Familles, amis et connaissances

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CLAUDEL, paul

CLAUDEL, Paul, Louis, Charles (1868-1955), né le 6 août à Villeneuve/ Fère-en-Tardenois, garde  de ce village isolé, riche en haines féroces, une violence, qui suscite les premiers drames de notre «dernier poète paysan» : Une mort prématurée, Tête d’Or, la Jeune Fille Violaine (1892), future   Déraciné à Paris, il asphyxie dans ce « bagne matérialiste» et sa doctrine positiviste. À 18 ans, première fissure grâce à Rimbaud, puis le choc émotionnel de Noël, à Notre-Dame  , déclenche sa «Conversion». Mais dans «l’enfer du génie», «l’homo duplex»  ne cessera de livrer «bataille d’âme». Les personnages issus de ses «boyaux» (sic), transcrivent cette lutte du «poëte catholique».

1890. Reçu au concours des Affaires Étrangères, il publie en novembre Tête d’Or, sans nom d’auteur : une véritable «bombe» ! Maeterlinck, révélé par Mirbeau dans le Figaro du 24 août lui écrit  le 21 décembre : « tous vous prendront pour un fou, simplement, mais  je commence à croire que c’est le génie sous la forme la plus irrécusable qu’il ait jamais revêtue». (CPC,I,138).  En février 1892, seulement, par Marcel Schwob, Mirbeau prend connaissance de ce «fameux bouquin», «touffu, barbare, et magnifiquement génial» : il en reste «secoué jusque dans les entrailles.»(Cor.II,556 & 561). Après relectures, il renvoie à Schwob « ce drame violent, incohérent et génial», ébloui par un «génie» capable de créer « du charme aussi dans (la) barbarie» contemporaine. Avide de rencontrer Claudel, il le réclame encore début 93. Mais Paul, nommé Vice-Consul , part pour New-York en février. Son nouveau drame : La Ville, vient de sortir. Le critique n’y capte plus cette «coulée bouillonnante qui menait Tête d’Or à la mer du génie» (Cor.II,703). L’inspiration ne vient pas. Car «l’appel farouche du prophète clamant à travers un monde opprimé… l’annonciation  des  temps nouveaux » (id.562)  sensible dans Tête d’Or, s’ouvre désormais sur la transcendance. La religion du  Progrès, les politiciens, l’amour même, tout est illusion ! Dans ce néant, le vide appelle Dieu : Coeuvre, le poète, devient évêque. Ce glissement vers le sacré peut-il séduire un athée ?

Tête d’Or a consacré ce nom de Claudel, mais par lettres. En 1892, Mirbeau, bouleversé, répétait de l’auteur: un «bougre qu’il faut suivre…». Personne, « avant lui [n’a] plongé plus avant dans les ténèbres de l’inconnaissable. Et il y a, à chaque instant des phrases qui contiennent des mondes» (à Gille,Cor,II,557).   Le 12 mai 1893, dans le Journal, sans prudence diplomatique, il exalte Camille Claudel qui expose La Valse et Clotho « ce qu’il y a de vraiment supérieur en cette exposition». (C.E.,34), mais, simultanément, il révèle le génie de Paul. Outre l’influence de Rodin, le Maître, c’est «  l’intimité intellectuelle » avec l’auteur de Tête d’Or qui explique cet art « très haut, très mâle» (C.E.,34). Oui, au cœur d’une société  «mortifère», renaît l’émotion vraie, qui purifie des «grimaces». Le «cœur est touché»,  enfin.

Marcel Schwob, toujours en contact avec son condisciple de Louis-le-Grand, lui transmet ces éloges. De New-York, le 3 juin 1893, Claudel remercie doublement Mirbeau, « des belles choses que vous avez dites de ma sœur et de moi […] reconnaissant plus encore pour ma sœur…[et sa] qualité d’imagination admirable ! » (Cor,II,756). Ce fut sa seule lettre au critique. L’éloignement professionnel n’est pas seul en cause. Rapprochons ces deux bilans : Mirbeau : «toute mon œuvre respire la haine de l’amour »[Cor,I,68]. Et Claudel : «…j’ai même un certain mépris pour la Littérature… Je suis beaucoup plus Prêtre qu’écrivain ou artiste !» (S,III,275). 

M.B.

 

Bibliographie :Cahiers P.Claudel, Gallimard 1959, N°1 ;   G.Antoine : P.Claudel ou l’Enfer du Génie, R.Laffont, 1988, 2004 ; P.Michel :Mirbeau :Combats Esthétiques, t.II, Séguier, 1993 ; P. Michel : Mirbeau :Correspondance, L’Âge d’Homme,2005,t.II.

