Familles, amis et connaissances

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Terme
HALEVY, ludovic

HALÉVY, Ludovic (1834-1908), célèbre auteur dramatique. En collaboration avec Henri Meilhac, il a écrit nombre de comédies et de livrets d’opéras-bouffes pour Offenbach, notamment La Belle Hélène (1864), La Vie parisienne (1866), Orphée aux enfers, La Grande-duchesse de Gerolstein (1867), au spectacle de laquelle le jeune Mirbeau s’est fort amusé, La Périchole (1868), d’après Mérimée, Froufrou (1869), La Boule (1875). Il a aussi publié Les Petites Cardinal (1880), La Famille Cardinal (1883), et perpétré un roman insipide, L’Abbé Constantin (1882 ; édition illustrée par Madeleine Lemaire en 1888), dont s’est beaucoup moqué Mirbeau.

Le jugement de Mirbeau à l’égard d’Halévy est ambivalent. D’un côté, il a rendu hommage au librettiste d’Offenbach, tout en attribuant à son complice Meilhac la plus grande part de l’esprit dont témoignent les opérettes et opéras-bouffes perpétrés par le fameux trio ; et même, sur le tard, il reconnaît la portée potentiellement subversive de leur saine et irrespectueuse et gaieté (voir « L'Opérette », Le Journal, 2 février 1902). Mais, de l’autre, et le plus souvent, il fait preuve à l’égard d’Halévy d’une très grande sévérité. Pourquoi ? Parce que Halévy, « littérateur aimable » qui « ne dépasse pas la moyenne », ne s’est pas contenté d’avoir banalement « écrit de charmantes petites choses, d'un parisianisme assez vif et à la portée de toutes les intelligences » et de « collaborer, avec M Henri Meilhac, à des opérettes gaies et à des comédies légères ». Il a eu aussi de dérisoires ambitions académiques et s’est donc cru obligé, pour les satisfaire, de perpétrer un roman qui fût « le plus mauvais possible » : L’Abbé Constantin, « d'où l'on ne peut dégager ni une page de style, ni une observation curieuse, ni de l'esprit, ni de l'émotion, ni le plus léger grain d'art, ni rien de ce qui constitue de la littérature, un roman-néant, un livre qui, par sa fadeur, eût découragé Berquin ». Mais c’est justement cet Abbé Constantin, déjà vilipendé dans Les Grimaces, qui, ironie de la vie, « décida les immortels à recevoir M. Halévy parmi eux » (La France, 10 décembre 1884). À vrai dire, ajoutera Mirbeau lors de la réception du nouvel immortel, cette production soporifique n’était même pas indispensable : « M. Ludovic Halévy n’eût rien produit du tout qu’il serait tout de même de l’Académie, parce qu’il est écrit que les gens comme M. Ludovic Halévy qui, sous la douceur et la timidité apparente du masque, gardent une ténacité inflexible, une volonté cruelle, qui ne font rien que de calculé, rien que d’utile à leur ambition, auront le pas sur les créateurs et les artistes. Dans ce monde-là, où tout est faux, où les sous-entendus et l’hypocrisie sont la loi, l’intrigue triomphera toujours du talent. » En effet, quand on ambitionne de se faire élire à l’Académie,  « ce n’est point là une question de cerveau, c’est une question d’échine. Et vous admettrez bien que, de toutes les échines contemporaines, la plus merveilleusement assouplie, celle qui, par ses désarticulations savantes et ses rares désossements, devait attirer l’attention de l’Académie, c’était l’échine de M. Ludovic Halévy » (« Notes académiques », Le Matin, 5 février 1886)... Par la suite, Mirbeau s’est apparemment plus ou moins réconcilié avec Halévy et les deux hommes ont entretenu des relations de politesse. Mais, lors de la répétition générale des Affaires sont les affaires (1903), Halévy a fait pression sur Mirbeau pour que, d’ici la première, il adoucisse un dénouement beaucoup trop brutal à ses yeux : symptôme d’une incompréhension profonde.

Voir aussi la notice Opérette.

P. M.

           

Bibliographie : Adrian Ritchie, « Mirbeau, Maupassant et l’Académie-Française – À propos de deux chroniques sur Ludovic Halévy », Cahiers Octave Mirbeau, n° 18, à paraître en mars 2011.


HAMSUN, knut

HAMSUN, Knut (1859-1952), romancier norvégien, qui a longtemps mené une vie aventureuse et vagabonde (il a notamment séjourné aux États-Unis et fait de multiples petits boulots), avant de se consacrer à la littérature. Son premier roman, largement autobiographique, La Faim, traduit en français en 1895, a suscité une très vive admiration de la part de Mirbeau.. Dans toute son abondante production, où se ressentent les influences de Nietzsche et de Dostoïevski, il a réagi vigoureusement contre le naturalisme : Mystères, Pan, Victoria, Sous l’étoile d’automne, Le Chœur sauvage, La Dernière joie, L'Éveil de la glèbe, Les Vagabonds, etc. Il a obtenu le prix Nobel en 1920 et est alors devenu une gloire nationale. Mais son image a été durablement ternie par son engagement nazi : pendant la deuxième guerre mondiale et l’occupation allemande de la Norvège, il a collaboré avec les occupants et fait l’éloge de Hitler, ce qui lui a valu l’indignité nationale à la libération.

            C’est en 1893 que Mirbeau découvre Knut Hamsun dans La Revue blanche, où paraît le récit d’une pêche à la morue qui, en comparaison, lui fait réviser à la baisse son appréciation de Pêcheur d’Islande, de Pierre Loti, qui n’est plus pour lui que « de la gnognotte » (voir la notice Loti). Deux ans plus tard, il découvre une « œuvre extraordinaire et qui ne ressemble à aucune œuvre connue », La Faim. Il en est tout emballé et consacre aussitôt un grand article à ce nouveau « génie », dont il vient d’avoir la révélation. Après avoir évoqué à grands traits la carrière aventureuse de l’écrivain norvégien, telle qu’elle lui a été racontée par l’éditeur allemand Langen, il exprime pour son roman une admiration que ne tempère pas la moindre réserve : « Nul autre trame, nulle autre action, dans ce livre, que la faim. Et dans ce sujet, poignant, mais qu'on pourrait croire, à la longue, monotone, c'est une diversité d'impressions, d'épisodes renouvelés de rencontres dans la rue, de paysages nocturnes, un défilé curieux de figures imprévues, étrangement bizarres, qui font de ce livre une œuvre unique, de premier ordre, et qui passionne. » Et de conclure : « Il faut aimer cet homme ; il faut suivre, avec passion, cet admirable et rare artiste, à la simple image de qui j'ai vu briller la flamme du génie » (« Knut Hamsun », Le Journal, 19 mars 1895). Cet article servira longtemps de préface aux nombreuses rééditions ultérieures de La Faim.  

