Familles, amis et connaissances

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Terme
ANTOINE, andré

ANTOINE, André (1858-1943), est, même s’il n’a pas inventé la notion de mise en scène, le premier des grands metteurs en scène français. Il fonde le Théâtre Libre en 1887 et le dirige jusqu’en 1894. Ce théâtre, qui ne possède aucun local, est une compagnie d’amateurs à laquelle Antoine adjoint parfois un comédien professionnel. Antoine a recruté un public d’abonnés devant lequel il donne ses représentations ; il dispose en principe  de ressources financières suffisantes et il n’a pas à rechercher des succès d’argent comme les autres directeurs de théâtres ; ses  représentations sont privées  et  il n’a donc  pas à soumettre ses pièces au visa de la censure, qui subsiste jusqu’en 1906 et dont il récuse le principe. Antoine veut  renouveler le théâtre français et lancer de nouveaux auteurs qui ont du mal à  se faire jouer dans les grands théâtres parisiens ; les directeurs ne sont pas audacieux et ils leur préfèrent souvent des auteurs comme Dumas et Sardou, même si les jeunes  générations  pensent que leurs pièces ont vieilli. Antoine donne environ un spectacle par mois ; celui-ci comprend une, deux ou trois pièces et il change chaque fois d’auteurs. Il veut que les différents éléments de la représentation  forment  un ensemble cohérent et que le décor montre tout de suite au spectateur dans quel milieu les personnages évoluent. Il pense, comme Zola qui l’a beaucoup influencé, qu’ils sont déterminés par lui  Ennemi du cabotinage, il exige de ses acteurs qu’ils vivent leurs personnages au lieu de les jouer et  qu’ils  forment un ensemble sans chercher  à briller individuellement, comme cela arrivait souvent à son époque. Antoine crée des décors très vivants, remplis d’objets familiers,  et se sert avec beaucoup d’habileté de la lumière. Il lance de nombreux auteurs, dont le noms sont souvent oubliés, mais dont certains, comme Georges Ancey, Jean Jullien, François de Curel et  Henry Céard, ne manquent pas d’intérêt. Il est le premier à jouer en France Tolstoï, Ibsen, Strindberg et Hauptmann. Victime de difficultés financières, il abandonne le Théâtre Libre en 1894. Il est nommé codirecteur de l’Odéon en juin 1896, avec un homme de lettres, Paul Ginisty, mais comme il ne s’entend pas avec lui, il démissionne en novembre 1896. Il fonde le Théâtre Antoine en 1897 et le dirige jusqu’en 1906. Il dirige l’Odéon de 1906 à 1914, date à laquelle il fait faillite. Il produit après la guerre plusieurs films et il écrit de nombreux articles de critique dramatique. Par son désir de  nouveauté et son désintéressement, Antoine a servi d’exemple aux grands metteurs français qui sont venu après lui, même si,  comme Jacques Copeau, ils avaient d’autres conception esthétiques. 

Antoine et Mirbeau sont assez longtemps en rapport l’un avec l’autre, mais cette relation est toujours délicate ; les deux hommes se cherchent en effet sans toujours se trouver. Ils  commencent à s’intéresser l’un à l’autre à l’époque du Théâtre Libre, car chacun reconnaît le talent de l’autre et voit en lui un esprit affranchi de préjugés et  opposé à l’ordre établi. Mirbeau est un journaliste connu. Son article du Gaulois sur les comédiens (15 septembre 1884) a probablement amusé Antoine et il est évident  que celui-ci a approuvé, lorsqu’il l’a lue dans le même journal, le 20 juillet 1885, sa virulente attaque contre la  censure. Mirbeau publie deux romans, Le Calvaire en 1886 et L’Abbé Jules en 1888, et devient une figure de premier plan dans les lettres françaises. Il connaît plusieurs auteurs d’Antoine, notamment Émile Bergerat, Jean Ajalbert et Léon Hennique. Antoine voudrait s’assurer son concours et il s’adresse à lui à plusieurs reprises. Il  pressent peut-être que, bien qu’il n’ait encore rien écrit pour le théâtre, il peut y exceller. Il lui demande en juin 1887, à lui ainsi qu’à Becque, à Maupassant et à d’autres écrivains,  de lui confier une pièce. Mirbeau ne lui  promet rien. Antoine réitère sans plus de succès sa demande pendant l’été de 1888 ; il propose en octobre 1889 à Carré, directeur du Vaudeville, d’organiser des matinées dans son théâtre et de les faire précéder par des conférences ; il cite Mirbeau parmi les conférenciers auxquels il pense ; là non plus le projet ne se réalise pas. Même s’il ne donne aucune pièce à Antoine, Mirbeau s’intéresse au Théâtre Libre. Il  publie dans Le Figaro du 24 août 1890 un article enthousiaste sur La Princesse Maleine de Maeterlinck et il demande sans doute  à Antoine de jouer la pièce. Henry Bauër, le critique littéraire de L’Écho de Paris, intervient auprès d’Antoine dans le même sens. Antoine prend le temps de réfléchir et Le Figaro annonce le 25 qu’il a l’intention de jouer La Princesse Maleine et Les Aveugles, du même Maeterlinck. Il renonce ensuite  à son projet, sans doute parce que La Princesse Maleine est difficile à mettre en scène et qu’elle ne correspond pas à son esthétique, qui à ce moment est plutôt naturaliste. Il est possible aussi que, très jaloux de son indépendance, il n’ait pas voulu avoir l’air de se laisser influencer. Mirbeau assiste en décembre  1890 à la représentation de La Fille Élisa d’Ajalbert, d’après le roman des Goncourt ; il publie dans L’Écho de Paris du 5 janvier 1891 un article virulent contre Hector Pessard, qui avait vivement critiqué la pièce dans Le Gaulois (27 décembre 1890). Mirbeau publie sous son nom le 9 mai 1893 dans L’Écho de Paris un article écrit en réalité par Camille Mauclair sur Pelléas et Mélisande, que Lugné-Poe joue  au théâtre de l’Œuvre le 17 mai. Mirbeau-Mauclair écrit : « En voilà assez des reconstitutions d’ameublement, du triomphe de l’accessoire soi-disant exact, des glaces peintes et du trompe-l’œil, autant que de la vraie soupe et du vrai feu, ébahissement du badaud. » Tout en se moquant du trompe-l’œil, il lance des pointes contre le Théâtre Libre, Antoine demande cependant à Mirbeau en avril 1893 d’intervenir près de Jules Huret, sans doute pour que celui-ci lui demande une interview ; Mirbeau le prie  en février 1894 de lui envoyer des places pour une représentation d’Une journée parlementaire de Barrès et par la même occasion l’invite chez lui.