 

       

 

 

 


CLEMENCEAU, georges

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929), célèbre homme politique et journaliste. Quoique vendéen, il était farouchement attaché à la République et a mené une très longue carrière : maire du XVIIIe arrondissement après le 4 septembre 1870, il a été député presque sans interruption à partir de 1871 (mais il a été battu dans le Var en 1893, au terme d’une campagne fort agitée, où il a été victime de la diffamation orchestrée par les nationalistes sur la base de faux documents, ce qui lui a valu la sympathie de Mirbeau). Il a siégé parmi les radicaux, à l’extrême gauche parlementaire de l’époque, et a fait tomber nombre de ministères. Ardent dreyfusard, il est directeur politique de L’Aurore pendant l’Affaire, y fait paraître le J’accuse de Zola le 13 janvier 1898, et y publie de remarquables chroniques quotidiennes, recueillies en sept volumes, dont le premier, L’Iniquité, est salué par Mirbeau. Président du Conseil en 1906, il reste au pouvoir pendant trois ans. Il nomme bien Picquart ministre de la Guerre, ce qui le situe symboliquement dans la continuité de la bataille dreyfusiste. Mais il  se révèle un homme d’ordre et se proclame le « premier flic de France » : il réprime les grèves ouvrières, infiltre les syndicats, envoie la troupe contre les vignerons du Midi. Pendant la guerre, il est jusqu’au-boutiste et on le surnomme « le Père la Victoire ». Clemenceau a publié en 1895 La Mêlée sociale, admiré par Mirbeau, en 1896 Le Grand Pan, en 1898 un roman, Les Plus forts, et en 1901 une pièce, Le Voile du bonheur, qui a consterné Mirbeau par sa médiocrité.

Ses préoccupations sociales – dont témoignent notamment ses deux très élogieux comptes rendus des Mauvais bergers, le 16 décembre 1897 et le 20 mars 1898, dans L’Aurore –, son anticléricalisme intransigeant, son dreyfusisme ardent et son admiration durable pour Claude Monet ont rapproché Clemenceau de Mirbeau, mais l’exercice du pouvoir l’en a quelque peu éloigné. C’est Gustave Geffroy, leur ami commun, qui a servi de trait d’union. En 1895, alors que Clemenceau n’est plus député et voit sa carrière politique compromise, Mirbeau se réjouit que « l’ingratitude humaine » ait eu pour effet positif de susciter un écrivain (« Clemenceau », Le Journal, 11 mars 1895) : « Car nous avions compris que cet échec apparent n’était, au fond, qu’une délivrance, qu’il aboutissait à quelque chose de beau, et que, si nous perdions un député, nous gagnions un admirable écrivain. » Tout en se réjouissant – prématurément – de voir Clemenceau « sortir de la politique active », il rappelle qu’il a été le seul, lors du massacre de Fourmies (1er mai 1891), à faire entendre à la Chambre « un cri de pitié humaine ». Puis il présente La Mêlée sociale, « œuvre maîtresse, forgée de nobles pensées et fleurie de beauté artiste », où « tout lui est prétexte à philosopher » : « Il connaît la signification des choses, et leur fatalisme dans la nature terrible et belle, la destinée des êtres, en proie au mal de l’universel massacre. Il sait de combien de morts accumulées est faite l’herbe qu’il foule, la fleur qu’il respire, de combien d’injustices, de violences et de rapts sanglants, la douleur humaine, dont il compte le martyrologe, qui ne cessera, hélas ! qu’avec l’univers. [...] C’est à la Vie seule qu’il s’en prend. Il l’interroge partout où il la rencontre et il la rencontre partout, dans la rue, parmi les foules, dans les taudis du pauvre et les salons du riche. Il la suit dans les champs, dans les mines, dans les forêts lointaines, à l’atelier, au musée, à la prison, au pied de l’échafaud. »

Son compte rendu de L’Iniquité (L’Aurore, 2 février 1899), rédigé en pleine affaire Dreyfus (voir la notice) est tout aussi élogieux : « C est plus que de la polémique, c’est de l’histoire, de la forte, grande et tragique histoire. [...] Bien qu’écrit au jour le jour, selon l’accident de l’heure, et le coup de théâtre de la journée, il a, par la pensée directrice qui l’anime, par l’esprit philosophique qui en relie, l’une à l’autre, les feuilles éparses, il a une valeur d’unité, une ampleur de synthèse qui étonne, qui passionne et qu’on admire. » Après le procès de Rennes et la grâce accordée à Alfred Dreyfus (voir la notice), Mirbeau et Clemenceau n’ont pas adopté exactement la même position. Leurs relations, bien que distendues, sont néanmoins restées amicales. Lors de la bataille du Foyer (1906-1908), Mirbeau a jugé son ami bien timoré, ayant espéré en vain qu’il profite de l’occasion pour se débarrasser de Jules Claretie, l’administrateur de la Comédie-Française.