P. M.


HELLEU, paul

HELLEU, Paul (1859-1927), peintre et graveur français. Spécialiste de la pointe sèche, il est surtout connu pour ses portraits de Parisiennes élégantes (notamment Liane de Pougy, la comtesse de Greffulhe, la marquise Casati et surtout sa propre femme Alice, son modèle préféré à partir de 1884). Après une dizaine d’années difficiles, il a remporté un grand succès en 1888 avec une exposition de pastels chez Georges Petit et a été introduit par Robert de Montesquiou dans le gratin du faubourg Saint-Germain. Devenu riche, il possédait un yacht ancré à Portsmouth et allait souvent à Londres, où une exposition de ses pointes-sèches a reçu un excellent accueil en 1893. Il a aussi laissé des marines de facture impressionniste, des toiles de cathédrales et de Versailles, et a été chargé, en 1912, de décorer le plafond de la gare de Grand Central, à New-York. Ami de Monet, de Sargent et de Boldini, Helleu est un des modèles du peintre Elstir de Marcel Proust.

Bien que Paul Helleu soit devenu le portraitiste attitré des dames du grand monde, au «  charme si intense », Mirbeau a continué à le fréquenter et à l’apprécier, voyant dans son œuvre « une des plus précieuses, une des plus vivantes, une des plus amoureuses de ce temps » : « Ah ! comme celui-là m’émeut, et quelles joie, quelle moisson de joies j’emporte chaque fois que je me suis rajeuni l’âme à quelques-unes de ses œuvres ! » (« Kariste parle », Le Journal, 2 mai 1897). Dans son « Salon » de 1885, il louait déjà son « portrait de style » d’Alice Guérin et son pastel de La Gare Saint-Lazare, dont « l’impression est excellente » (La France, 3 juin 1885). Dans son « Salon » de 1892, il rendait hommage au « bel effort d’art » et aux « facultés de vision décorative » manifestées par Helleu dans ses deux « intérieurs de cathédrales », où il avait tenté de se renouveler (Le Figaro, 6 mai 1892). Deux ans plus tard, Mirbeau l’a invité à l’accompagner dans son séjour à Londres pour le compte de la Pall Mall Gazette, mais, pour finir, Helleu n’a pu faire le déplacement.

P. M.


HENNEQUIN, émile

HENNEQUIN, Émile (1859-1888), était un théoricien de la critique littéraire, décédé prématurément. Né à Palerme de parents suisses et d’ascendance lorraine et écossaise, il a collaboré au Temps, comme chroniqueur politique, et a été critique littéraire à la Revue contemporaine, à la Nouvelle revue et à la Revue indépendante. Il est le précurseur de la critique moderne, « hardie et vaste », selon Mirbeau, inspirée de la méthode de Taine et qui se veut scientifique. Il l’a notamment appliquée à l’étude de Victor Hugo, Wagner, Flaubert, Tolstoï et Dickens.  Traducteur, il a publié les Contes grotesques d’Edgar Poe (Ollendorff, 1882). Sa grande œuvre, La Critique scientifique, a paru en mai 1888. Il y entreprend une sociologie de l’œuvre littéraire. Après sa mort – il s’est noyé dans la Seine, au cours d’une visite chez Odilon Redon – , on a publié Quelques écrivains français (1890).

Mirbeau était passionné par sa méthode et a annoté précieusement l’œuvre de son ami. S’il admirait le penseur supérieurement intelligent, profond et original, et l’érudit aux connaissances il appréciait aussi l’homme « charmant », l’a présenté à Auguste Rodin et l’a introduit, en février 1887, au dîner des Bons Cosaques. Il lui a consacré un bel article nécrologique, aussi ému qu’élogieux : « Il n’avait pas trente ans, et je connais peu d’hommes – même parmi les plus illustres – dont le savoir fut aussi vaste et dont l’esprit, hanté des plus hautes spéculations de l’entendement humain, fût aussi lumineux et puissant. Dompteur d’idées, historien impassible des arcanes de la vie, il était de la race intellectuelle des Spencer, des Bain, des Taine, supérieur en cela que chez lui, le savant n’avait point étouffé l’artiste ni le poète, au contraire. Je crois bien qu’il était – chose rare – arrivé à l’art par la science, car il n’y avait rien, dans le domaine de la pensée, de l’imagination, de l’activité cérébrale, dont il n’eût raisonné les origines, recherché les causes, pesé les analogies »  (« Émile Hennequin », Le Figaro, 27 juillet 1888). À la fin de cet article, Mirbeau a lancé appel à la charité publique, qui ne rapporta que 300 francs, mais la veuve d’Hennequin, qui semble avoir été quelque peu fêlée, prit fort mal la chose.

P. M.


HENNER, jean-jacques

HENNER, Jean-Jacques (1829-1905), peintre académique alsacien. Il a obtenu le prix de Rome en 1848, a passé cinq ans à la Villa Médicis, a participé honorablement à de nombreux Salons, en a été membre du jury et a été élu à l’académie des Beaux-Arts en 1889. Il a peint quelques toiles religieuses, dont un célèbre Christ mort (1876), et des portraits (Hayem, Carolus-Duran), mais il est surtout connu pour ses nus féminins aux poses alanguies, avec une tendance marquée au Beau idéal  (La Chaste Suzanne, 1865, La Liseuse, 1883). Il prétendait les traiter à la façon du Corrège, et cette référence quasiment obligée ne manquait pas de susciter le ricanement de Mirbeau.

