Familles, amis et connaissances

Il y a 286 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Z
Page:  « Prev 1 2
Terme
SPENCER, herbert

SPENCER, Herbert (1820-1903), philosophe, économiste, sociologue, biologiste évolutionniste et théoricien politique anglais. Il est notamment l’auteur de: Social Statics (La Statique sociale, 1850), où il prophétise que l’humanité va s’adapter bientôt à une vie sociale où l’État n’existera plus. Spencer y propose aussi sa doctrine de l’égalité dans la liberté, selon laquelle la liberté de chacun n’est limitée que dans la mesure où elle risque d’empiéter sur celle d’autrui ; System of Synthetic Philosophy (1855-92, traduit en français sous le titre Système de philosophie synthétique à partir de 1870, et qui compte cinq volumes: Principes de psychologie (1855), Premiers principes (1866), Principes de biologie (1864-7), Principes de sociologie (1873), et Principes d’éthique (1879-92)). Spencer y applique la théorie évolutionniste à l’étude de l’homme, et insiste sur le progrès de toutes choses, y compris la société humaine; The Man versus the State (1884, traduit en français en 1885 sous le titre L’Individu contre l’État), où il proteste contre le pouvoir coercitif des gouvernements, contre l’inobservation gouvernementale des « lois de la vie », et contre les restrictions aux libertés personnelles. Spencer s’y attaque aussi à l’expansion coloniale, qu’il considère comme contraire au progrès naturel et à l’évolution des peuples.

            Dans les années 1880, à l’époque même où Mirbeau comme,nce à lire de ses œuvres, Spencer est à l’apogée de sa renommé et de son influence internationale. Connu pour ses idées sur la liberté individuelle et pour ses opinions sur la malfaisance de l’État aussi bien que pour ses théories scientifiques, Spencer était fait pour attirer le Mirbeau de 1885-1886, au moment où l’écrivain commence à voler de ses propres ailes et de se nourrir de philosophie libertaire pour se débarrasser de ses notions d’extrême droite et pour embrasser enfin, et pour le reste de sa vie, sa propre forme de l’anarchisme.

            Nous savons qu’en 1887, au moment de son mariage, Mirbeau possédait « trois volumes Herbert Spencer…tous lesdits volumes reliés » (Contrat de mariage avec Alice Regnault). À sa mort, en 1917, Mirbeau possédait aussi son propre exemplaire, broché, du livre séminal de Spencer, Introduction à la science sociale, publié en 1878. Dans la préface de La Société mourante et l’anarchie, de Jean Grave (1893), Mirbeau parle de lui-même lorsqu’il introduit un ami fictif qui « a travaillé …l’aristocratique Spencer » et qui confesse que « tout cela l’emporte vers les hauteurs où l’intelligence se purifie ». À la même époque, il a confié à son grand ami Paul Hervieu combien il partageait les idées libertaires de Spencer : « La pensée anarchiste…est dans Spencer et dans Stuart Mill. Lisez-les, et vous verrez que rien n’est plus intelligent. L’anarchie, ce n’est pas autre chose que de substituer à l’initiative de l’État l’initiative de l’individu. » Et de conclure : « La théorie anarchiste… rentre dans les grandes lois naturelles » (octobre 1893).

            « Les grandes lois naturelles » : ce sont les mots de Spencer, que Mirbeau lui a empruntés. Ce n’est pas tout : sur les question sociales, en matière scientifiques, et sur le plan politique, il y a toute une série de fortes affinités entre les deux hommes, et l’on a le droit de parler d’une influence marquée de Spencer sur le Mirbeau des années 1880-1890.

Sur les questions sociales: on n’a qu’à mettre quelques citations de Mirbeau côte à côte avec des phrases tirées de Spencer pour noter la ressemblance étroite entre certaines de leurs idées-clés. De Spencer, par exemple, sur la colonisation : « ces actes de démons… commis par des races civilisées » (Introduction à la science sociale) ; et de Mirbeau : « nous avons renouvelé, en les développant, les raffinements de torture de l’Inquisition espagnole, “actes de démon”, dit l’Anglais Herbert Spencer » (« Colonisons »). Sur le misonéisme, Spencer dixit : « Sciemment ou non, qu’il s’agisse d’usages ou de doctrines, on adhère à ce qui est vieux » (Introduction à la science sociale) ; et  Mirbeau : « nous regardons en arrière pour nous enivrer du passé, et nous fermons les yeux à l’avenir » (« Un fou »). Sur les droits de l’individu, Spencer écrit :  « reconnaître et garantir les droits des individus, c’est en même temps reconnaître et garantir les conditions d’une existence sociale régulière » (L’Individu contre l’État) ; et Mirbeau : « La société s’édifie toute sur ce fait: l’écrasement de l’individu. Ses institutions, ses lois, ses simples coutumes, elle ne les accumule…que pour…tuer l’individu dans l’homme » (Dans le ciel). Sur la charité publique, Spencer écrit : « On a le droit de se demander si la sotte philanthropie qui ne pense qu’à adoucir les maux du moment et persiste à ne pas voir les maux indirects, ne produit pas au total une plus grande somme de misère que l’égoïsme extrême » (Introduction à la science sociale) ; et Mirbeau d’approuver : « L’aumône n’est qu’une halte dans la misère, et elle vous rejette bien vite plus désespéré, plus meurtri que jamais, aux lendemains sans espoir » (« Le Travail et la charité »). 