P. M.


COMBES, émile

COMBES, Émile (1835-1901), homme politique français. Ancien séminariste, il a perdu la foi et a entrepris des études de médecine. Installé à Pons, en Charente-Maritime, il a adhéré à la franc-maçonnerie, est devenu maire de la ville en 1876, puis sénateur radical en 1885 et ministre de l’Instruction Publique en 1895. Le 7 juin 1902 il est devenu président du Conseil et a mené une politique visant à réduire le danger du cléricalisme en réglementant et contrôlant les congrégations religieuses, auxquelles la loi du 7 juillet 1904 a interdit l’enseignement ; celles qui n’étaient pas autorisées ont été peu à peu expulsées. Il a aussi fait retirer les crucifix des écoles primaires et a rappelé l’ambassadeur de France auprès du pape. C’est lui qui a préparé le terrain à la loi de séparation des Églises et de l’État, mais elle  ne sera votée qu’après sa démission, le 18 janvier 1905, suite à l’affaire dite « des fiches ». À cause de sa politique anticléricale, « le petit père Combes » a été l’objet de très violentes attaques et calomnies en tous genres de la part des catholiques et des conservateurs. En revanche, Anatole France et Octave Mirbeau lui ont apporté un ferme soutien.

S’étant élevé « avec indignation contre la liberté d’enseignement, qui est la négation même de la liberté tout court », puisqu’elle reviendrait, « sous prétexte de liberté », à « jeter du poison dans les sources » (« Réponse à une enquête sur l’éducation », Revue blanche, 1er juin 1902), Mirbeau ne pouvait en effet que soutenir la politique de Combes en vue de laïciser l’école et de réduire la capacité de nuisance de l’Église catholique, tout en déplorant la mollesse du ministre de l’Instruction Publique, Chaumié. Il s’y emploie notamment dans deux articles de L’Humanité, « Propos de l’instituteur » (17 et 31 juillet 1904). Quant à Émile Combes, il le défend vigoureusement dans une autre chronique du quotidien de Jaurès qui lui est entièrement consacrée, « Le Petit homme des foules » (L’Humanité, 19 juin 1904) : pour lui, ce « petit homme » qui n’a l’air de rien et qui a été « le plus injurié, le plus salement trahi », est en réalité un homme « admirable et fort » et un  « citoyen énergique et résolu », qui s’est engagé courageusement dans « la plus formidable bataille entre toutes les forces mauvaises du passé et toutes les forces radieuses de l’avenir ». Dithyrambique et éloquent, il s’adresse à lui en ces termes : « Petit homme, si humble qu’elle soit, je veux vous apporter toute mon admiration, et toute ma ferveur. [...] Qu’importe que vous ayez souffert, que vous souffriez encore, puisque vous êtes celui qui devez délivrer, un jour, les mille consciences rivées au carcan de l’Église, qui devez rendre, à toutes ces âmes desséchées par un idéal meurtrier, la paix, la raison, la confiance, la joie, l’amour. »

P. M.

 


COOLUS, romain

COOLUS, Romain (1862-1952),pseudonyme de René Weill, ancien normalien et professeur de philosophie, qui l’a emprunté à une station de chemin de fer de la ligne Paris-Rouen – était un auteur dramatique fécond et original, qui ne se prenait surtout pas au sérieux. Outre Le Ménagé Brésile, qui a fait scandale par son apparent cynisme, en 1893), il est notamment l’auteur de L’Enfant malade (1897), Les Amants de Sazy (1901), Antoinette Sabrier (1903), L’Enfant chérie (1906), Petite peste, Les Bleus de l’amour, Le Risque (1909), La Cote d’amour (1912), L’Éternel masculin (1920). Son Théâtre complet a été publié en 1925, en sept tomes. Il a tenu la rubrique des Théâtres à la Revue blanche de 1894 à 1897 et y a également donné des fantaisies et des contes, notamment « L’impasse des Hatons », admiré par Mirbeau, à qui il était dédié. Il a aussi collaboré à l’hilarant Chasseur de chevelures de la Revue blanche, aux côtés de Pierre Veber.

            Mirbeau a apprécié l’esprit et le non-conformisme de son jeune confrère, voyant un esprit fraternel en ce « un très jeune homme, d’un talent sévère et charmant, et qui croit que le théâtre n’est pas seulement une forme d’amusement nocturne, mais l’art d’exprimer, avec plus de vie, de la pensée et de la passion » (dans un article du Journal sur « Sarah Bernhardt », le 20 avril 1898). Il l’a reçu dans sa résidence estivale d’Honfleur, en 1900, et, en 1905, il a fait de lui son compagnon de voyage, sur les routes de Belgique et de Hollande, lors du périple en automobile évoqué dans La 628-E8 (1907). Il semble cependant que l’évolution de son protégé vers le boulevard et le simple divertissement ait déçu ses espérances, comme il ressort de son interview par Paul Gsell, dans La Revue du 15 mars 1907, où il parle de l’ « odieux caquetage qui sévit aujourd’hui chez les jeunes écrivains eux-mêmes », en citant Coolus –  dont, prudemment, Gsell n’indique que les initiales.