Nous ignorons comment et à quelle époque Mirbeau est entré en relation avec Henner, mais il n’est pas douteux qu’il l’a connu, sans doute au début des années 1870, et qu’il a dû sympathiser un temps avec l’homme. Toujours est-il que, dans son « Salon » de 1875, écrit pour le compte d’Émile Hervet, malgré toutes ses réserves sur la Naïade « peu travaillée », il n’en trouve pas moins cela « charmant et très heureux », ce qui est sans doute volontairement vague (L’Ordre de Paris, 29 mai 1875),. Dans le « Salon » de 1876, il est très élogieux pour le Christ mort, « une œuvre de maître [...] d’une simplicité magistrale ». De nouveau il émet bien une réserve « sur le point de savoir si une tête à demi perdue dans la pénombre concourt utilement à l’harmonie de l’ensemble », mais c’est pour affirmer aussitôt que Henner est « d’une autre taille » que Cabanel parce que lui, au moins,  fait « s’équilibrer, avec un goût et une science devenus bien rares, les taches d’ombre et de lumière » (L’Ordre de Paris, 7 mai 1876). Il est difficile de savoir si ces compliments, même tempérés, sont complètement sincères et, en ce cas, quelle est la part de la sympathie pour l’homme, par opposition à l’exécré Cabanel. Quoi qu’il en soit, une fois devenu seul maître de sa plume, Mirbeau sera beaucoup moins indulgent par la suite.  Ainsi, en 1885, critique-t-il sévèrement le portrait du peintre Feyen-Perrin, aux chairs maladives et molles », qui lui donne l’impression d’être « une charge d’atelier » (« L’Exposition du Cercle Volney »,  La France, 31 janvier 1885).  Dans son « Salon » de la même année, s’il reconnaît que « ses femmes » sont « admirablement brossées », il précise qu’elles sont « peintes en coup de vent » et « éternellement pétries de la neige de son froid talent » (La France, 1er mai 1885). L’année d’après, la contribution de Henner au Salon se réduit, pour Mirbeau, à « un petit morceau de chair blanche qui patauge dans du caca » (La France, 16 mai 1886). Même dérision l’année suivante, quand le critique tourne en dérision « l’éternelle corrégienne de M. Henner », qui, « désolée au bord de la même fuligineuse mare », tente en vain « d’éteindre l’inutile incandescence de son torse en magnésium dans la terre de Senne de son ordure » (« Nos bons artistes », Le Figaro, 23 décembre 1887). En 1910, dans son article de bilan d’un tiers de siècle de combats esthétiques, il considère que, si Henner a « survécu un instant à sa disparition », il le « doit à son accent alsacien, aux coiffes alsaciennes de ses femmes de ménage, bien plus qu’à ses petites nymphes blafardes, couchées sur du caca, et à leur longues chevelures saurées » (« Plus que morts », Paris-Journal, 19 mars 1910).

P. M.

 

 


HENNIQUE

HENNIQUE, Léon (1850-1935), écrivain français né en Guadeloupe, à Basse-Terre. Léon Hennique arrive en France à l'âge de neuf ans. Il fait ses études à Brest, à Saint-Quentin puis à Paris chez les Jésuites. Après des études de droit et une formation de peintre en compagnie de Léon Gleize, il décide de se consacrer à la littéraire. Il réussit à publier le 20 mars 1876, dans La République des lettres, un fragment de drame romantique, Les Hauts faits de Monsieur de Ponthau. De 1880 à 1882, il travaille comme lecteur à la librairie Charpentier. Par l'intermédiaire de Huysmans et Alexis, il rencontre Émile Zola, dont il devient un fervent admirateur. Il participe aux Soirées de Médan, avec une nouvelle intitulée « L'Affaire du grand 7 ». Sans rompre totalement, il prend ses distances avec l'auteur de L'Assommoir et se rapproche de Goncourt, dont il devient, avec Léon Daudet, l'exécuteur testamentaire. Il doit alors  non seulement se battre contre la famille du défunt, qui s'estime spoliée, les dernières volontés du défunt, mais également mettre en place l'Académie Goncourt.  Il est l'auteur de plusieurs romans et quelques pièces : La Dévouée, 1878; L'Accident de M. Hébert, 1883; Poeuf, 1887; Un caractère, 1889. Il écrit également pour le théâtre : Pierrot sceptique, une pantomime de 1881, Jacques Damour, adaptation de la nouvelle de Zola, 1887 ; Esther Brandès, drame, 1887 ; La Mort du duc d'Enghien, 1888, drame historique ; Amour, drame historique, 1890; La Menteuse, en collaboration avec Daudet, 1892; L'Argent d'autrui, comédie, 1893; Deux patries, drame historique, 1895.

Hennique fait partie des quelques personnes que Mirbeau tutoie et leur 'amitié a perduré, en dépit des vicissitudes. Les deux hommes se sont rencontrés dans les années 1870, à l'époque où Octave est encore journaliste à L'Ordre, tandis que Hennique y fait paraître un roman, Elisabeth Couronneau, prélude à sa publication chez Dentu. Ils fréquentent le milieu naturaliste au point de se retrouver ensemble au Bœuf nature ou au célèbre dîner du restaurant Trapp.  « Notre amitié qui date de cette époque lointaine n'a jamais été troublée », confiera Hennique à la fin de sa vie.

Mirbeau a suffisamment d'estime pour Hennique  pour en faire son obligé et son confident. En mars 1886, il lui demande, par exemple, d'intervenir auprès d’Albert Besnard afin que le Jury du salon accepte  deux peintures de son épouse Alice. En novembre 1894, il lui confie longuement ses problèmes de santé, son dégoût de la vie, ses pensées suicidaires : « j’ai vécu, pendant plus de six mois, avec la terreur de me voir dans une petite voiture, sous les ombrages d’une maison de santé ».

