Thèmes et interprétations

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Terme
ACADEMISME

Bref historique

 

Les premières académies virent le jour en Italie durant la seconde moitié du XVIe siècle. Elles étaient destinées à former les artistes et à modifier leur statut. Loin  de proposer simplement une formation technique et artisanale, comme le faisaient les ateliers, elles prodiguaient un enseignement qui reflétait les exigences des traités de la Renaissance. À la maîtrise du métier, fondée principalement sur la pratique du dessin, s’ajoutaient des connaissances théoriques, comme l’enseignement des matières scientifiques et humanistes. L’artiste cessait donc d’être un bon artisan pour devenir un intellectuel.

Il fallut attendre 1648 pour que naisse en France, à Paris, l’Académie royale de peinture et de sculpture. Cette institution s’imposa rapidement dans toute l’Europe et, avec elle, apparut le terme de « beaux-arts ». On y prônait un retour à l’Antiquité, en érigeant en modèles les œuvres gréco-latines et en faisant de la simplicité, de la grandeur, de l’harmonie et de la pureté, les maîtres mots.

Outre son rôle de formation, l’Académie joua un rôle prépondérant dans la commercialisation. Grâce aux concours et aux expositions périodiques, elle jetait un pont entre les artistes et les commanditaires. Mais au XIXe siècle son prestige déclina. Son enseignement figé, son conservatisme étriqué, fit l’objet de nombreuses attaques, aussi bien de la part de certains artistes que de critiques éclairés. À la suite des romantiques qui revendiquaient un art affranchi des règles, toutes les avant-gardes allaient s’insurger contre cet enseignement mortifère.

 

Les émissaires de l’État

 

Mirbeau va se montrer un détracteur acharné de l’académisme et de ses fiers représentants. Dès ses premières chroniques esthétiques, il s’attaque à ses institutions que sont le Salon et l’Académie des Beaux arts, ainsi qu’à ceux qu’elles honorent et qui ne sont que des « médiocres et [des] impuissants » (L’Ordre de Paris, 4 janvier 1877). Inlassablement, jusqu’à ses derniers articles où il les laissera « plus que morts » (Paris-Journal, 19 mars 1910), il va s’évertuer à ternir le prestige de ces hommes qui déshonorent à ses yeux la nature, dévastent les musées et corrompent l’esprit du public. Il faut qu’ils meurent afin que les plus beaux fleurons de la peinture française puissent éclore et s’épanouir.

Les reproches qu’il leur adresse sont multiples. Il les accuse tout d’abord d’entretenir des rapports serviles et mercantiles avec l’État qui les emploie et cette attitude est, pour lui, avilissante et inadmissible car le peintre ne doit obéir qu’aux lois qu’il se fixe et ne servir que son art. Si Mirbeau châtie donc tous les artistes qui font le jeu du pouvoir, il frappe encore plus durement trois d’entre eux : Bouguereau, Cabanel et Meissonier, car ils sont, selon lui, la plus parfaite incarnation de cette compromission. Tous décorés, ces illustres académiciens sont des piliers de l’État. Bouguereau s’impose dans tous les salons officiels, Cabanel est un professeur de renom, quant à Meissonier, le chantre des campagnes napoléoniennes, il n’hésite pas à briguer un poste de sénateur.

De plus l’État est castrateur, il ne tolère qu’« un certain degré d’art » (Georges Leygues) et n’accepte que les formes convenues et les procédés traditionnels. Tous les artistes novateurs que Mirbeau aime et défend avec fougue sont, à ce titre, méprisés, et ce sont les porte-drapeaux des institutions qui trouvent l’admiration de la foule. Autre raison, par conséquent, pour laquelle le critique fustige les peintres qui s’adonnent à la « routine » de « l’art officiel » et l’École académique qui dispense un enseignement médiocre et conventionnel, c’est parce qu’ils détournent le public conditionné de l’amour et de la compréhension de la « bonne peinture ». Ce sont leurs œuvres, sans émotion et sans vie, et où la primauté va au dessin, au détriment de la couleur et de la lumière, qui soulèvent l’enthousiasme et trouvent les commandes, et non pas celles des hommes de génie. Même si Mirbeau s'attelle à essayer de dessiller les yeux du public, il  sait que c’est un combat de longue haleine qu’il doit mener car, comme il le confie à Maurice Rousselot, « l’art ne peut être l’apanage que de quelques personnalités très rares et très  hautes affranchies de toute éducation officielle ou religieuse ; il ne saurait être sensible au public, c’est-à-dire à la masse sociale qui ne vit, ne pense, n’agit que d’après la loi des conventions arbitraires et du mensonge, et avant de donner une éducation au public, il faudrait l’y préparer par le long et impossible enseignement de la vérité » (La Plume, 1er mars 1903). Mais si Mirbeau  se fait le contempteur de l’académisme, ce n’est pas seulement pour rehausser le caractère novateur des indépendants, mais avant tout parce qu’il abhorre cet art platement bourgeois, triomphe du poncif habile.

