Familles, amis et connaissances

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Terme
VIMMER, judith

VIMMER, Judith, demi-mondaine qui fut la maîtresse d’Octave Mirbeau de 1880 à 1884 et qui lui inspira le personnage de Juliette Roux, dans Le Calvaire. C’est Owen Morgan qui est parvenu à l’identifier. Nous ignorons sa date de naissance, mais savons qu’elle habitait au 43 de la rue de Prony, adresse donnée par Mirbeau lui-même lorsqu’il est allé, en juin 1883, déclarer la publication prochaine d’un nouvel hebdomadaire, Les Grimaces. Dans cet immeuble construit en 1882, dans un quartier chic, elle occupe, jusqu’en 1895, un appartement sis au deuxième étage, dont le loyer est de 2 560 francs par an. Comme c’est le cas d’autres horizontales appartenant au haut du panier de la galanterie, son nom apparaît de temps à autres dans les chroniques spécialisées des quotidiens. Son prénom laisse à penser qu'elle était juive et qu’elle possédait cette beauté exceptionnelle et « toute-puissante » que Mirbeau notait avec admiration dans sa « Journée parisienne » du Gaulois, le 14 septembre 1880 – ce qui pourrait bien expliquer les cheveux « très noirs » de Juliette Roux.  

À en croire Mirbeau, sa longue liaison avec Judith Vimmer a été un long « calvaire » et, d’après les lettres à Paul Hervieu de 1883-1884, il a été son esclave consentant, incapable de se détacher et de mettre ses actes en conformité avec ce que lui dicte sa lucidité : il est en effet dépourvu de toute illusion sur le compte de sa maîtresse, mais la connaissance qu’il a de ses turpitudes, loin de tuer son amour, ne fait que l’alimenter. Pour l'entretenir sur un pied élevé, il a dû trimer comme un bagnard, en multipliant les besognes alimentaires – chroniques et romans “nègres” – et entrer à la Bourse comme coulissier, au service d'un grand de la finance, Edmond Joubert, vice-président de Paribas. Malgré les revenus colossaux qu'après coup il prétendra avoir gagnés – il parlera à Edmond de Goncourt de 12 000 francs par mois – et qu'il aurait « entièrement donnés à la créature », il a dû s'endetter lourdement et il mettra de très longues années pour s'acquitter des 150 000 francs de dettes accumulées, selon ce qu’il confie à un de ses anciens créanciers. Face aux infidélités répétées de sa compagne, avec qui il eût aimé, malgré son indignité, vivre « honnêtement » – d’après la police, en juillet 1883, il aurait été question de mariage –, il aurait été pris d'une frénésie meurtrière et, sous l'empire de la jalousie, il aurait déchiré le petit chien de Judith, selon ce que note admirativement Goncourt dans son Journal, à la date du 20 janvier 1886. Si surprenante qu'elle soit pour ceux qui connaissent l'amour de Mirbeau pour les animaux, et particulièrement pour les chiens, cette anecdote révélatrice n'a cependant rien d'invraisemblable, et elle a précisément inspiré au romancier une scène analogue du Calvaire. Il se pourrait même que ce soit la découverte du fauve homicide tapi en lui qui, le 22 décembre 1883, l'a poussé à fuir précipitamment au fin fond de la Bretagne, à Audierne, et, oubliant ses responsabilités de rédacteur en chef des Grimaces, qui disparaissent trois semaines plus tard, à se plonger, loin des miasmes mortifères de la capitale, dans la nature rédemptrice, dans l’espoir de se guérir de cette maladie « terrible et charmante, faite d'azur, de sang et de boue : l'amour »  (« L'Idéal », Le Gaulois, 24 novembre 1884). Ainsi fera aussi Jean Mintié, le narrateur du Calvaire. Mais, comme Juliette Roux dans le roman, Judith Vimmer est venue relancer son amant, qui, quoique se disant « martyrisé » par elle, lui écrit « des lettres, résignées » et « toutes pleines d’amour » : fin février 1884, elle le rejoint à Rennes. Mirbeau juge bien alors que ce n’est qu’une « pauvre tête vide », incapable d’éprouver la moindre émotion et, à plus forte raison, de l’amour vrai. Mais, confie-t-il à Hervieu le 2 mars, « je ne puis m’arracher ce sentiment du cœur » : « Je sais très bien ce qu’elle fait à Paris, quels sont ses plaisirs, et quelle est sa vie. Un autre en serait dégoûté et guéri. Moi pas, mon cher ami. À mesure que j’apprends des choses plus pénibles, et plus je suis malheureux. »

C’est seulement après son retour à Paris et sa rentrée dans la presse parisienne, où il chronique à tour de bras, et, surtout, après avoir entamé une liaison avec une ancienne femme galante, Alice Regnault (voir la notice), que Mirbeau commencera à voir la fin de son « calvaire ». Mais la véritable thérapie, ce sera la rédaction du roman qui porte précisément ce titre.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance générale, L’Âge d’Homme, 2003, tome I, pp. 313-344 ; Owen Morgan, « Judith Vimmer / Juliette Roux », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, pp. 173-175.


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