            De son côté, Romain Coolus a manifesté plusieurs fois son admiration pour son aîné, notamment en 1900, quand il a fait paraître deux articles élogieux sur Le Journal d’une femme de chambre, dans Iris (août 1900) et Le Cri de Paris (29 juillet 1900). Il y défendait notamment le romancier contre l’accusation d’immoralité et de pornographie (« Rien n’est moins érotique, ») et affirmait que son « seul crime est d’être sans hypocrisie » et de perturber la « quiétude » des satisfaits en apprenant « à ceux qui servent le mépris de ceux qu’ils servent ».

 P. M.


COPPEE, françois

COPPÉE, François (1842-1908), poète populiste et auteur dramatique, qui a curieusement commencé sa carrière littéraire en collaborant au Parnasse.  Il est l’auteur de recueils de vers, fort prosaïques, où il chante les petites gens en un langage familier : Intimités (1868), Les Humbles (1872), Le Cahier rouge (1874). Au théâtre, il a triomphé avec une courte pièce en vers, Le Passant (1869), puis avec Le Luthier de Crémone (1874) et deux grands drames historiques en vers, Severo Torelli (1883) et Les Jacobites (1885). Il a été élu à l’Académie Française en 1884, mais la génération suivante, de la mouvance symboliste, n’avait que mépris pour sa poésie vieillotte et triviale et, de son propre aveu, le traitait de « vieux con » (cité par Goncourt le 7 mars 1894). Converti au nationalisme et à la bien-pensance catholique et antisémite, il sera membre fondateur de l’anti-dreyfusarde Ligue de la Patrie française, fondée le 31 décembre 1898, alors que son amour proclamé des humbles et sa pitié pour les pauvres, les ressorts de sa poésie, étaient de nature à laisser supposer qu’il serait aux côtés de l’innocent capitaine.

Dans Les Grimaces, Mirbeau traçait un portrait plutôt favorable de Coppée critique dramatique, dont la bienveillance apparente traduisait en réalité une profonde indifférence « pour des œuvres n’appartenant ni à la littérature, ni à la poésie », et il terminait son « portrait de critique » par ces lignes appréciatives : « J’honore infiniment le talent sincère et délicat de M. François Coppée, ce talent si souple qui a produit des volumes de vers exquis et familiers ; des contes tristes ou gais d’une observation parfois cruelle, et des pièces de théâtre, dont l’une, Le Luthier de Crémone, est un petit chef-d’œuvre de grâce et d’émotion, et l’autre, Severo Torelli, une œuvre enflée d’un grand souffle et portée par un grand et noble effort » (Les Grimaces, 1er décembre 1883). Au fil des années, c’est l’agacement qui prendra le pas sur l’estime, au point que, à en croire Edmond de Goncourt, Coppée serait devenu sa « bête noire », en 1896. Il s’amuse alors à le parodier – « Mon pantalon », « Mes sabots » – et raconte sur son compte de méchantes anecdotes. Deux ans plus tard, pendant l’affaire Dreyfus, il brocarde impitoyablement le nationalisme grotesque du vieil académicien. Dans une désopilante interview imaginaire de L’Aurore, où, entre autres insanités, il lui fait déclarer qu’il ne conçoit « la beauté, la gloire, la vie d’un pays que sous la forme militaire », il le présente bien étrangement affublé : « Comme je cheminais, tristement, le long des quais, je vis, tout d’un coup, s’arrêter, devant le Palais-Mazarin, un fiacre. Un militaire en descendit. Je pensai, tout d’abord, que ce militaire était étranger. Outre qu’il semblait gauche d’allure et très embarrassé de son sabre, je ne reconnaissais point son uniforme pour appartenir à notre belle armée nationale. Il était coiffé d’un haut képi, à palmes vertes. Un dolman noir, orné de passementeries vertes et bordé d’astrakan, teint en vert, lui moulait le buste. Des bottes de maroquin vert étranglaient, au genou, une culotte bouffante sur laquelle une large bande verte était appliquée, qui rappelait les sévères motifs palmoïdes du képi. Ma surprise s’augmenta de constater que, en guise d’éperons, des plumes d’oie, d’un acier brillant, étaient vissées au talon de ses bottes. Quant au sabre, très long, très terrible, qui complétait cet étrange accoutrement, il commençait en croix, se poursuivait en cierge, et finissait en goupillon » (L’Aurore, 5 janvier 1899 !).