 Il en est de même dans le domaine scientifique. Voici ce que dit Spencer, par exemple, sur l’inconnaissable : « la puissance dont l’univers est pour nous la manifestation est complètement impénétrable » (Les Premiers principes) ; et Mirbeau d’écrire : « il existe dans la nature une force mystérieuse pour nous, une force que nous ne connaissons pas encore – car, que connaissons-nous ? » (« En écoutant la rue »). Et, sur les grandes lois de la vie, Spencer dit : « l’organisation sociale a des lois plus fortes que les volontés individuelles » (L’Individu contre l’État) ; et Mirbeau parle des « grandes lois que nous ignorons et qui nous dirigent » (Interview par Paul Gsell). Sur la nature humaine, Spencer constate : « La nature humaine est indéfiniment modifiable, mais elle ne peut se modifier que lentement » (Introduction à la science sociale) ; et Mirbeau en convient : « Aucune politique, aucune loi, même aucun livre, n’a le pouvoir de transformer d’un coup les hommes » (La 628-E8). Sur la lutte pour la vie, Spencer parle de « travail d’élimination naturelle par lequel la société s’épure continuellement elle-même » (Introduction à la science sociale) ; et Mirbeau : « Il existe une loi de la vie, loi primordiale et nécessaire, c’est la loi du mouvement. Et qui dit mouvement, dit lutte… Supprimer la lutte, c’est l’immobiliser, c’est la mort » (« Protégeons-nous les uns les autres »). Sur l’altruïsme, Spencer dit : « notre devoir est de faire du bien… » (Introduction à la science sociale) ; et Mirbeau : « La seule chose qui console de vivre : faire le bien » (Lettres de ma chaumière, et l’inscription sur sa tombe).

 Même convergence sur des questions politiques. Sur le rôle de l’État, Spencer dit : « l’organisation administrative, vaste, compliquée et pourvue de toutes les ressources, une fois qu’elle sera développée et consolidée, deviendra nécessairement irrésistible » (L’Individu contre l’État) ; et Mirbeau : « <L’état pèse sur l’individu d’un poids chaque jour plus écrasant » (Préface à La Société mourante et l’anarchie). Sur le suffrage universel, voici l’opinion de Spencer : « Une classe ne peut pas maintenir sa suprématie s’il ne se trouve des multitudes d’électeurs pour vendre leur voix » (Introduction à la science sociale) ; et Mirbeau : « Tes électeurs… Qu’est-ce qu’ils pensent…? Porcellet haussa ses épaules carrées…“Quant aux électeurs, je m’en fous !...Est-ce que je ne les paye pas pour me nommer ? » (« Le Gamin qui cueillait les ceps »). Sur le socialisme, ces mots célèbres de Spencer : « Tout socialisme implique l’esclavage » (L’Individu contre l’État) ; et Mirbeau d’opiner : « Qu’est-ce donc…sinon une effroyable aggravation de l’État, qui n’a d’autre nom dans la langue que l’esclavage…? » (« Questions sociales »). Sur le système juridique, que Spencer qualifie de « notre barbare code de justice… » (Introduction à la science sociale), Mirbeau écrit : « Toutes les lois sont oppressives et criminelles. Elles ne protègent que les riches et les heureux » (« Dépopulation »).

 On note encore d’innombrables affinités entre les deux hommes sur d’autres sujets : sur la lutte des Boers contre la Grande-Bretagne ; sur les relations internationales ; sur la santé publique ; sur le parlementarisme ; sur les décorations et les honneurs publics ; sur l’indestructibilité de la matière ; sur la théorie de l’évolution ; sur l’attraction des sexes ; sur l’entraide ; sur le journalisme ; sur le progrès ; sur l’élimination progressive des maux de l’humanité ; sur le mauvais goût du grand public ; sur le patriotisme et le militarisme ; sur la malfaisance du salariat ; sur l’éducation publique ; et sur la religion. Aucun doute, donc : Mirbeau a trouvé en Spencer un philosophe à son goût, un sociologue qui a traité de la question sociale du point de vue de l’évolution, un scientifique qui a soutenu ses conclusions par des faits d’observation convaincants, et un critique objectif, libéral, et honnête du monde politique contemporain.



                                                                                  R. C.

 

            Bibliographie : Reg Carr, « Octave Mirbeau et Herbert Spencer : affinités et influences », L’Europe en automobile : Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses Universitaires de Strasbourg, 2009, pp.271-84.