Mirbeau, de son côté, défend l’œuvre de Léon Hennique avec ferveur, n’hésitant pas à batailler avec Magnard, pendant plusieurs mois, afin de faire passer un article consacré au roman, Un caractère. Le texte paraît finalement dans Le Figaro du 11 mai 1889 (« Le manuel du savoir écrire ») et Mirbeau y oppose l’écrivain Hennique, qui n’a « d'autres préoccupations que celles  de se satisfaire, de se plaire », à Bourget, toujours prompt à « s'organiser une belle réclame ». Simple concession à l’amitié ? Nullement Mirbeau croit si fort au talent de son ami qu’il lui écrit dans lettre du 6 février 1892 les mots suivants : « […] J’ai une si grande idée de toi, une telle certitude en ton avenir ».

En dépit de tout cela, les relations entre les deux se distendent petit à petit. Ils sont parfois une ou deux années sans échanger de lettres. Une raison à cela : Mirbeau se tourne de plus en plus vers les idées anarchistes alors que Hennique reste attaché aux convictions réactionnaires qu’il exprimait déjà dans L’Ordre.  L’affaire Dreyfus va accentuer le fossé puisque Mirbeau prend d'emblée la défense de l'officier injustement condamné tandis que Hennique se met dans le camp des antidreyfusards.

Malgré tout, le respect subsiste au point que Hennique (membre fondateur de l’Académie Goncourt au même titre que Mirbeau)  retient le vieil imprécateur quand celui-ci menace de démissionner de l'institution en 1907. Il faut dire qu’il était directement concerné par cette affaire Renard puisqu’il avait « omis » de voter pour l’auteur de Poil de Carotte, comme il s’y était engagé…

Y. L.

 


HEREDIA, josé-maria de

HEREDIA, José-Maria de (1842-1905), poète parnassien d’origine cubaine et d’ascendance espagnole, venu en France en 1861 et naturalisé en 1893. Il a été élu à l’Académie Française en 1894, en dépit d’une œuvre quantitativement très modeste et longtemps inédite en volume : il a en effet attendu 1893 pour recueillir dans Les Trophées les 118 poèmes bien ciselés, parus isolément dans diverses revues depuis trente ans. Maître du sonnet, il était avant tout soucieux de la perfection formelle. Il a dirigé les pages littéraires du Journal, à partir de 1899, et a été nommé administrateur de la bibliothèque de l’Arsenal, en 1901. Il tenait un salon fort couru, mais il était joueur et criblé de dettes. Comme la quasi-totalité des académiciens, il a été (mollement) anti-dreyfusard. Ses trois filles ont épousé trois écrivains : Maurice Maindron, Henri de Régnier et Pierre Louÿs.

Mirbeau n’a jamais été intime avec Heredia, et la froideur de la poésie parnassienne n’est pas vraiment ce qui était le plus susceptible de le toucher. Mais il l’a fréquenté (c’est dans son salon, par exemple, qu’il a fait la connaissance de Jean Gigoux, dont les confidences lui auraient inspiré La Mort de Balzac), il l’a reçu chez lui, à Carrières-sous-Poissy, et il a apprécié l’homme, jugé sympathique et accueillant. Il aussi admiré la forme de ses vers, qu’il prétendait avoir déclamés dans les embruns, sur les grèves bretonnes, tout en se demandant, en privé, ce que cela pouvait bien vouloir dire : « Regardez Heredia. Qu’est-ce que tous ces vers sur la mer veulent dire ? Il n’y a pas chez le plus grand poète l’ombre d’une idée. Ils se grisent de mots », écrit-il à Paul Hervieu. Néanmoins, dès 1883, dans Les Grimaces, Mirbeau citait le nom d’Heredia parmi les rares écrivains en qui il voyait des « phares », infiniment au-dessus des vaines réclames. Le poète lui a adressé une lettre de félicitations sur L’Abbé Jules, malheureusement non retrouvée. De son côté, Mirbeau a salué son académisation et lui a alors demandé de ne jamais voter pour Zola : « Il faut que vous condamniez ce mendiant à l’éternel plat ventre devant le seuil qu’il ne franchira jamais. » En 1901, tous deux ont participé au soutien à Laurent Tailhade.

P. M.

 


HEROLD, andré-ferdinand

HÉROLD André-Ferdinand (1865-1940), écrivain et intellectuel engagé, est le fils de l'ancien préfet de la Seine, Ferdinand Hérold (1828-1882) et le petit-fils du compositeur Louis-Joseph-Ferdinand Hérold (1791-1833), l'auteur de Zampa (1831) et du Pré-aux-Clercs (1832). Poète d’inspiration symboliste  (L’Exil de Harini, 1888, Chevaleries sentimentales, 1893, Floriane et Persigant, 1894, Intermède pastoral, 1895, L’Anneau de Çakuntala, 1899), il a d’abord fait l’école des chartes. Il est alors lié à Pierre Louÿs, Jean de Tinan, Rodolphe Darzens, Ephraïm Mikhael, Stuart Merrill, André Gide, Paul Valéry, Henry de Régnier, Henri Sée, Bernard Lazare et surtout Pierre Quillard (voir la notice), et il fréquente les salons de Heredia et de Rachilde. Il a collaboré à de petites revues éphémères (Le Centaure, Pan) et, durablement, au Mercure de France, où il est chargé de la critique dramatique. Libertaire et dreyfusard, il a suivi le procès de Rennes aux côtés de Mirbeau (il était logé chez Henri Sée). Il participera avec lui au soutien de la révolution russe de 1905. Il sera par la suite vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme.

Mirbeau appréciait Hérold et, lors de sa lutte pour un Théâtre Populaire (voir la notice), il eût voulu qu’il fournît, ainsi que Quillard, des traductions « loyales des chefs-d’œuvre grecs ». Le 18 février 1901, à l’occasion d’une lecture des Mauvais bergers par l’auteur, Hérold a donné une conférence sur Mirbeau. Deux ans plus tard il a rendu compte élogieusement des  Affaires sont les affaires dans le Mercure de France de juin 1903 : « Cette pièce est une des plus puissantes qu’il nous ait été donné de voir, ces temps-ci. Elle est d’un comique terrible, et d’un tragique poignant ; elle est d’une vérité superbe ; elle restera, je pense, une des plus fortes oeuvres du répertoire. […] M. Octave Mirbeau a eu l’audace de nous montrer l’homme d’affaires triomphant, sûr de son pouvoir, implacable. » Il admire tout particulièrement « la scène entre Isidore Lechat et le marquis de Porcellet », qui est à ses yeux « une des plus vigoureuses du théâtre contemporain », et le dénouement : « Rien ne peut rendre le tragique intense de cette scène, qui clôt le drame. Je ne connais guère de pièce dont la fin soit aussi forte ».