Le jeu de cache-cache continue pendant l’éphémère direction d’Antoine à l’Odéon. Il  demande à Mirbeau de se charger d’une conférence sur une pièce de Beaumont et Fletcher, deux auteurs  de l’époque élizabéthaine, intitulée Philaster ou l’amour qui saigne ; il  démissionne avant que la pièce soit jouée et la conférence n’a pas lieu. Mirbeau  est invité  au déjeuner qui  est organisé en l’honneur d’Antoine le 7 décembre et  qui réunit  quatre-vingt convives, dont  Zola, Becque, Jules Lemaitre et Firmin Gémier. Mirbeau se dédit à la dernière minute en alléguant qu’il est appelé d’urgence chez lui, à Carrières-sous-Poissy ; il est possible en effet qu’il soit revenu en hâte près de son épouse malade.

Le projet déjà ancien d’Antoine de jouer Mirbeau se réalise quand il prend la direction du Théâtre-Antoine, mais des difficultés surgissent vite. Mirbeau a l’intention de lui confier  ses Mauvais Bergers et il lui en lit la moitié au printemps 1897. Il se dédit ensuite et confie sa pièce à Lucien Guitry et Sarah Bernhardt, qui la jouent au théâtre de la Renaissance le 14 décembre 1897. Mirbeau lui  donne  une autre pIèce, L'Épidémie. Antoine n’est pas enthousiasmé par cette bouffonnerie, dans laquelle  Mirbeau a volontairement outré les traits de  ses personnages et il  ne la monte que parce que Mirbeau le harcèle. Il la joue le 14 mai 1898 dans un spectacle coupé ; celui-ci commence  par  deux pièces gentillettes et amusantes, où l’adultère est évoqué, mais non consommé, Julien n’est pas un ingrat de Pierre Veber et Les Amis d’Abraham Dreyfus. Antoine, sûr que les deux premières pièces plairont, a gardé L’Epidémie, pièce provocante et plus risquée, pour la fin. Le spectacle réussit ; L'Épidémie est bien joué ; Antoine, qui s’est chargé du rôle du maire, et les conseillers municipaux paraissent comme il se doit, grotesques. Les avis des critiques sur la pièce sont nuancés. Charles Martel  estime dans L’Aurore, sans nier le talent et la verve de  Mirbeau que celui-ci   « tapant trop fort, a manqué son but » ; Catulle Mendès déclare dans Le Journal que « cette caricature énorme lui plaît par son énormité même » ; Duquesnel écrit dans Le Gaulois : « La caricature est outrée,  sanglante et de durée un peu longue peut-être... mais le fouet qui frappe à tort et à travers cingle parfois fort et il y a des coups bien portés. » Antoine n’en abandonne pas moins la pièce après sept représentations, à la grande déception de Mirbeau, qui le lui reproche  dans une lettre de juin. Mirbeau lui demande des places le 25 octobre 1898 pour Judith Renaudin, de Pierre Loti, et en février 1900 pour Le commissaire est bon enfant, de Courteline. Beau joueur, il publie  dans Le Journal du 21 janvier 1900 un article élogieux sur Antoine : « Antoine a livré au vieux théâtre une guerre à mort et victorieuse. » Mirbeau, échaudé, ne demande plus rien à Antoine ; il confie Le Portefeuille à Gémier, qui le joue avec un grand succès à la Renaissance en 1902 et le reprend plusieurs fois. Il fait jouer Les affaires sont les affaires et Le Foyer à la Comédie-française en 1903 et en 1908. Le  fonds Antoine de la BNF conserve un télégramme de Mirbeau à Antoine, daté probablement de 1904 ; Mirbeau prie Antoine de disposer de ses fauteuils et s’excuse de ne pas venir. Aucun document ne nous renseigne  sur les rapports de Mirbeau et d’Antoine postérieurs à cette date. Il est probable qu’ils se sont distendus, mais il n’est pas sûr qu’ils aient complètement cessé.

P. B.

 

Bibliographie : ; André Antoine, Mes souvenirs sur le Théâtre Antoine et l’Odéon, Les Œuvres représentatives, 1928 ; Pierre Michel,  « Les Mauvais bergers et Le Repas du lion », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 213-220 ; Francis Pruner, Les Luttes d’Antoine, Minard, 1954-2007. 

 

 

 

 

 

   


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