Familles, amis et connaissances

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Terme
DAUDET, alphonse

DAUDET, Alphonse (1840-1897), né à Nîmes, mène très jeune, à Paris, une existence difficile avant de connaître le succès avec Le Petit chose (1868), Les Lettres de mon moulin (1869) et Les Contes du lundi (1873) qui le projettent sur le devant de la scène littéraire. L’essentiel de son œuvre se situe dans la mouvance réaliste et vaut par ses qualités d’observation, de fantaisie et d’humour, alliées à une compassion authentique pour les déshérités. Atteint très tôt par la maladie, il a laissé dans La Doulou (1929) le récit émouvant des souffrances qu’il a endurées durant les dernières années de sa vie.

L’histoire des relations entre Octave Mirbeau et Alphonse Daudet illustre admirablement les rapports fluctuants que l’auteur des Grimaces pouvait entretenir avec son entourage, qu’il s’agisse, outre l’auteur du Petit chose, de Paul Bourget, de C. Mendès ou de Zola. Dans le cas de Daudet cependant, le revirement aura rarement été aussi spectaculaire !

 

Une cible de choix

 

En effet, dans les années 1883-1885, Alphonse Daudet fut l’une des têtes de Turc favorites de Mirbeau, avant de devenir l’un de ses familiers et de ses écrivains préférés. Vers 1883, O. Mirbeau est encore un inconnu, ou presque, simple journaliste, chroniqueur au Gaulois et au Figaro, et « nègre » de plusieurs écrivains. Il a besoin de se faire un nom, et il n’est pas impossible qu’il pense pouvoir y parvenir en attaquant un écrivain encore jeune dont la réussite si rapide (décoré de la Légion d’Honneur dès 1870, Daudet participe aux fameux « dîners des cinq » en compagnie de Flaubert, de Goncourt, de Zola et de Tourgueniev…) lui paraît un peu tapageuse, voire suspecte. Aux yeux de Mirbeau, « [Al. Daudet ] n’a pas besoin de gagner son pain, péniblement, en des métiers obscurs et inavouables. » (Les Grimaces, 21, 8.12.1883). Aussi n’hésite-t-il pas à accuser Daudet d’être un plagiaire et un usurpateur, tout particulièrement en ce qui concerne la rédaction des Lettres de mon moulin qui auraient été écrites en grande partie par Paul Arène. La polémique dura plusieurs semaines, P. Arène reconnut sa participation aux fameuses Lettres et se brouilla finalement avec Daudet. Ce qui n’empêcha pas Mirbeau de renouveler ses attaques en 1884 sur le même thème : « Je ne verrais aucun inconvénient à ce que MM. De Goncourt et Zola réclamassent à M. Al. Daudet […] une partie de ses droits d’auteur, puisqu’il est unanimement reconnu que M. Daudet n’a jamais vécu que des raclures – admirablement cuisinées – de ses devanciers et de ses amis. » (« Le Pillage », La France, 31.10.1884).

 

Une réconciliation improbable

 

Apparemment, Al. Daudet ne garda pas rancune à O. Mirbeau de ces incidents pourtant majeurs et, contre toute attente, Mirbeau entreprit de se rapprocher de lui à partir de 1887. Plusieurs facteurs jouèrent en faveur de cette réconciliation : leurs amitiés communes, notamment celles d’Edmond de Goncourt et plus encore de Paul Hervieu, ainsi que la parution de L’Immortel (1888) dans lequel Daudet se livre à un très sévère réquisitoire contre l’Académie française. Attaquer ainsi la vénérable institution constituait immanquablement pour Mirbeau un brevet de bonne conduite qui acheva de le convaincre de proposer son amitié à son ancien souffre-douleur (« Je vous aime, lui écrit-il aussitôt, et je vous admire, mon cher maître, non seulement parce que vous avez créé un chef-d’œuvre, mais parce que ce chef-d’œuvre, vous avez voulu qu’il fût un abîme entre vous et l’Académie ! ») Le rapprochement qui s’en suivit s’accompagna d’un éloignement symétrique à l’égard de Zola qui, dans le même temps, ne cessait de solliciter, en vain, son accession à l’Académie.

