Familles, amis et connaissances

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Terme
BERNARD, émile

BERNARD, Émile (1868-1941), peintre symboliste français. Il a été l’ami de Gauguin, qu’il a côtoyé à Pont-Aven (Pardon de Pont-Aven, 1888) et avec qui il a fini par se brouiller, en 1891, et avec Van Gogh, qu’il a pu influencer (Vincent a même fait une copie du Pardon) et dont il a entretenu la mémoire. Après avoir créé le « cloisonnisme » (contours sombres, tendances géométriques), avec Louis Anquetin, il s’est fait le théoricien du « synthétisme », qui vise à simplifier le plus possible le dessin et les couleurs par la suppression pure et simple de ce qui n’a pas été retenu par la mémoire, une fois enregistrée la vue du motif. Après une crise mystique, il s’est tourné vers la peinture religieuse d’inspiration symboliste et a participé aux salons de la Rose-Croix. Il a passé onze ans en Égypte, et, de retour en 1904, il a aussitôt rendu visite à Cézanne, à Aix-en-Provence ; il est bien possible que ce soit sa présence qui ait empêché Mirbeau de s’arrêter aussi au Jas de Bouffan, comme il le souhaitait. Bernard a aussi écrit de la poésie et de nombreux articles de critique d’art.

Mirbeau était totalement réfractaire à la peinture de Bernard. Ainsi prête-t-il à son double Kariste ces propos démystificateurs : « Pourquoi va-t-il copier, sur les frises des palais khmers,sur les moulages des antiques monuments d’Angkor, ces têtes camuses de guerriers et de bayadères pour en faire des christs cambodgiens et des vierges du Haut-Mékong ? Non, pour cela, c’est de la mystification ! » (« Les Artistes de l’âme », Le Journal, 23 février 1896). Dans son article du 17 mars 1901 sur « Van Gogh », il qualifie bien Bernard d’« esprit très curieux, très séduisant et très chercheur, très érudit » et reconnaît en lui une « intelligence spéciale et vive », mais c’est pour la juger aussitôt « infiniment chimérique » et « pervertie par toute sorte de religiosités vagues », qui ont pu « troubler » Van Gogh « à de certaines heures », sans pour autant détraquer son art, comme « il avait détraqué celui de Gauguin et de tant d’autres qui sombrèrent dans l’imagerie mystique, et dans cette folie ingénue de vouloir exprimer, je ne dis pas par la peinture, mais par la déformation, les mystères que la philosophie, la littérature et la science ne peuvent même pas exprimer. » Quant au peintre, Mirbeau le qualifie de « médiocre » et même d’« impuissant ».

On comprend que Bernard n’ait pas apprécié cette volée de bois vert. Il écrit aussitôt à Mirbeau pour se plaindre de l’injustice commise à son encontre : « Tout ceci ne me semble pas basé sur une opinion suffisamment vérifiée. Je me permets une question : Comment pouvez-vous, vous critique pourtant d’un nom et d’une autorité qui font loi, écrire si légèrement, sur de simples on-dit ?  Comment pouvez-vous agir ainsi, vous critique qui se dit honnête et consciencieux ? J’implore, en ce cas, le réveil de votre conscience, de votre responsabilité vis-à-vis du public et de moi. Cette responsabilité, il me semble, vous ne l’avez pas suffisamment pesée. » Il ne faut pas le juger sur ses « ébauches » quand il avait vingt ans et « balbutiait devant la nature », fort en peine de détraquer Gauguin et Van Gogh, qui étaient plus âgés que lui. Quant à l’accusation d’avoir fondé « le symbolisme » pictural, c’est une légende : « Si j’ai crée le symbolisme en peinture, cela a été sans le vouloir, sans préméditation, à mon insu. Je voyais comme je peignais, comme ma raison et mon esprit m’ordonnaient de peindre. Voilà la Vérité. Ma vie était par les grandes routes, à l’auberge, parmi les paysans. J’avais horreur de vos villes, de vos vices. Voilà ce que vous trouverez en moi si vous me connaissiez dans mon œuvre, si vous l’aviez vue. » Pour ce qui est  de sa « religiosité », il précise qu’il est « croyant », mais non « bigot » : « Je crois en Dieu, pas aux hommes. Je crois à la Nature, comme au langage divin et beaucoup à la piété de mon cœur. C’est tout. Je suis, vous le voyez, un cagot de bonne composition. »

Nous ne savons pas si Mirbeau a répondu à cette lettre, ni s’il s’est rendu chez Vollard, en juin 1901, pour visiter l’exposition Bernard à laquelle l’invite le peintre. Toujours est-il qu’il ne le citera plus son nom qu’une seule fois, en 1908, à côté de celui de Gauguin, en tant que peintre symboliste, et qu’il ne possédait, dans sa collection, aucune œuvre de lui.

P. M.

 

Bibliographie : Neil McWilliam, « Mirbeau et Émile Bernard », Cahiers Octave Mirbeau, n° 18.

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