P. M.  


COQUELIN, constant

COQUELIN, Constant (1814-1909), dit Coquelin aîné, célèbre acteur français. Entré à la Comédie-Française en 1860, sociétaire quatre ans plus tard, il l’a quittée en 1886, y est revenu comme pensionnaire en 1890, puis a joué au théâtre de la Renaissance, avant de prendre la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin. Il a fait de nombreuses tournées à l’étranger, y compris en Allemagne et aux États-Unis, et y a connu de vifs succès. Il s’est notamment illustré dans Tartuffe, Ruy Blas, Thermidor, de Sardou, Scarron, de Catulle Mendès, L’Aiglon et, surtout, Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand (1897). Il s’est aussi spécialisé dans les monologues et a publié un Art de dire le monologue. En 1903, il a lancé le projet d’une maison de retraite pour vieux comédiens, à Couilly (Seine-et-Marne) ; ouverte en 1905, elle fonctionne encore aujourd’hui.

Coquelin est une des cibles favorites de Mirbeau, parce que c’est lui qui incarne le mieux, à ses yeux, le grand comédien, « celui dont on dit qu'il est un artiste, à qui les femmes écrivent des lettres d'amour, qui va dans le monde, non point comme un salarié de plaisir, mais comme un visiteur de luxe dont on s'enorgueillit ; qui gagne 100 000 francs par an, comme un président de la Chambre, et dont la critique, complaisamment et durant trois colonnes de feuilleton, vante chaque semaine les talents variés, la voix géniale, le geste sublime » (« Le Comédien », Le Figaro, 26 octobre 1882). Aussi Coquelin a-t-il été au premier rang de ceux qui ont stigmatisé le pamphlet de Mirbeau contre la cabotinocratie : dans la publication en brochure de l’article du Figaro, Le Comédien, c’est sa réponse qui est reproduite tête-bêche. Un an plus tard, Mirbeau accusait « ce Scapin vantard, tapageur et brouillon » de s’être « introduit » dans une pièce de Daudet, oubliant que « le métier des Coquelins, c’est de jouer les pièces et non de les faire » : « Impuissants à créer, ils ne peuvent qu’obéir. Ils ne sont pas des artistes, ils ne sont que des agents subalternes de l’art » et ils ne « ne comptent pas plus que le lamentable bobèche, qui amuse les foules grossières, du haut de ses tréteaux de la foire de Neuilly » (« Coquelin Daudet et Cie »,  Les Grimaces, 8 décembre 1883). Voyant en Coquelin « notre grand Cabotin national », Mirbeau tourne volontiers en dérision son narcissisme extravagant (il le décrit entouré de milliers de bustes et de portraits...) et lui prête des propos d’une insondable prétention : « Je suis le centre, le pivot, l’âme même de la patrie » ; « j’incarne la France et la France m’incarne : nous sommes consubstantiels l’un à l’autre » ; « Je n'entreprends ce voyage [en Allemagne] que dans le but de faire rayonner ces nouvelles vérités sur le monde... »  (« Dies illa », Le Journal, 17 juin 1894). Dans Le Jardin des supplices (1899), Mirbeau trouvera encore le moyen de dauber sur Coquelin : à Ceylan, un faux savant, sir Oscar Terwick, montre à l’anonyme narrateur un de ses innombrables bustes et le considère comme un grand naturaliste, à l’instar de Darwin et Haeckel...

Cela n’empêchera pourtant pas Mirbeau, réconcilié tardivement avec les acteurs de la Comédie-Française, de se rallier au projet de maison de retraite pour les vieux comédiens dont Coquelin a pris courageusement l’initiative et de lancer, à sa demande, un grand appel à la générosité publique pour trouver les 100 000 francs qui manquent pour mener l’entreprise à son terme. À cette occasion, Mirbeau rend hommage à l’« activité inventive, obstinée, prodigieuse », de Coquelin, et à sa « foi héroïque qui déplace les montagnes » (« Pour les comédiens », Le Figaro, 20 avril 1903).

P. M.

 

 

 

 

 


COROT, camille

COROT, Camille (1796-1875), peintre et dessinateur français. Il est l’auteur d’une œuvre diverse, dans laquelle on a tendance à ne retenir que les paysages. De formation académique, il a toujours réservé pour le Salon officiel des paysages dans la tradition de Poussin. À ces paysages de nulle part, où des personnages traditionnels (nymphes et faunes) interprètent une scène, s’opposent les vues prises sur le motif et plus ou moins retravaillées à l’atelier dans lesquelles, grâce à une facture de plus en plus souple et libre, il délivra le paysage des préventions et libéra la peinture de l’illustration (Le Pont de Narni, Louvre). Par ailleurs, il renouvela l’allégorie en créant, dans les années 1860, le genre du Souvenir, où triomphe son goût pour les étangs entrevus à travers les arbres, le tout baignant dans une atmosphère blonde et vaporeuse (Souvenir de Mortefontaine, 1864, Louvre). Il fut très tôt considéré comme un précurseur majeur des impressionnistes par les peintres eux-mêmes (Berthe Morisot a été son élève) et par les critiques (Duret).