Le revirement de Mirbeau est d’autant plus paradoxal que les deux écrivains s’opposent radicalement sur le plan idéologique et politique. Al. Daudet est resté jusqu’à la fin de sa vie profondément méfiant à l’égard de tout engagement politique, profondément conservateur et étranger à toute forme de progressisme social. Tout le contraire de Mirbeau dont on connaît les sympathies anarchistes et l’antimilitarisme foncier.

 

Affinités et convergences

 

Pourtant, l’analyse, même succincte, de leurs œuvres respectives fait apparaître des convergences et des affinités littéraires que l’on ne soupçonnerait pas a priori et qui peuvent justifier leur sympathie réciproque. À commencer par leur goût commun pour la caricature, bien connu chez Mirbeau (voir article « Caricature »), moins évident chez Daudet dont on ignore souvent le sens du ridicule et du grotesque pourtant si présent dans la trilogie de Tartarin. A cet égard, le texte de L’Immortel, qui a servi – et ce n’est pas une coïncidence - de catalyseur au rapprochement des deux écrivains, relève de la caricature dans sa quasi totalité ; et les pages que Daudet y consacre aux funérailles du secrétaire perpétuel de l’Académie française pourraient avoir été signées par Mirbeau lui-même. Or, chez l’un comme chez l’autre, loin d’être un simple procédé rhétorique ou stylistique, la caricature révèle la véritable nature des êtres et des situations, arrache les masques de la bienséance et du bon goût et dévoile, in fine, l’étroite proximité de la beauté et de la laideur, l’imbrication tragique de la vie et de la mort.

Mirbeau et Daudet partagent en outre la même vision d’un monde livré à la cruauté et à la violence, dont l’enfance, entre autres, constitue une victime toute désignée, comme le montrent respectivement deux romans tels que Jack (1875) et Sébastien Roch (1890). Même enfance martyre, même vision pessimiste de l’existence humaine vouée à la souffrance sans espoir de justice ou de rédemption : Jack, accusé d’un vol qu’il n’a pas commis, abandonné par sa propre mère, meurt misérablement de tuberculose à l’hôpital, tandis que Sébastien, calomnié, traumatisé par son expérience du collège de Vannes, est tué, dans l’anonymat le plus total, pendant la guerre de 1870. Al. Daudet partage également la misogynie de Mirbeau et sa conception de la relation amoureuse identifiée à un  véritable calvaire. Cette cruauté de la femme dominatrice, corruptrice et perverse, sert de point commun à Sapho (1884) et au Calvaire (1886) dont la critique de l’époque n’avait pas manqué, au grand dam de Mirbeau, de souligner malignement les analogies. Il est vrai que les deux romans proposent bien les mêmes images dégradantes de la femme, « cette bête immonde », et de l’amour qui s’accompagne, chez l’un comme chez l’autre, d’une « odeur de pourriture. » On pourrait tout aussi légitimement rapprocher la scène d’amour qui, dans L’Immortel, se déroule à l’intérieur même d’un caveau et le fameux chapitre sur la mort de Balzac, dans La 628-E8, pour souligner combien se rejoignent les sensibilités de Daudet et de Mirbeau dans un étroit entremêlement de l’amour et de la mort.

Proximité enfin dans leur fascination commune pour le spectacle de la souffrance et de la torture, dont témoignent aussi bien Le Jardin des supplices, entre autres, que la lettre de rupture écrite par Sapho à son amant et qui évoque le supplice infligé, dans un pays d’Orient, aux femmes adultères (« On la coud vivante avec un chat, […] puis on lâche le paquet sur la plage hurlant et bondissant en plein soleil. ») Sans parler des pages hallucinantes de La Doulou que Mirbeau n’aurait pas désavouées s’il avait pu les connaître.

 

Le plus étonnant chez O. Mirbeau, dans sa relation avec les Daudet, c’est d’abord qu’il ait pu, au début, méconnaître en Alphonse un écrivain qui était si proche de lui, ou qui allait le devenir… ; ensuite, qu’il ait noué avec son fils, Léon, une relation d’amitié encore plus paradoxale et inattendue.

B.J. 

Bibliographie : B. Jahier, « Mirbeau-Daudet : des affinités particulières », Octave Mirbeau : passions et anathèmes, L. Himy-Piéri et G. Poulouin (dir.), Caen, PUC, 2007. / P. Michel, « Les palinodies d’Octave Mirbeau ? À propos de Mirbeau et Daudet », Cahiers naturalistes, 62, 1988.


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