STRINDBERG, august

STRINDBERG, August, (1849-1912), romancier et dramaturge suédois, d’inspiration naturaliste à ses débuts, plutôt expressionniste à la fin de sa vie. Malheureux en ménage et violemment anti-féministe, il s’est fait le théoricien de l’infériorité naturelle des femmes. Il était psychologiquement fragile, voire dérangé, et souffrait du délire de la persécution). Il a vécu plusieurs années en France, à partir d’août 1894, et a rédigé en français Inferno (1897). Il est notamment l’auteur de La Chambre rouge (1879), Le Royaume nouveau (1882), Le Fils de la servante (1887), autobiographie, Au bord de la vaste mer (1890). Au théâtre, il est surtout connu pour Père (1887), Mademoiselle Julie (1889), Créanciers (1889) et La Danse de mort (1900). Il a aussi donné des drames historiques inspirés par l’histoire de la Suède : Éric XIV (1899), Charles XII (1901), Gustave III (1903).

Mirbeau, qui ne connaissait qu’une petite partie de son œuvre, ne l’appréciait pas du tout et le jugeait par trop surestimé : « M. Auguste Strindberg fut, il faut bien l'avouer, une assez fâcheuse invention ; fâcheuse pour lui et pour nous. On croyait avoir mis la main sur un autre Ibsen. [...] On dut vite reconnaître que l'on s'était trompé. Comme dramaturge, M. Strindberg ne dépasse pas l'honnête moyenne de nos habituels fournisseurs de théâtre ; comme nouvelliste et comme romancier, il s'atteste d'une éclatante infériorité. » Mais ce que Mirbeau critique plus encore, c’est  « son anthropologie », dont les méthodes pseudo-scientifiques lui paraissent aussi dérisoires que celles de Cesare Lombroso (voir la notice) : il n’y voit qu’ « une molle resucée, un morne remâchement des cuisines lombrosiennes » (« Knut Hamsun », Le Journal, 19 mars 1895). Quelques semaines plus tôt, répondant à l’enquête d’un journaliste, à la suite de la publication d’un article provocateur de Strindberg dans La Revue blanche, il était rangé parmi les « défenseurs des femmes » parce qu’il tournait en dérision les arguments prétendument scientifiques au nom desquels Strindberg décrétait les femmes inférieures aux hommes :  « M. Strindberg tombe dans l'erreur commune à beaucoup d'hommes qui appliquent à la femme une tare d'infériorité en ce qu'elle n'a pas la même forme d'esprit, les mêmes qualités de sensations, les mêmes aptitudes que l'homme, c'est-à-dire en ce qu'elle n'est pas un homme. Cela m'a toujours semblé un fâcheux raisonnement. |...] Je ne vous parlerai pas des expériences scientifiques, pesées, mensurations, analyses chimiques, descriptions micrographiques, etc., toute cette cuisine de laboratoire à laquelle se livre M. Strindberg dans l'espoir de découvrir au fond d'une éprouvette un précipité d'infériorité féminine ou le bacille de la supériorité masculine. Tout cela me paraît d'un snobisme assez caractérisé. La vérité est que M. Strindberg a dû beaucoup souffrir de la femme. Il n'est pas le seul et c'est peut-être de sa faute. »

P. M.


SUTTNER, bertha von

SUTTNER, Bertha von (1843-1914), écrivaine et militante pacifiste autrichienne. Née comtesse Kinsky von Wchinitz und Tettau, fille d’un feld-maréchal ruiné, elle a été obligée de travailler comme gouvernante et a épousé le jeune baron Arthur Gundaccar von Suttner. Après avoir passé huit ans en Géorgie, elle a publié, en 1889, Die Waffen Nieder ! [“Bas les armes !”], qui, en Allemagne, s’écoulera à 210 000 exemplaires de son vivant. Elle a, peu après, fondé la Société autrichienne des amis de la paix, dont elle a été la présidente jusqu’à sa mort. En décembre 1905, couronnement de sa carrière, elle est la première femme à obtenir le prix Nobel de la Paix.

Parlant parfaitement le français, Bertha von Suttner a pu lire Le Calvaire dans le texte et y a reconnu des préoccupations et des valeurs très proches des siennes. Elle a aussi admiré L’Abbé Jules (1888) et Sébastien Roch (1890). Elle a fait la connaissance de Mirbeau, à Menton, en février 1889, et a évoqué cette rencontre dans ses Memoiren. Les deux écrivains ont échangé quelques lettres cordiales, et Mirbeau a essayé d’obtenir de son éditeur Georges Charpentier qu’il publie la traduction française de Die Waffen Nieder ! Mais, pour des raisons que nous ignorons, le volume ne paraîtra qu’en 1899, et il sera préfacé, non par Mirbeau, mais par Gaston Moch.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Bertha von Suttner », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 180-191.

 

 


Page:  « Prev 1 2
Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL