virtuose de la couleur, le musicien des divines symphonies de lumières » et « celui qui a le plus magnifiquement interprété l’œuvre de Dieu. » Nouvel hommage, cinq ans plus tard, dans les colonnes de L’Écho de Paris, à l’occasion de l’inauguration du monument à Delacroix, œuvre de Jules Dalou. Mirbeau y reconnaît en lui un rénovateur de la peinture, dont il a tiré « toutes les formes d’expression », et un « initiateur » de la peinture moderne. Il le loue d’avoir apporté « des conceptions de beauté nouvelles, non plus seulement linéaires et physiques, mais intellectuelles et morales », et d’avoir introduit « la poésie du mouvement et de la passion ». Par sa « préoccupation déroutante du plein air », il peut être considéré « comme un ancêtre » des impressionnistes, ayant même pressenti instinctivement avant eux « la nécessité de la séparation des couleurs ». De nouveau Mirbeau justifie ses prétendues « fautes de dessin », qui en réalité sont voulues, parfaitement conscientes et maîtrisées, et qui répondent à un souci de la vie et de l’expressivité : c’est par là, justement, qu’il « atteint au génie ». Pour Mirbeau, Delacroix est à la fois « le plus peintre des peintres » et « le plus littéraire des littérateurs ». P. M.
Bibliographie : Octave Mirbeau, « Eugène Delacroix », La France, 4 mars 1885 ; « Eugène Delacroix », La France, 14 mars 1885 ; et « Eugène Delacroix », L’Écho de Paris, 6 octobre 1890.
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