Thèmes et interprétations

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Terme
CHANSON

Le critique Mirbeau s’est montré assez sourd à la découverte et à l’approfondissement de sa connaissance du monde lyrique. C’est dans la fiction, en revanche, qu’il faut aller chercher les signes de cet intérêt spécifiquement romanesque. La forme circulaire et obsédante du refrain, par exemple, exprime assez bien dans les nouvelles la somme d’effroi, de trahison, de malaise qui écrase les figures romanesques, alors que la chanson déserte de façon inédite, chez l’anarchiste Mirbeau, le terrain de la contestation politique ou de la reconquête de la dignité sociale. Le refrain répété procède d’un travail de sape, d’un effet d’usure, qui aliène le narrateur de « La Chanson de Carmen » ou de « La Tête coupée ». En somme, il fait affleurer les impasses de la communication entre l’homme et la femme, et souligne les violences commises par l’individu envers l’individu. La chanson, comme le rire incoercible, désigne ainsi la réalité d’une trahison, d’un cocufiage, d’un manquement, volontiers sur le mode comique (« Le Pont », « Enfin seul »). Ingratitude, voire infidélité : la place de la faute rappelle à l’occasion que la chanson mirbellienne se déploie dans le cadre d’une variation sur le thème du possédé ou de l’hystérique. La chanson participe de l’annonce d’un événement funèbre (Les Mauvais Bergers), ou son caractère persécuteur renvoie à l’obsession de la mort en accélérant le drame à venir (Un homme sensible, 1901) dans une atmosphère marquée par un imaginaire de la transgression (« Le Petit gardeur de vaches »).

Dans l’œuvre romanesque, la chanson relève explicitement de la séduction malfaisante. Ce charme envoûtant qui passe par le sens auditif, complète le délire de Mintié, par exemple, dans Le Calvaire, qui s’organise non seulement autour d’images et de représentations visuelles voisines de l’hallucination, mais aussi de rythmes et de refrains vidés de leur sens rationnel pour mieux dire et susciter la psychose. Le jeune Sébastien, héros éponyme du roman de 1890, est lui aussi la proie de sa sensibilité impressionnable au chant des maîtrises, cependant que ses éducateurs lui interdisent l’apprentissage du chant. Flirter avec l’interdit : à l’article de la mort, l’abbé Jules accompagne cette profession de foi d’une ultime chanson, volontiers paillarde. Plus tournée vers la célébration de l’union de la vie et de la mort, la chanson « J’ai trois amies », susurrée par Clara dans Le Jardin des supplices, constitue néanmoins elle aussi un avatar sardonique du mal.

Si la chanson facilite aussi la compréhension du lien qui unit l’homme à la nature, l’animal chanteur s’inscrit sous le signe du mal universel, et le bestiaire annonce par sa voix l’imminence du drame à venir (« Le Colporteur », « Histoire de chasse »).

En définitive, la forme cyclique du chant révèle toujours, dans l’œuvre mirbellienne, un dialogue avec soi-même, en soulignant en creux l’incommunicabilité essentielle des êtres.

S. L.

 

Bibliographie : Samuel Lair, « « Un obsédant refrain : sortilège d’Orphée chez Mirbeau », Cahiers Mirbeau n° 8, 2001, p.183-198.


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