Thèmes et interprétations

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BOULANGISME

BOULANGISME

 

            Certains articles des Grimaces de 1883, où il en appelait à un dictateur et à un coup de balai purificateur, auraient pu laisser penser que Mirbeau, ancien bonapartiste, cèderait à l’attrait du boulangisme, incarnation d’un nouveau césarisme. Mais il n’en a rien été, en dépit de sympathies initiales qu’il n’avouera que trois ans plus tard dans « L’Avenir » (Le Figaro, 5 février 1889), et il s’est au contraire montré dès le début hostile au mouvement suscité autour du général Boulanger à partir de 1886.

Devenu très populaire au cours de son passage au ministère de la Guerre, de janvier 1886 à mai 1887, Georges Boulanger (1837-1891) a fini par effrayer les républicains au pouvoir, qui, après sa sortie de charge, l’ont exilé à Clermont-Ferrand, suscitant du même coup des manifestations populaires pour empêcher son train de se mettre en branle, le 8 juillet 1887. D’abord soutenu par l’extrême gauche blanquiste et la gauche radicale (Clemenceau), Boulanger a vite rallié les bonapartistes (il se présente à plusieurs élections partielles sous cette étiquette) et l’extrême droite nationaliste (Déroulède), puis la droite monarchiste. Cette vaste coalition contre-nature d’intérêts divergents n’a en commun que l’anti-parlementarisme et la volonté de procéder à une « révision » constitutionnelle. Cependant, en dépit de sa fragilité, elle n’en a pas moins menacé un temps de faire tomber la République.  Au soir du 27 janvier 1889, alors qu’il vient de remporter un triomphe électoral à Paris, Boulanger tergiverse et ne marche pas sur l’Élysée, comme certains l’y incitent : son heure est passée. Constans, le ministre de l’Intérieur, fait alors courir le bruit de son arrestation prochaine afin de l’inciter à quitter la France pour la Belgique, où Boulanger se suicidera deux ans plus tard, sur la tombe de sa maîtresse.

Dès juillet 1886, Mirbeau met en lumière les sources de la popularité du ministre de la Guerre, souligne la vacuité de son programme, son flou idéologique et ses ambiguïtés foncières, voit en lui un ambitieux avant tout soucieux de ses intérêts et un opportuniste qui pressent une occasion favorable de coup d’État, à la faveur du pourrissement sur pied de la République opportuniste. Et il pronostique, pour finir, qu’il pourrait aussi bien « devenir Bonaparte, Monck ou Rossel », c’est-à-dire un restaurateur de la monarchie, un fauteur de coup d’État néo-bonapartiste ou un néo-communard (« Boulanger », Le Gaulois, 18 juillet 1886). Le 8 mai 1887, Mirbeau stigmatise les échauffourées provoquées par les nationalistes et boulangistes lors de la seule représentation de Lohengrin et  l’interdiction qui s’en est suivie (« La Rue », Le Gaulois, 8 mai 1887). Le 9 janvier 1889, nouvelle attaque dans un article du Figaro, « Le Mécontentement », où il ironise sur le compte du fringant général, qui est censé représenter toutes les formes possibles de mécontentement, mais qui n'a pas la moindre idée en tête. Le 5 février suivant, soit au lendemain du triomphe électoral de Boulanger à Paris, Mirbeau évoque, dans  « L'Avenir », sa première rencontre avec le général, lors d’un dîner chez Juliette Adam, sans doute par le truchement de François Deloncle. Il prétend avoir alors annoncé à ses amis : « J'ai vu l'homme qui fera le coup d'État. Il s'appelle Boulanger. » Mais peu à peu « l'épouvante »  a succédé à son initiale sympathie, qui n'était en réalité que du dégoût pour les politiciens opportunistes, « sans conscience et sans pitié », qui ont mené pendant des années une « politique de délation et de marchandages ». L'essentiel de l'article vise à dégonfler le mythe boulangiste : « impérial bourgeois », le général est un « curieux mélange de soldat, de paysan, de dandy, d'homme d'affaires et de cabotin », « très superficiel et parfaitement ignorant », qui serait bien en peine de définir les remèdes à mettre en œuvre pour soigner une société « en travail de renouvellement ». En fait, son seul rôle est d'être « un balai » : « Or que peut faire un balai, à moins qu'il ne balaie ? »  Mais ce balai constitue bel et bien une grave menace pour « l’indépendance de la pensée » et « l’émancipation de l’art », et il porte de surcroît en lui les germes de guerres futures : dans ces conditions, mieux vaut défendre la République, si démonétisée qu’elle soit, contre les dangers du césarisme !

L’anti-républicanisme de l’ancien bonapartiste et du néo-anarchiste n’a donc pas suffi à faire tomber Mirbeau dans le piège du boulangisme. Entre deux maux, une République parlementaire gangrenée et une dictature militaire rétrograde et liberticide, il a choisi le moindre, mais sans se faire la moindre illusion sur le personnel politique républicain : il s’avère simplement que les appétits féroces des nouveaux prédateurs constituent une menace bien pire que les ventres gavés des hommes au pouvoir, tout simplement parce que les appétits de ces derniers ont été assouvis...

P. M.  

 

            Bibliographie : Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990, pp. 315-318 ; Jean-Yves Mollier, « Octave Mirbeau et la politique de son temps », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 75-87 ; Isabelle Saulquin, « Mirbeau et le boulangisme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 126-133.


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