Corot figure au Panthéon pictural de Mirbeau. L’écrivain a continûment loué sa « sensibilité frémissante » (Combats esthétiques, I, 93). Il a constamment dénoncé la bêtise de Cabanel proclamant : « Les Corot !...Ah ! oui, les Corot !... ça se fait avec les grattages de nos palettes. » Dans sa première Note sur l’art (3 octobre 1884), il rapproche les noms de Corot et de Delacroix, « ces deux génies d’une sensibilité et d’une vision différemment souffertes ». Il ajoute : « J’ai revu Le Lac de Corot, si clair, si léger, si frissonnant dans sa brume matinale qu’il éteint tout ce qui l’entoure et qu’on ne voit que lui » (Combats esthétiques, I, 56). Un peu plus tard, il proclame : « Il n’y a que Corot, l’immense et sublime Corot à côté de qui on puisse » placer Monet. « Corot et Monet, ce sont les deux plus belles pages, les deux plus éloquentes expressions de l’art du paysage. » (Combats esthétiques, I, 85). Au début des années 1890, Mirbeau associa Turner, Corot, Pissarro et Monet pour avoir révolutionné l’art du paysage et, plus largement, l’art de voir (Combats esthétiques, I, 460). 

C. L.

 

Bibliographie : Sophie Monneret, L’Impressionnisme et son époque, Dictionnaire international, Robert Laffont,  1987 ; Peter Galassi, Corot en Italie, Gallimard, 1991 ; Corot, catalogue de la rétrospective du Grand Palais, RMN, 1996 ; Corot : le génie du trait, BNF, 1996 ; De Corot à l’art moderne, catalogue du Musée de Reims, Hazan, 2009.


CORTIELLA, felip

CORTIELLA, Felip (1871-1937), écrivain et militant anarchiste catalan. Ouvrier typographe, poète, dramaturge et journaliste, il s’est beaucoup impliqué dans les luttes culturelles pour l’émancipation du prolétariat. En 1894, il a fondé la Compañía Libre de Declamación, dissoute en 1896 lors de la vague de répression du mouvement anarchiste, évoquée par Mirbeau dans Les Mauvais bergers. Au début du siècle, il a fondé successivement le Grupo Alba Social et le Centro Fraternal de Cultura, puis, vers 1906, l’Agrupació Vetllades Avenir, qui comprend une revue, une maison d’édition, L’Avenç, et une troupe de théâtre. Il a ainsi contribué à acclimater en Catalogne le théâtre social européen : Hauptmann, Ibsen, dont il a traduit Un ennemi du peuple, Hervieu, Brieux et Mirbeau. Il a écrit des poèmes et surtout des pièces de théâtre : des drames (Els artistes de la vida, 1898, Dolora, 1903, et El morenet, 1904), et une comédie (La brava joventut).  La vida gloriosa (1933) est un recueil de textes rédigés entre 1918 et 1933. Ses archives sont conservées à la Bibliothèque de Catalogne, à Barcelone.

C’est au printemps 1902 que Cortiella est venu à Paris et a fait la connaissance de Mirbeau. Celui-ci lui a alors donné l’autorisation de « traduire, imprimer et faire représenter en Espagne [son] drame Les Mauvais bergers ». En fait, Cortiella n’a pas attendu cette autorisation, datée du 25 mai 1902 : en effet, Els Mals pastors a été donné pour la première fois à Barcelone, par un groupe d’ouvriers, au Teatre Lope de Vega del Poble Sec, le 5 janvier 1901 et la traduction a paru en feuilleton dans La Revista blanca, du n° 63, 1er février 1901, au n° 72, 15 juin 1901, avant d’être publiée en volume en 1902, aux éditions de « l’Avenç », de Barcelone.  Cortiella a également traduit la pièce de Mirbeau en espagnol : c’est en 1904 que Los Malos pastores a été publié à Barcelone par la Casa editorial Maucci, dans la collection « Teatro mundial ».