P. M. 


HERVE, gustave

HERVÉ, Gustave (1871-1944), est un politicien français, passé de l’extrême gauche à l’extrême droite. Agrégé d’histoire, ancien leader de l’aile gauche du Parti Socialiste S.F.I.O., il a été directeur politique de La Guerre sociale, quotidien révolutionnaire fondé en 1907, et a payé de la perte de son poste de professeur, ainsi que de plusieurs  condamnations à la prison, sa virulente propagande antimilitariste, entamée à ses débuts dans Le Piou-Piou de l'Yonne. Après la déclaration de guerre, Hervé a aussitôt viré de bord et est devenu nationaliste à tous crins, débaptisant symptomatiquement  La Guerre sociale en La Victoire. Il a fini dans la peau d’un pro-nazi, fondateur d’un parti fasciste, le Parti Socialiste National, auquel a succédé le Parti de la République autoritaire.

Lorsque Gustave Hervé a développé ses thèses violemment antimilitaristes et a été inculpé, Mirbeau ne pouvait qu’être d’accord et il lui a alors apporté son soutien public, tout en avouant à son ami Francis Jourdain qu’il le trouvait quelque part « antipathique ». Il avait bien raison de se méfier de l’homme, car c’est précisément Gustave Hervé qui, au lendemain de la mort de l’écrivain, a concocté, à la demande d’Alice Mirbeau, le faux « Testament politique d’Octave Mirbeau », publié par la veuve abusive dans Le Petit Parisien du 19 février 1917. Ce texte, aussitôt dénoncé par Léon Werth, Francis Jourdain, Séverine, George Besson et Georges Pioch, a beaucoup fait pour brouiller durablement l’image de l’écrivain, qui semble y renier son combat de longue haleine contre l’idée même de patrie et contre la boucherie de la guerre. Gustave Hervé lui prête sans scrupules des idées nationalistes et des tournures grotesques totalement étrangères à l’écrivain pacifiste : « Pour nous tous, assoiffés d’humanité, les patries enfin sont devenues des réalités tangibles, car elles nous ont découvert leurs bases morales » ; « Il n’y a qu’un moyen d’être vraiment généreux, c’est de tout sacrifier à la France » ; « L’humanité sera régénérée par la France »...  Pour comble de malheur, c’est Gustave Hervé qui a été chargé par Alice Mirbeau de prononcer, sur la tombe de Mirbeau, au cimetière de Passy , le discours d’usage, qualifié d’ « excrémentiel » par Georges Pioch. Les amis de Mirbeau sont outrés par cette ignominieuse trahison posthume, à un moment où ils n’ont aucun moyen de faire paraître leurs protestations dans la presse, et nombreux sont ceux qui font entendre des murmures de vive désapprobation et qui refusent de serrer la main d’Alice.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l‘imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990, pp. 920-924 ; Léon Werth, « Le “Testament politique d’Octave Mirbeau” est un faux », in Combats politiques de Mirbeau, Séguier, 1990, pp. .


HERVET, émile

HERVET, Émile, journaliste bonapartiste, collaborateur de L'Ordre de Paris, pour le compte duquel Mirbeau a fait le “nègre” et rédigé les « Salons » de 1874, 1875 et 1876 dans l’organe de l’Appel au Peuple. Auparavant, il avait publié en 1865 un roman intitulé Un début dans l'amour, en 1868 un mémoire d'ethnographie slave, puis deux brochures de propagande impérialiste, l'une sur le plébiscite du 8 mai 1870, l'autre sur le prince impérial. Dans L'Ordre de Paris, c’est lui qui est chargé de la rubrique parlementaire, et ses contributions sont particulièrement plates. Il n'y a donc rien là qui l’ait prédisposé spécialement à se préoccuper de critique picturale, ni, a fortiori, à se lancer à l'assaut de ces bastilles de l'académisme que sont les Salons annuels, l'Institut, l'École des Beaux-Arts et la Villa Médicis. Par la suite, ses incursions dans le domaine des beaux-arts seront aussi rares qu’avant les « Salons » signés de son nom : quelques chroniques dans La Patrie, en 1883 et 1885, et surtout un article d'une cinquantaine de pages sur « le but de la peinture », qui paraîtra en août 1891 dans la Revue de la France moderne : il s'agit d'une plate et morne dissertation d'un médiocre élève de rhétorique, sans la moindre référence à la peinture moderne, ce qui est un comble pour un pseudo-salonnier ! Visiblement, le pauvre Hervet n'a pas pu ou pas voulu recruter un nouveau “nègre” pour pallier ses insuffisances ; et, visiblement aussi, pas plus que Decourcelle, Montépin et autres “négriers”, il n'a vraiment lu les articles jadis parus sous son nom – ou, s'il les a lus, il n'en a rien retenu.

Faute de documents, nous ignorons la nature du contrat qui unit Mirbeau et Hervet. S'agit-il d'un simple échange de services à l'amiable ? Ou bien Mirbeau ne prête-t-il à ce fruit sec sa plume émérite que moyennant espèces sonnantes et trébuchantes ? En ce cas, le contrat était-il tacite ou écrit ? Nous ne savons pas davantage pourquoi Hervet a hérité de la rubrique artistique qui, dans un quotidien de propagande politique tel que L’Ordre, était le cadet des soucis de la direction. La lui a-t-on imposée ? Ou bien est-ce lui qui l’a sollicitée ? À lire les articles signés de son nom, il semblerait qu'il ait entamé jadis des études de peinture, ce qu’il est impossible de confirmer. En aurait-il gardé une rancune tenace contre ses anciens maîtres, ce qui aurait pu l'inciter à confier sa cause à une plume mieux exercée que la sienne ? Peut-être tout simplement était-il trop conscient de ses limites pour assumer seul, sans assurer ses arrières, la responsabilité de la rubrique artistique. Enfin nous ignorons quelle a été la marge de manœuvre laissée au “nègre”. Mais on a bien l’impression qu’elle a été large et que, hors quelques hommages probablement obligés à des peintres appréciés sous l’Empire ou d’obédience bonapartiste, le rédacteur a pu faire assez librement ses gammes et ses preuves.

