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Terme
BERNHARDT, sarah

BERNHARDT, Sarah (1844-1923), célèbre actrice française, surnommée « la Divine » et qui s’est surtout distinguée dans des rôles tragiques. Sortie du Conservatoire en 1862, elle entre alors à la Comédie-Française une première fois, puis une seconde fois dix ans plus tard, et s’y illustre notamment dans le rôle de Phèdre, ce qui lui vaut de vifs éloges de Mirbeau, néanmoins tempérés par une réserve (L’Ordre de Paris, 6 juillet 1875). Elle en claque la porte définitivement en 1880, au prix d’un énorme dédommagement de 160 000 francs, et fait aux États-Unis une grande tournée, qui sera suivie de beaucoup d’autres à travers l’Europe. En 1893, elle prend la direction de théâtre de la Renaissance, où elle monte  et interprète notamment Les Mauvais bergers, de Mirbeau, en décembre 1897. Un an plus tard, elle obtient de la ville de Paris la disposition du théâtre des Nations, qu’elle rebaptise de son nom. En 1915, on doit l’amputer d’une jambe. Toute sa vie elle a alimenté la chronique scandaleuse par ses excentricités, sa vie tapageuse et ses multiples liaisons (notamment avec Paul Bonnetain et Jean Richepin), dont certaines grassement rémunérées, comme l’attestent les archives de la police des mœurs. Mais son talent supérieur d’actrice a toujours fait l’unanimité, et elle a fait preuve de lucidité et de détermination en s’engageant courageusement dans la bataille dreyfusiste – même si, contrairement à ce qu’affirme Louis Verneuil, ce n’est pas elle qui a convaincu Mirbeau de s’engager !

            Les jugements de Mirbeau sur la grande Sarah sont globalement admiratifs, mais toujours atténués par des réserves, car il est sans illusions sur une femme impossible et capricieuse et une cabotine toujours à court d’argent, mais jamais à court de réclame. En 1882, dans un de ses Petits poèmes parisiens signés Gardéniac, « Lendemain d’hyménée », il présente son mariage avec le bellâtre Damala comme une façon originale de regagner la faveur du public. En décembre 1883, il prend néanmoins la défense de l’actrice, parce qu’elle est méchamment diffamée dans le roman à clefs et à scandale de la théâtreuse Marie Colombier, Les Mémoires de Sarah Barnum, et il va jusqu’à se battre en duel avec le “nègre” et préfacier de la Colombier, Paul Bonnetain, le 18 décembre 1883 (voir « Un crime de librairie », Les Grimaces, 15 décembre 1883). Tout en appréciant son courage littéraire quand elle monte La Glu d’après le roman de Richepin (voir « Entr’actes », Le Gaulois, 1er février 1883), il n’en rappelle pas moins, un an plus tard, que, « dans la vie de Mme Sarah Bernhardt », on ne trouve nullement la folie de l’idéal et de l’art pur auquel elle prétend avoir tout sacrifié, mais « beaucoup de calcul » et « la passion de l’argent » : « Il n’est pas un acte de Mme Sarah Bernhardt qui n’ait eu l’argent pour mobile impérieux. […] Elle a dépassé la mesure permise, même à ces enfants gâtés et prodigues qu’on appelle des artistes » (« La Fin d’une apothéose », Le Gaulois, 29 septembre 1884). Un mois plus tard, dans « Jouets de Paris », il la compare à Paris, avec ses « fugitifs caprices », son « vertige du bruit » et son « détraquement cérébral » (Le Gaulois, 27 octobre 1884,  ). 

Lorsque Mirbeau commence à travailler à ce qui deviendra Les Mauvais bergers, Lucien Guitry se fait fort de faire représenter ce drame au théâtre de la Renaissance. Et de fait, à peine la pièce est-elle achevée que Sarah demande à l’auteur de la lui lire, le 30 octobre 1897, et décide de la monter sans attendre : « Bref Sarah dit : “Qu'on arrête la répétition de La Ville Morte ! Une dépêche à d'Annunzio. Nous répétons Mirbeau demain !” Et elle est prise d'une crise de nerfs, elle se tord sur son fauteuil. On lui jette des bouteilles de vinaigre à la tête, etc,. etc. », écrit le dramaturge, un peu surpris, à son confident Paul Hervieu. Il lui en sera évidemment fort reconnaissant et ne manquera pas de lui rendre hommage, peu après la première (« Un mot personnel », Le Journal, 19 décembre 1897), puis lors de la publication de la pièce en volume : « Il faut aimer, il faut acclamer Mme Sarah Bernhardt, non seulement d’avoir incarné en d’inoubliables figures tous nos rêves, toutes nos ivresses, tout notre amour, et aussi toute notre haine du médiocre, du vulgaire et du laid, il faut l’aimer, il faut l’acclamer parce que, dans ce temps si plein de lâchetés, parmi tous ces théâtres qui se sont faits si docilement les serviteurs soumis, les esclaves d’un art transitoire et bas, elle seule a osé le grand, le noble, le sublime drame, décrié parce qu’il pense, honni parce qu’il pleure » (« Sarah Bernhardt », Le Journal, 20 avril 1898). Un an plus tard, il l’aidera comme il pourra pour lui permettre d’acquérir le théâtre des Nations.

Et pourtant il se repent amèrement d’avoir donné sa tragédie prolétarienne dans un théâtre de boulevard, devant un public de nantis. Et surtout d’avoir cédé aux exigences de la diva et d’avoir ajouté, à sa demande, des répliques particulièrement emphatiques et « de mauvais goût » qui, par la suite, lui donneront envie de supprimer sa pièce de la liste de ses œuvres. C’est ce qui ressort d’une lettre de décembre 1900 à Suzanne Desprès, qui doit reprendre le rôle de Madeleine : « Je verrai, enfin, une Madeleine telle que je l’ai rêvée, telle que je l’ai conçue… Il faudra que je supprime dans le quatrième acte quelques déclamations de mauvais goût, et que j’avais ajoutées lâchement, pour Mme Sarah Bernhardt. » Comme quoi la reconnaissance obligée n’interdit pas la lucidité et l’esprit critique...

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave, Sarah et Les Mauvais bergers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 227-231 (http://start5g.ovh.net/~mirbeau/darticlesfrancais/PM-Octaveetsarah.doc) ; Octave Mirbeau, Gens de théâtre, Flammarion, 1924 ; Gilles Picq, « Mirbeau au XXe siècle », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 187-197 (http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Picq-Articles%20de%20Mirbeau%20au%20XXe%20siecle.pdf).




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