Familles, amis et connaissances

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Terme
CLAUDEL, camille

CLAUDEL, Camille (1864-1943). Camille naît le 8 décembre 1864  à Fère-en-Tardenois, sa mère n’étant pas remise de la mort prématurée d’un petit Charles-Henri ; suivront une sœur, Louise, et Paul. Camille sera la mal-aimée. Dès la mort du père, fier du génie de Camille et de Paul, la mère en mars 1913, fait séquestrer sa fille conformément à la loi du 30 juin 1838. Au bout  de 30 ans, quand la mort la délivre, elle n’aura eu que 12 visites de son illustre frère, qui abandonne ses restes. Pourtant, « petit Paul» avait été son complice, son modèle. De « cette superbe jeune fille, dans l’éclat triomphal de la beauté », il garde la nostalgie, non sans remords.  Mais jusqu’aux années 80, la vieille «tante folle», dont quelques œuvres traînent dans la famille, reste un sujet tabou. Les dictionnaires l’ignorent, ou la situent : « 1856-1920 ».

Or, dès 1893, Mirbeau, « seul prophète de ce temps» (Cor,III,955), détectait le génie de la jeune inconnue. Il la situe dans la lignée de Rodin, Maître et amant, et du «génie encore confus», mais évident du frère cadet, Paul, l’auteur de Tête d’Or et de La Ville. Pourtant, déjà l’amour va vers la mort. Ces Valseurs,  « êtres aériens» touchent au vertige. Car exposés avec Clotho, « où vont-ils, éperdus dans l’ivresse de leur âme et de leur chair ?» Sur cet amour  « plus triste encore que la mort » (C.E.,II,34), «bat comme un suaire». En effet, la liaison impétueuse de 1883 à 92 subit de douloureux à-coups. Mirbeau, très  tôt confident du Maître, compatit aux peines de cœur de son «dieu». Peu après sa première lettre à Rodin, du 18 février 1885, il le met en confiance le 10 juin 1885 : « vous m’avez fait bien de la peine [mais] on peut  tout dire à un ami. » De fait, avant et après la rupture définitive de 1898, l’ami réconforte l’amant effondré lors de séjours bretons à Kérisper ( septembre 87, et juin 98 ).

Deux ans après l’analyse prémonitoire du 12 mai 1893 un second article sur « le petit groupe en plâtre », les Causeuses, et d’autres œuvres dont le buste de Rodin, exalte le «génie»—le mot, répété cinq fois— la «virtuosité» de la sculptrice pour son «interprétation de la nature vraiment miraculeuse». (C.E, II,92). Mirbeau, atteint de neurasthénie de 1891 à 94, se garde de mentionner les frustrations affectives, l’amour trahi, deux avortements. Il  s’indigne de  la mise à mort sociale, «rugit» (sic) :« et l’État n’est pas à genoux devant elle !» (ibid.). Car ces artistes refusés, non académiques comme ses amis «impressionnistes », toutes «ces natures ardentes », ces «âmes bouillonnantes» sont à son image. Ainsi, le « cri de douleur» qui jaillit de ses œuvres part d’un cœur fraternel qui peut, comme pour Maeterlinck, ouvrir le chemin de la gloire. L’article de 1895 ne fut pas sans effet : le 25 juillet, Poincaré, le Ministre interpellé, passe commande de l’Âge mûr. Mais peu après, refus de sa traduction en bronze ou en marbre :l’autobiographie, impliquant Rodin, est trop transparente. À Fère, quand le Conseil Municipal apprend que Camille est une femme, on annule le buste prévu. Pourtant un cercle d’amis soutient Camille : Rodin-Mirbeau-Schwob,Geffroy. Tout heureux d’un «projet» pour elle, Mirbeau écrit à Rodin, invite le couple (lettre du 27 avril 1895). Camille ne le rencontrera qu’en 1897, à propos de son marbre  l’Hamadryade. (Cor,III,337). Mais le 13 mai 1895, Mourey remercie Rodin de l’« avoir initié à cette belle œuvre, si débordante de vie de Mlle Claudel. » Par retour, le sculpteur l’invite à « faire quelque chose pour cette  femme de génie (le mot n’est pas de trop) que j’aime tant». Mourey va donc louer «son merveilleux talent » par deux fois en 1899. Mirbeau et quelques amis sont donc, comme Geffroy à qui Camille exprime sa reconnaissance : cette «  main bienfaisante qui tire les vrais artistes de leur linceul et qui ouvre tout doucement la tombe, où sans vous, ils s’ensevelissent ».