P. M.

 

 

 


HERVIEU, paul

HERVIEU, Paul (1856-1915), a d’abord été, comme Mirbeau, secrétaire particulier d’un politicien, le comte de Choiseul-Praslin, puis a tâté de la diplomatie, avant de se consacrer au journalisme et à la littérature. Il a collaboré au Gaulois dès 1882, participé, aux côtés de Mirbeau, à l'aventure des Grimaces en 1883, sous le pseudonyme de Liris, puis fourni quantité de chroniques et de contes au Gil Blas, au Figaro, et enfin au Journal. Il a publié en 1882 Diogène le chien, en 1883 La Bêtise parisienne, et en 1885, chez Laurent, un recueil de contes, L'Alpe homicide. Romancier très hostile au naturalisme, il est l’auteur de L'Inconnu, où se ressent l’influence de Dostoïevski (1887), puis de Flirt (1890), de Peints par eux-mêmes (1893), roman par lettres à la manière des Liaisons dangereuses, et de L'Armature (1895), où il évoque avec force le règne de l’argent et la destinée d’un nabab. Il y peint surtout les milieux aristocratiques avec un regard très critique, qui n’exclut cependant pas une fascination croissante. Venu tardivement au théâtre, il y a connu ses plus grands succès avec des tragédies modernes à préoccupations morales et sociales, où il défend les droits des femmes (plusieurs ont été créées à la Comédie-Française)   : Les Paroles restent (1892),  Les Tenailles (1895), La Loi de l'homme (1897), La Course au flambeau (1901), L'Énigme (1901), Le Dédale (1903), Théroigne de Méricourt (1903) et Le Réveil (1906). Hervieu, quoique dreyfusard (mais sans excès...), a été élu à l’Académie Française en 1900. Son style est souvent tarabiscoté et son œuvre théâtrale a bien vieilli, mais L’Inconnu, L’Armature et certains contes teintés de fantastique peuvent encore se lire.

Hervieu a été pendant longtemps l’ami le plus cher et le plus dévoué de Mirbeau, qui l’a introduit chez Goncourt et Mallarmé et l’a mis en relations avec Rodin et Monet. À partir de 1883, il devient son confident attitré et lui rend sans barguigner quantité de services, surtout quand son ami, ayant choisi de vivre en province, est éloigné de la scène parisienne, en particulier lors l’affaire Gyp, puis lors de sa rentrée au Figaro, fin 1887. C’est Hervieu qui réconcilie Mirbeau avec Alphonse Daudet, naguère vilipendé. Leurs nombreux échanges épistolaires constituent un document de première importance pour la connaissance des milieux journalistiques, littéraires, théâtraux et artistiques de la Belle Époque, parce qu’ils ne se cachent rien et qu’ils y rapportent sans complaisance, avec humour et distance, quantité d’observations et d’anecdotes révélatrices sur les spécimens d’humanité qu’ils rencontrent et face auxquels ils ressentent une fraternelle complicité. Cependant on sent que le ver est dans le fruit de l’amitié, quand Mirbeau constate avec amertume qu’Hervieu se met à fréquenter, beaucoup trop assidûment à ses yeux, des milieux aristocratiques et mondains, qui semblent l’attirer irrésistiblement. Serait-il à son tour contaminé par le snobisme, comme Paul Bourget et Maupassant, lors même qu’il a consacré aux snobs une série de chroniques nettement critiques ? Mirbeau le nie en public, mais en privé il cache de moins en moins son sentiment. L’engagement passionné de Mirbeau l’éloigne aussi de plus en plus d’un homme ambitieux, soucieux de sa carrière et excessivement prudent, et qui brigue sans vergogne tous les honneurs déshonorants dont se gausse son ami (Légion dite “d’honneur”, Académie Française, présidence de la Société des Gens de Lettres). Quand Hervieu refuse, comme Barrès, de signer la pétition européenne pour Gorki emprisonné, initiée par Mirbeau, fin janvier 1905, c’est la rupture : dès lors, Mirbeau ne verra plus en son ex-ami qu’un assoiffé de reconnaissance sociale, dont le talent s’est perdu, comme celui de Bourget.

Mirbeau a longtemps admiré en lui son humour très british, son sens du mystère, sa peinture de la pourriture du “monde”, et, plus bizarrement, son style, tout en le qualifiant d’« entortillé », ce qui implique qu’il n’est pas vraiment dupe de ses dithyrambes. Il lui a consacré de nombreux articles élogieux, pas toujours exempts d’une complaisance due à l’amitié et à la reconnaissance, notamment : « La Bêtise parisienne », Les Grimaces, 17 novembre 1883 ; « L’Alpe homicide », La France, 9 décembre 1885 ; « L’Inconnu », Le Gaulois, 24 juin 1887 ; « Paul Hervieu », L’Écho de Paris, 18 août 1891) ; « L’Armature », Le Journal, 24 février 1895 ; « Paul Hervieu », Le Journal, 28 septembre 1895.

P. M.


HOLMES, augusta

HOLMÈS, Augusta (1847-1903), compositrice française, d’ascendance irlandaise. Elle fut un temps la compagne de Catulle Mendès et lui a donné une fille, qui épousera Henri Barbusse. Élève de César Franck, elle était une fervente admiratrice de Richard Wagner et a fait le déplacement à Bayreuth lors de l’inauguration du théâtre. Elle est l’auteur de musique de chambre, d’un Hymne à Apollon (1872), d’une cantate In exitu (1873), d’Orlando furioso (1877), de Lutèce (1878) et de quatre opéras : La Montagne noire, Héro et Léandre, Astarté et Lancelot du Lac, dont elle a écrit elle-même le livret, à l’instar de Wagner.