P. M.

 


COURBET, gustave

COURBET, Gustave (1819-1877), peintre français, le plus illustre représentant du réalisme pictural. Ami de Proudhon, pour qui il réalisait « l'idéal moderne en peinture », solidaire des luttes ouvrières et des revendications sociales, il a fait de la provocation permanente des valeurs établies un élément important de sa carrière sous le Second Empire. Il a participé à la Commune et été élu au conseil de la Commune pour le 6e arrondissement de Paris, dont il a démissionné en mai 1871. Accusé à tort d’avoir ordonné la destruction de la colonne Vendôme, il a été incarcéré un an et condamné par les Versaillais à en payer la reconstruction de sa poche pendant trente ans. Impécunieux, il est mort en exil en Suisse. Il a peint des portraits (Baudelaire, Berlioz, Bruyas, Gueymard), des paysages (La Vague), des nus (Les Baigneuses), des scènes de la vie quotidienne où il refusait toute idéalisation et tout affadissement (Les Cribleuses de blé). Nombre de ses toiles ont fait scandale : Les Demoiselles des bords de Seine, L’Enterrement à Ornans, Bonjour, Monsieur Courbet, Les Baigneuses, L’Atelier, etc. Quant à L’Origine du monde, toile représentant en gros plan le sexe d’une femme dont on ne voit pas le visage (Musée d’Orsay), elle était la propriété de Khalil Bey, clef d’un personnage de La Maréchale ; d’autres toiles, également sujettes à scandale et destinées à des collectionneurs privés, n’étaient pas davantage vouées à être exposées.

Il semble que Mirbeau ait rencontré Courbet dans son atelier, soit à la veille de la guerre de 1870, soit entre sa libération de prison, en 1872, et son départ en exil, en 1873. Dans une chronique parue le 10 juin 1881, dans Le Gaulois, sous la signature de Tout-Paris, « Devant les toiles de Courbet », il évoque sa voracité légendaire,  « son orgueil » qui « était à la hauteur de son appétit » et son impressionnante « confiance en lui-même, à la fois naïve et sublime ». Mirbeau avait une admiration certaine pour le peintre et ne pouvait qu’approuver sa rupture avec l’académisme, payée à coups de sandales. Mais il n’oubliait pas pour autant que les Hollandais, et, en France, Le Nain et Chardin avaient été réalistes bien avant Courbet et il considérait que Proudhon l’avait « perdu » en insistant trop sur la portée subversive de ses toiles et en décrétant que « les  Casseurs de pierre représentaient le prolétaire séculairement opprimé ; que l’Enterrement à Ornans et le Retour de la conférence ridiculisaient à jamais le catholicisme, et que les Demoiselles de la Seine étaient le type de cette bourgeoisie lymphatique et blafarde qu’il fallait détruire ». À deux reprises, Mirbeau cite une réflexion de Courbet sur la Villa Médicis et les Prix de Rome : « Pourquoi les envoie-t-on là-bas, ces pauvres bougres-là, Ils ne sont donc nés nulle part ? » (« Nos bons artistes », Le Figaro, 23 décembre 1887, et Réponse à une enquête de Maurice Le Blond, L’Aurore, 18 avril 1903). En octobre 1909, dans sa préface au catalogue du Salon d’Automne, il voit en Courbet « l’égal de Rembrandt, de Titien, de Vélasquez, de Tintoret » et il le loue d’avoir « renouvelé profondément l’art français » et formé Manet, Monet, Pissarro et Cézanne. Si on ne lui reconnaît pas ce rôle fondateur et ce renouvellement , dû à « sa perpétuelle invention », si on essaie de le salir par de « stupéfiantes âneries et de grossiers blasphèmes esthétiques », c’est parce que « ce réaliste impénitent », à l’âme « ardente et généreuse » a été communard et a osé rêver « à un peu plus de liberté et à un peu plus de bonheur pour les hommes » : « Cela sonne mal, aujourd’hui encore, aux oreilles des amateurs de peinture. »

P. M.

 

 


COURJON, eugène-joseph

COURJON, Eugène-Joseph (1843-1896), richissime créole de Chandernagor, originaire de la Réunion, dont le père est venu s’installer en Inde et y a fait fortune. Il y possédait un palais, sans qu’on sache d’où lui venait sa richesse, était un grand amateur de billard et se piquait de composer de la musique. Le 25 septembre 1884, par un décret de Félix Faure, sous-secrétaire d’État aux colonies, il est bombardé « maharadjah et prince de Chandernagor », à l’étonnement général, et au grand scandale du préfet de police Andrieux et d’Octave Mirbeau. Ce titre, qui était le plus élevé en Inde et n’avait jamais été accordé à un Européen, n‘était pas seulement honorifique, mais comportait aussi une liste civile et le droit de nommer, moyennant finances, des dignitaires, nababs et autres vizirs.

