Familles, amis et connaissances
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HUYSMANS, joris-karl |
HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907), romancier et critique d’art français, d’ascendance néerlandaise. Il a mené de front une modeste carrière d’employé au ministère de l’Intérieur, et de romancier rattaché, à ses débuts, au groupe des médanistes. Dans la veine naturaliste, il a publié Marthe (1876), Les Sœurs Vatard (1879), En ménage (1881), À vau-l’eau (1882), et participé en 1880 aux Soirées de Médan, avec une nouvelle « Sac au dos ». À partir d’À rebours (1884), qui est rapidement devenu la bible des Décadents, il s’est éloigné du naturalisme matérialiste et a cherché une voie nouvelle, spiritualiste, dans l’occultisme et le satanisme d’abord (Là-bas, 1891), puis dans le catholicisme romain, même s’il sentait quelque peu le soufre aux yeux de l’institution et de nombre de fidèles. Après sa conversion à la foi de ses pères, il a publié En route (1895), La Cathédrale (1898), Sainte-Lydvine de Schiedam, (1902), L’Oblat (1903). Devenu sincèrement et profondément croyant, il a passé plusieurs années en retraite, notamment à Ligugé. Ses articles de critique d’art, consacrés en particulier à Gustave Moreau et à Félicien Rops, ont paru en 1889 sous le titre de Certains. Membre de l’Académie Goncourt dès sa fondation, il en a été le premier président, Mirbeau ayant décliné cet honneur. Mirbeau a fait sa connaissance vers 1877, peu avant le fameux dîner chez Trapp (voir la notice), mais les deux écrivains n’ont jamais été intimes et ne s’aimaient guère. Léon Daudet, qui les a côtoyés lors des dîners Goncourt, disait qu’ils se détestaient « par dissemblance de tempérament, comme chien et chat ». Ils en sont donc restés aux politesses d’usage, et encore, pas toujours. C’est ainsi que Mirbeau lui dédie une de ses Lettres de ma chaumière de 1885, « Un Poète local », et lui adresse L’Abbé Jules, et que, de son coté, Huysmans lui envoie son roman Un dilemme, puis une lettre sur L’Abbé Jules – dont il n’a cependant pas daigné accuser réception ! Cette lettre, précisément, est révélatrice de l’abîme qui, dès cette époque, sépare les deux romanciers et que l’évolution religieuse de Huysmans ne va faire que creuser toujours plus. Du personnage de Jules, Huysmans déplore qu’il ne se soit pas défroqué, comme sa « rosserie », son « sadisme » et son côté « sardonique » auraient dû « fatalement » l’y conduire, et aussi qu’il soit devenu prêtre, puisque « sa vocation », ou ce qui en tient lieu et qui « étonne sa famille », « ne s’explique point ». Non seulement ce reproche est absurde (si Jules n’avait pas été prêtre, il n’y aurait pas eu de roman), mais il révèle que Huysmans en est resté aux présupposés réducteurs de Zola et des naturalistes, que le sombre travail des pulsions inconscientes lui demeure étranger et qu’il ne saisit pas du tout la complexité et la portée de cet extraordinaire personnage, si bien compris par Mallarmé et Rodenbach. Incompréhension bien pire encore lors de la publication du Journal d’une femme de chambre (1900), à propos duquel Huysmans écrit à Lucien Descaves : « La volonté d’épater en ne parlant que d’ordures et de sang paraît tourner à la monomanie chez [Mirbeau]. C’est du Zola furieux – ou soi-disant furieux, car le toc de ces violences se sent. » De son côté, Mirbeau, réfractaire à la littérature huysmansienne, n’a commis que quelques phrases d’hommage public qui ne l’engageaient guère et qui, en réalité, sous-entendaient une vision critique de son style et de son attitude face au monde. Il parle, par exemple, « de son pessimisme faisandé, de ses raffinements de dégoût, magnifiquement parés de toutes les gemmes, de toutes les joailleries du verbe » (« Quelques opinions d’un Allemand », L’Écho de Paris, 4 novembre 1889), et il le qualifie de « fastueux et dégoûté chercheur des au-delà » (« Propos belges », L’Écho de Paris, 1890). Cinq ans plus tard il émet une critique plus directe quand il conteste la comparaison habituelle entre Huysmans et Oscar Wilde, parce que, selon lui, « même dans des sujets qui comportent l’abstraction pure, M. Huysmans ne va jamais au-delà de l’extériorité des choses et des êtres, qu’il colore et déforme, selon l’angle de sa très particulière mais restreinte vision » (« Sur un livre », Le Journal, 7 juillet 1895). Dans sa correspondance privée, il se montre beaucoup plus sévère encore. Ainsi, en juillet 1887, dans une lettre à Hervieu, il le qualifie d’« imbécile » et voit en lui « une espèce de Dubrujeaud de la décadence ». Par la suite, on sent poindre deux critiques principales. Il reproche tout d’abord à Huysmans de détester la nature, de faire preuve d’une totale insensibilité devant la beauté du monde et d’être même incapable de la percevoir : « Voir ! regarder ! n’importe quoi ! Une pierre… une vieille racine morte. Et voilà des mondes que Huysmans ne soupçonne pas », écrit-il à Jules Huret. Mirbeau n’admet pas non plus son refus de vieux ronchon du monde moderne, où grouillent pourtant ces grandioses « canailleries » qui excitent tant sa verve vengeresse de pamphlétaire : « Il faut avoir, vraiment, l’admirable et si complète inintelligence de l’ami Huysmans, pour ne pas admirer une époque, où s’élaborent de telles canailleries ! Moi, je l’adore, cette époque », avoue-t-il à Georges Lecomte en 1892. P.M. Bibliographie : Christopher Lloyd, « Food and decadent culture : Huysmans and Mirbeau », Romance studies, n° 13, hiver 1988, pp. 67-79 ; Pierre Michel, « Huysmans et L’Abbé Jules », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, 2000, pp. 189-194 ; Valeria Ramacciotti, « Dal Jardin d’hiver al Jardin des supplices », Actes du colloque de Vérone des 2-5 octobre 2005, La Letteratura e i giardini, Florence, Olshki, 1987, pp. 111-126 ; Robert Ziegler, « The Artist in Utopia : J.-K. Huysmans’ Là-bas and Octave Mirbeau’s La 628-E8 », in Beauty raises the Dead - Literature and Loss in the Fin-de-siècle, University of Delaware Press, Newark, et Associated University Presses, Londres, 2002, pp. 114-145.
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