Mirbeau a sans doute eu l’occasion de la rencontrer quand il fréquentait les milieux de La République des Lettres, de Catulle Mendès, en 1876-1877. Toujours est-il qu’il est « bien informé » de ses créations inédites et de ses projets. Dans « À bas Wagner ! » (L’Ordre de Paris, 17 janvier 1877), il est élogieux pour son Andante pastoral, inspiré de l’Arioste, qui lui « a beaucoup plu », de même qu’à la plupart des « auditeurs naïfs » comme lui : le « thème principal » lui a paru « très gracieux d’invention, quoique de compréhension aisée ».Dénonçant les siffleurs wagnérophobes, il promet une belle carrière à la jeune femme, qui possède déjà une enviable « science orchestrale » et conclut avec optimisme : « Laissez siffler, mademoiselle. Sifflera bien qui sifflera le dernier. »

P. M.


HUBERSON, marie

HUBERSON, Marie (1845-1917), sœur aînée d’Octave Mirbeau. Elle a épousé un ami d’Octave, René Huberson, ingénieur des Arts et Manufactures, le 8 mai 1867, à Rémalard. Les jeunes mariés se sont d’abord installés au Teil, à une vingtaine de kilomètres de Rémalard, où le jeune Mirbeau est allé leur rendre visite, avant de gagner Paris après l’embauche de René Huberson dans une usine de construction de wagons à La Villette, en 1869. Ils eurent cinq enfants : Marc, mort jeune d’une épidémie de typhoïde, Pierre (1874-1964), Denise, Thérèse et Cécile. Après le mariage d’Octave avec Alice Regnault, les parents Huberson interdirent à leurs enfants de revoir leur oncle, parce qu’il vivait désormais avec une « créature » de mauvaise vie. C’est donc en cachette que Pierre parvint cependant à rencontrer son oncle, dans l’atelier de Rodin.

P. M.


HUGO, victor

HUGO, Victor (1802-1885), le plus célèbre, le plus divers et le plus prolifique écrivain du XIXe siècle, est le représentant le plus prestigieux du romantisme français, et sa renommée s’est étendue au monde entier. Il a été tout à la fois poète lyrique (Les Feuilles d’automne, 1831, Les Contemplations, 1856), poète épique (La Légende des siècles, 1859-1877-1883), poète satirique (Les Châtiments, 1853, virulent pamphlet contre Napoléon III), poète philosophique (Dieu, La Fin de Satan), romancier (Han d’Islande,1823, Notre-Dame de Paris, 1831, Les Misérables, 1862, Les Travailleurs de la mer, 1866, L’Homme qui rit, 1869, Quatre-vingt-treize, 1874) et auteur dramatique (Cromwell, 1827, Hernani, 1830, Marion de Lorme, 1831, Le roi s’amuse, 1832, Marie Tudor, 1833, Lucrèce Borgia, 1833, Angelo, 1835, Ruy Blas, 1838, Les Burgraves, 1843…). Il a aussi été le théoricien du drame romantique (préface de Cromwell), et également l’incarnation du poète engagé dans les affaires de la cité, qui n’a pas transigé avec sa conscience (il a vécu dix-neuf ans en exil, après le coup d’État du 2 décembre 1851) et qui a mis sa plume, son imagination, son prestige et son style incomparable au service des démunis, des humbles et des sans-voix.

Mirbeau, qui possédait les Œuvres complètes de Victor Hugo en vingt-six volumes (1890-1914), admirait la puissance visionnaire du poète, « visionnaire sublime », « l’intensité de son intuition impitoyable et mystérieuse » de prophète (« Il est dans le passé, il est dans l’avenir qu’il éclaire de lueurs prophétique ») et il a rendu hommage au citoyen, au farouche républicain et à ses combats contre la peine de mort et pour les misérables et les souffrants de ce monde : « Le grand poète a été la Bonté. Il a aimé l’humanité, comme le Christ l’aima, d’un amour infini. Élargissant les bornes ensanglantées des patries, prêchant la communion des peuples, l’oubli des races, la fin des conquêtes, il a pleuré sur les misères, il a pansé les plaies, essuyé les larmes ; il a relevé tous les vaincus, consolé tous les captifs, vengé toutes les injustices. Il a tenté d’arracher l’homme aux proies des trônes effarés, aux échafauds des sociétés peureuses, et sa voix retentissante, faite de tendresse et de pitié pour les misérables, de colères et de supplications hautaines pour les puissants, a dominé, chaque fois que l’homme était menacé, le tumulte des intérêts oppresseurs et des lois homicides ». Dans son article nécrologique, il en concluait que son œuvre serait « doublement immortelle par le génie de l’artiste, et la bonté de l’homme » (« Victor Hugo », La France, 24 mai 1885).

Mais si l’engagement éthique su grand poète constituait un exemple à suivre, Mirbeau n’était pas acritique pour autant. Il s’est même montré franchement réticent devant la rhétorique hugolienne, véritable machine à faire des vers et des formules qui sonnent souvent le creux. Dans une plaisante parodie, parue en 1878 dans les colonnes d’une feuille de chou provinciale, L’Ariégeois, il a ainsi poussé jusqu’à l’absurde, en les exagérant, les procédés rhétoriques mis en œuvre par le poète : les antithèses forcées, les rapprochements inattendus, les structures binaires et ternaires, les hyperboles, les invocations, les raccourcis audacieux, les mots forts et creux, les phrases nominales simplement juxtaposées, le tout au service d’un moi singulièrement atteint de mégalomanie (voir Chroniques ariégeoises, pp. 50-51). Trois décennies plus tard, dans La 628-E8 (1907), évoquant « les vieux quartiers puants des vieilles villes », conservés soigneusement au nom de la poésie qui nous imprègne, il jugera plaisamment Victor Hugo, incarnation de la poésie, responsable de ce refus du progrès et de cette complaisance à entretenir un passé porteur de miasmes morbides : « Ah ! Je me demande souvent, malgré toute mon admiration pour la splendeur de son verbe, si Victor Hugo ne fut point un grand Crime social. N’est-il pas, à lui seul, toute la poésie ? N’a-t-il pas gravé tous nos préjugés, toutes nos routines, toutes nos superstitions, toutes nos erreurs, toutes nos sottises, dans le marbre indestructible de ses vers ? ». Sa figure de monument national intangible et de gloire de cette République bourgeoise que l’anarchiste Mirbeau honnit ne manque pas d’irriter le critique, car il y voit le danger de participer volens nolens à l’aliénation générale et à l’établissement d’un nouveau conformisme, ce qui l’incite à porter des appréciations critiques provocatrices, trop brutales pour ne pas être suspectes de partis-pris.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Victor Hugo vu par Octave Mirbeau », in Actes du colloque Victor Hugo de Belgrade, Revue de philologie de l’université de Belgrade, 2002, n° 2, pp. 37-45 ; Octave Mirbeau, « Victor Hugo », La France, 24 mai 1885 ; Vincenzo Ruggiero, « Victor Hugo and Octave Mirbeau – A sociological analysis of imprisonment in fiction », Cahiers de défense sociale, 2003, pp. 245-263.