Un troisième article de Mirbeau, le 27 avril 97, reprend l’éloge de cette «héroïne d’art» guettée par la misère.Les « Causeuses » et  « ces adorables petites femmes qui dansent sous l’énorme Vague », sculptées à même l’onyx, avec « tant de souplesse…tant de virilité pour une femme », témoignent d’un génie qu’il faudrait couvrir «d’honneurs et d’argent» ! (C.E.,II,181). Ce combat se poursuit. Le 4 juin 1897 Camille assiste à un récital de Georgette Leblanc, compagne de Maeterlinck : «les deux seules femmes de génie de la France». Mirbeau veut les recevoir   pour saluer leur digne «sœur d’Italie », la Duse, invitée en France par «la Divine» Sarah. (Cor, III,302). Très sensible à ce soutien, Camille invite son admirateur pour voir   chez Bing son Hamadryade et lui «  transmettre (son) appréciation et celle de m.Rodin». Cette lettre de septembre 97, la seule de l’artiste au critique fut sans doute suivie d’effet .

1898 marque un tournant. Camille rompt définitivement avec Rodin, et l’Affaire Dreyfus, où Mirbeau défend son ami Zola, crée sans doute une certaine distance. Camille s’éloigne aussi de son ami Morhardt, et  premier biographe. Quand Geffroy, autre ami commun, lui propose  de créer le Monument de Blanqui dont il finit la biographie —elle paraîtra en 1897 sous le titre l’Enfermé— Camille dès mars 1905  répond positivement.  Elle se reconnaît dans ce «révolté d’instinct», ses débats dramatiques dans «la grande lutte». Mais, trop souffrante, elle renonce bientôt. 

Ainsi, Camille, ne sait pas cultiver cette convivialité vitale chère à  Mirbeau. À partir de 1905, elle s’isole. Dans le grand marbre de Persée décapitant la Gorgone son génie se déploie encore en 1902. Mais en 1906, La Niobide blessée, sera l’œuvre testamentaire. Paul vite marié est reparti en Chine. Exclue de la famille par une mère haineuse, elle s’enferme dans sa dépression, voire la clochardisation. À mesure que le «monstre», Rodin, est glorifié, ses frustrations et griefs s’amplifient en fantasmes obsessionnels. Paul avait su, quant à lui, édifier des garde-fous contre « l’excitation et l’agitation des  Claudel, leur grain de folie. » ( J,I,785). Vu sa position, il est tout désigné pour mettre fin au scandale social de « cette folle enragée » dont la mère ne veut plus entendre parler. C’est chose faite, le 10 mars 1913.

Mirbeau avait un siècle d’avance sur les Jardiniers de la folie  (E.Zarifian, éd.O. Jacob, 2000). Certes, le «millionnaire rouge», joue au touriste avec chauffeur dans sa Charron «628 E-8», descend dans les bons hôtels, tandis que la miséreuse, s’apprête à «mourir de faim», lance vers son généreux ami Eugène Blot  des «cris désespérés», et ironise : « les affaires sont les affaires» ! Mirbeau réussit. mais il sait le cas du « Raté », « nègre » ou « prolétaire des lettres » Dans le ciel, en 1892-93, décrit ce qui fut le drame d’un Van Gogh. Dans «L’Enfermé», du 9 octobre 1898, il relate le calvaire d’un praticien de Rodin victime du système socio-médical. Par cette « crise », ce « surmenage intellectuel » (C.E.,II,218), « tous, plus ou moins, nous [y] avons passé ». Médicalement, c’est «du verbiage délirant». Traité par la séquestration affective, avec des brutes pour gardiens, on meurt vite dans «ces étranges maisons de convalescence», ou «  de fous », véritables  « maisons de torture.»  En 1901 il publie « les 21 jours d’un neurasthénique », et ironise sur les « traitements ». Or Mirbeau, « de sens clair quand il écrit, a toujours en parlant quelque chose de fou », note J.Renard.(Journal, 12 nov.1907).   Le portrait vaut pour Camille dont les propos seront qualifiés de « délires paranoïdes ». Enfin, 1913, année de sa séquestration, voit la parution de Dingo, dernier livre de Mirbeau. 

Si donc Gorgô, pour Claude Herzfeld,   «assure unité et authenticité» à l’œuvre de Mirbeau, lequel, «nouveau Persée», invite à «regarder Méduse en face», Camille aurait pu lui sculpter un portrait fraternel. Aujourd’hui, par leurs Amis, leurs oeuvres rayonnent, et les sauvent, avec nous, d’un péril similaire : la pétrification.

M.B.

Bibliographie : Reine-Marie Paris : Catalogue raisonné de l’œuvre de Camille Claudel, Aittouarès, 2004 ;  A.Rivière et B.Gaudichon : Camille Claudel, Correspondance, Gallimard, 2008 ;  Claude Herzfeld, Le monde imaginaire d’O.M., Sté O.Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers,2001 ; P.Michel : O. Mirbeau,Combats Esthétiques,t. II, Séguier, 1993 ; P.Michel :Correspondance Générale, l’Âge d’ Homme, t.II & III.


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