Dans le cadre de sa campagne contre Félix Faure, qu’il considère comme « justiciable du Parlement et du pays », et sans doute sur la base des  informations fournies par son ami François Deloncle (voir la notice), Mirbeau dénonce cette aberration grotesque, qu’aucun service rendu ne pourrait justifier, dans quatre articles successifs du Gaulois :   « S. A. le Maharajah Courjon, prince de Chandernagor » (12 janvier 1885), où il rend l’affaire publique et daube sur le compte de ce roturier bouffon qui se pavane à Paris comme un prince ; « Son Altesse Courjon » (15 janvier 1885),  où il réaffirme la véracité de son récit ; « L’Altesse Courjon » (16 janvier 1885), où, en réponse à Félix Faure, visiblement gêné, il réaffirme que Courjon n’a rendu aucun type de service, hors d’avoir hébergé un ami du sous-ministre, qu’il s’agit là d’une première qui est une source de risée et que Félix Faure ferait mieux d’arrêter les frais en faisant annuler la nomination de Courjon ; et « Polka pour piano » (29 janvier 1885), où il ironise sur Le Figaro, payé pour louanger le talent de compositeur de Courjon.

P. M.

 


COURTELINE, georges

COURTELINE, Georges (1858-1929), est un auteur dramatique, fils de Jules Moinaux et enfant de la butte Montmartre. Il a écrit quelques romans satiriques et cocasses (Les Gaîtés de l'escadron, 1886,  Le Train de 8h47, 1888, Messieurs les ronds-de-cuir, 1893), mais il doit surtout son succès et sa célébrité à de petites comédies où l’observation des comportements de personnages ordinaires se double d’une critique d’institutions telles que l’armée, la Justice, l’administration et le mariage : Boubouroche (1896) , La Peur des coups (1895), Monsieur Badin (1897), Le gendarme est sans pitié (1899), L’Article 330 (1900),  Le commissaire est bon enfant (1900), etc. Il a été élu à l’Académie Goncourt en 1926.

            Par bien des aspects, Courteline et Mirbeau se ressemblent, et une farce telle que L’Article 330, par exemple, semble bien complémentaire du Portefeuille, au point que bien des troupes de théâtre les accouplent. Tous deux entreprennent de démystifier ce qu’un vain peuple révère aveuglément, de démasquer ce qui se cache derrière des apparences trompeuses et de faire rire de ce qui est d’ordinaire jugé respectable. Tous deux sont allergiques à l’égoïsme, à la sottise et à la mesquinerie des humains. Et tous deux mettent en lumière l’absurdité des institutions et des comportements. Pourtant Mirbeau ne semble guère apprécier son jeune confrère, et un jour il a même jugé leurs esprits « antipodaux l’un de l’autre ». On a du mal à s’expliquer ce jugement abrupt. Peut-être n’est-il dû qu’à l’irritation conjoncturelle causée par l’accusation qui lui a été faite de s’être inspiré du  Commissaire est bon enfant dans Le Portefeuille, dont le sujet est tiré du même fait divers. Peut-être la légèreté apparente des comédies de Courteline lui semble-t-elle trop superficielle pour faire vraiment réfléchir et être socialement progressiste. Peut-être ne voit-il en lui qu’un amuseur, uniquement soucieux de succès de rire et dépourvu du sens du tragique. Peut-être encore n’aime-t-il pas le côté rouspéteur du père de Boubouroche, alors que lui-même est toujours plein d’enthousiasme.

P. M.

 

            Bibliographie : Claudine Elnécavé, « Courteline et Mirbeau, destins croisés », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 150-157.


CROISSET, francis de

CROISSET, Francis de (1877-1937), pseudonyme de Franz Wiener, poète et auteur dramatique belge venu faire carrière en France. Après ses poèmes de jeunesse recueillis dans Les Nuits de quinze ans (1898), qui obtiennent un succès d’estime, il a écrit des pièces légères, où le boulevard se mêle à des souvenirs de Marivaux et des libertins du XVIIIe siècle, notamment Chérubin (1901) et Le Bonheur, Mesdames (1913). Il a aussi connu le succès avec un livre de souvenirs d’un voyage en Inde, Nous avons fait un beau voyage (1926).

  Curieusement c’est Octave Mirbeau qui l’a lancé en acceptant de préfacer Les Nuits de quinze ans. Mais il se trouve que cette précieuse préface lui a été extorquée par l’ambitieux freluquet, histoire de se lancer dans le champ littéraire, et Mirbeau ne le lui a jamais pardonné. C’est Georges Clemenceau qui, pour se débarrasser très prosaïquement du jeune importun, venu le solliciter en invoquant un ami supposé commun, lui avait remis une chaleureuse lettre de recommandation pour son ami Mirbeau. C’est donc uniquement par amitié pour son frère spirituel que, en pleine affaire Dreyfus, le dreyfusard Mirbeau a rempli ce qu’il croyait être un devoir et une bonne action. Il s’en est mordu les doigts quand il a compris qu’il avait été roulé par un arriviste aux dents longues.

P. M.


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