HURET, jules

HURET, Jules (1863-1915), est l'un des premiers grands reporters et, à ce titre, un des fondateurs du journalisme moderne. Journaliste à L'Écho de Paris, puis au Figaro, où on l’a un temps confiné dans les nouvelles littéraires, puis dans les échos de théâtre, pour cause d’incorrection politique, il s'est spécialisé d’abord dans les enquêtes, genre totalement nouveau à l’époque. Il s’est fait rapidement connaître dès 1891 par sa passionnante Enquête sur l'évolution littéraire, recueil d’interviews d’écrivains parues en feuilleton dans L’Écho de Paris, puis par sa vaste Enquête sur la question sociale en Europe  (1897), pré-publiée dans Le Figaro et préfacée par Jaurès et Deschanel, suivie d’une enquête sur Les Grèves (1902).  Ses plus gros volumes sont des reportages fort bien documentés et très complets sur les États-Unis (En Amérique, 1904-1905), sur l’Allemagne (En Allemagne, 1906-1907-1910), et sur l’Argentine (En Argentine, 1911-1913). Il a aussi publié, en 1901, deux recueils de ses articles : Tout yeux, tout oreilles et Loges et coulisses. Dreyfusard, il a accompagné Alfred Dreyfus après sa libération. Usé prématurément par les fatigues de ses périples à travers le monde, il est mort en 1915.

            Huret a été un très grand ami de Mirbeau et a peu à peu supplanté dans son cœur Paul Hervieu, au fur et à mesure que celui-ci se laissait dévoyer par les mondanités et les “honneurs”. La fraternité spirituelle et la complicité qui les unissent éclatent dès leur première rencontre, qui laisse au jeune journaliste une impression « inoubliable ». Une fois abolie la distance, de génération et de statut social, qui eût pu les séparer, la convergence des tempéraments et des perceptions du monde est saisissante. Tous deux sont au premier chef des journalistes rebelles, mais qui ont su, grâce à leur fermeté sur les principes et leur souplesse dans les relations humaines, créer un rapport de forces favorable qui leur a permis, non sans mal, de se frayer un chemin vers la célébrité, dans un monde de requins sur lequel ils jettent un regard dépourvu de la moindre complaisance. Tous deux sont des observateurs distanciés de la comédie sociale et de la comédie littéraire, dont les bouffonneries excitent leur antiseptique ironie, mais les amusent moins qu’elles ne les attristent. Tous deux ont « le tourment de la vérité » et conçoivent pareillement leur mission d’éveilleurs de conscience, d’arracheurs de masques, de révélateurs de ce qui grouille d’innommable sous le vernis de respectabilité des puissants de ce monde. Tous deux préservent farouchement leur liberté intellectuelle et refusent de se laisser duper par les  grimaces destinées à manipuler le bon peuple ou griser par les modes, les « fétichismes » et les langues de bois. C’est pourquoi Mirbeau admire vivement chez Huret, son art d’accoucher les esprits et d’amener les interviewés à se déboutonner malgré qu’ils en aient : « Avec une adresse qui sait s’effacer, au moyen d’interrogations insidieuses et polies qui n’ont l’air de rien, M. Jules Huret oblige chacun à se révéler tout entier, à montrer ce qu’il y a en lui, sous le maquillage des faux sentiments et des grandes idées, de grotesque, de ridicule, de grimaçant. Il force les confidences, extirpe les bas aveux, il apprivoise les inoubliables rancunes. »

Mirbeau a rendu compte élogieusement des deux grandes enquêtes de Jules Huret, sur l’évolution littéraire (« L’Enquête littéraire », L’Écho de Paris, 25 août 1891) et sur la question sociale (« Questions sociales », Le Journal, 20 décembre 1896,). Il a aussi préfacé en 1901 Tout yeux, tout oreilles et s’est battu, en vain, pour que Jules Huret obtienne, en 1905, le prix Goncourt pour le premier volume de son reportage sur l'Amérique du Nord, De San Francisco au Canada. De son côté Huret a interviewé Mirbeau en 1891, a consacré un élogieux article aux Mauvais bergers en janvier 1898, a rédigé l’article Mirbeau de la Grande encyclopédie,  en 1900, et, le 29 août 1900, dans La Petite République, a vigoureusement défendu Le Journal d’une femme de chambre, que venait précisément de lui dédier le romancier, parce que, explique-t-il, « nul mieux que vous, et plus profondément que vous, n'a senti, devant les masques humains, cette tristesse et ce comique d'être un homme... Tristesse qui fait rire, comique qui fait pleurer les âmes hautes. »

Leur Correspondance, partiellement croisée, a été publiée en 2009 aux Éditions du Lérot, grâce aux archives de Jean-Étienne Huret, petit-fils de Jules. Elle n’est malheureusement pas complète, mais elle comporte, en annexe, les sept articles qu’ils se sont consacrés l’un à l’autre. Elle est particulièrement éclairante – et édifiante – sur les milieux du journalisme et de l’édition. Deux lettres hilarantes de Mirbeau se présentent comme une sténographie de deux réunions de l’Académie Goncourt à l’automne 1905.

P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Jules Huret », préface de la Correspondance Mirbeau-Huret, Éditions du Lérot, 2009, pp. 7-18.


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