 

Un art mortifère

 

L’ultime raison, mais non la moindre, qui le conduit à désigner les fervents représentants de l’académisme à la vindicte publique, c’est l’absence de vie dans leurs toiles et l’inanité des dogmes qu’ils s’évertuent à respecter. Il leur reproche de plagier les anciens ou d’essayer de paraître modernes sans heurter le goût du public. Si notre critique est aussi virulent envers ces peintres, c’est à cause de leur manière factice d’exprimer les sujets qu’ils traitent. Qu’ils exécutent des tableaux de genre, des peintures historiques, religieuses ou militaires, le résultat est identique : cela sonne faux. Les officiels mentent quelque thème qu’ils abordent. « C’est propre, luisant, soigné, parfumé, au point que l’on croirait que “ce n’est pas fait à la main”. Ce qu’il y a de curieux, c’est de voir que tous ces tableaux semblent sortir de la même parfumerie et l’on s’étonne, tant ils sont pareils les uns aux autres, de voir au bas des marques de fabrique différentes. […] Il faut que les chevaux soient peints un par un, qu’on compte toutes les feuilles d’un arbre et toutes les herbes d’une prairie ; […] si les hommes ne sont pas en bois, les forêts en zinc, les ciels en carton, c’est manquer à la bienséance et au bon goût. » (La France, 7 février 1885) Ce sentiment de faux, de faux semblant, Mirbeau l’éprouve avec encore plus d’acuité devant les scènes militaires. Peut-être parce que le sujet se prête encore plus à l’artifice, aux décors de carton-pâte que les autres sujets. « Je ne sais rien de plus ennuyeux qu’un tableau de M. Meissonier, parce qu’il y manque toujours cette qualité maîtresse de l’art : la vie. Jamais M. Meissonier n’a été ému par le spectacle d’un être ou d’une chose. Quand il a peint un bonhomme quelconque,  jamais ce bonhomme n’a reçu de l’artiste cette flamme intérieure qui fait qu’il marche, qu’il pense, qu’il souffre, qu’il y a de la chair sous l’étoffe, des os sous la chair, une âme, enfin. » (« Votons pour Meissonier » Le Matin, 22 janvier 1886). À tous ces peintres, il manque ce frémissement pictural que Berenson appellera les valeurs tactiles et que Mirbeau admire dans chacune des œuvres impressionnistes.

Tout au long de ses chroniques esthétiques le critique va dénoncer cette peinture flatteuse mais lénifiante, raffinée, mais sans vie. Lui, épieur de l’inconnu, lui, vibrant à l’unisson des novateurs de la ligne, de la forme, de la couleur, lui qui incarne magnifiquement l’art de son temps ne cessera de s’insurger contre l’académisme, art mort dont les meilleures cimaises sont selon lui les croix des cimetières : « Voici donc à quel choix honteux, à quels gaspillages insensés, aboutit cette collaboration artistique de l'Institut, qui désigne les tableaux et les marbres, et de l'État qui les paie avec notre argent et qui endeuille nos musées... » (« L’Art, l’Institut et l’État », La Revue, 15 avril 1905). Lui qui, sans relâche, s’est battu pour ruiner le prestige de ces illustres académiques, lui qui avec délectation a prononcé l’« Oraison funèbre » de Cabanel (L’Écho de Paris, 8 février 1889), finit par voir ses efforts couronnés de succès. Alors que la réputation des artistes dont il s’est fait le chantre ne cesse de croître, la gloire des peintres officiels s’envole et leur suprématie s’effondre. « Cependant l'art non officiel, celui qu'on appelle indépendant et que j'appelle seulement “l'art”, occupe chaque jour plus de place face à l'art officiel. Malgré son organisation puissante et malgré sa force d'inertie liée à sa longue existence, l'Institut voit son influence diminuer et se réduire. » (März, mai 1907).

L. T.-Z.

 

Bibliographie : Laure Himy, « La Description de tableaux dans les Combats esthétiques de Mirbeau »,  in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, 28 septembre-2 octobre 2005, Presses de l’Université de Caen, 2007, pp. 259-268 ; Gérard-Georges Lemaire, Histoire du Salon de peinture, Klincksieck, 2004, pp. 224-228 ; Christian Limousin, « Une critique tranchante », Europe, n° 839,  mars 1999, pp. 79-95 ; Pierre Michel, « La Question du jury au Salon - Anquetin et Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 215-221 ; Laurence Tartreau-Zeller, « Mirbeau et Meissonier », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 110-125 ; Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau - Une critique du cœur, Presses du Septentrion, Lille, 1999, 759 pages. 


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