Familles, amis et connaissances

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Terme
DAUDET, léon

DAUDET, Léon (1868-1942), fils ainé d’Alphonse et de Julia Daudet, romancier, journaliste, pamphlétaire et homme politique d’extrême droite. Ami de Drumont, l’auteur de La France juive, puis de Charles Maurras, il participe à la fondation de L’Action française en 1907 et devient député de Paris en 1919. Bien que son œuvre littéraire, abondante et multiple, vaille surtout à ses débuts (Les Morticoles, 1894 ; Suzanne, 1896), Léon Daudet est membre de l’Académie Goncourt dès ses origines puisqu’il succéda, comme par évidence, à son père décédé.

On peut raisonnablement penser que les relations d’Octave Mirbeau et de Léon Daudet se sont développées à l’ombre de celles qui se sont nouées entre l’auteur du Calvaire et le père de Léon à partir des années 1887-1888. Mais cette proximité familiale ne suffit sans doute pas à expliquer l’attachement et l’admiration réciproques que Mirbeau et Daudet vont éprouver l’un pour l’autre et qui relèvent du paradoxe le plus total. En effet, tout oppose les deux hommes sur le plan idéologique et cet antagonisme ne pourra que s’accentuer à l’occasion, en particulier, de l’affaire Dreyfus.

 

Affection et admiration réciproques



Il semble bien que la maladie de Léon Daudet, atteint d’une grave typhoïde en avril 1896, ait été pour Mirbeau l’occasion de mesurer et de manifester l’attachement qu’il éprouve pour le jeune homme : « J’ai pour votre fils une tendresse de vieux frère » écrit-il à son père. Dans ses Souvenirs des milieux littéraires, L. Daudet se rappellera cet épisode en des termes analogues : « Lors de ma convalescence, [O. Mirbeau] s’ingéniait à me distraire de mille façons, avec les attentions d’un frère aîné. » Mais rien ne dit mieux l’admiration enthousiaste de Mirbeau que l’article qu’il consacre à « M. Léon Daudet » dans Le Journal (auquel ce dernier collabore également), le 6 décembre 1896. Ce véritable dithyrambe salue en L. Daudet « celui de qui il faut, en toute certitude, attendre les plus belles œuvres, l’œuvre définitive peut-être ». Or, à cette date, l’œuvre du jeune Daudet se limite à la publication des Morticoles, « beau et terrible pamphlet » contre les médecins et les études médicales, et de Suzanne, qui vient de paraître au mois de novembre. Est-ce cette histoire d’inceste qui fait dire à Mirbeau que L. Daudet « écrit parce qu’il y a en lui une force supérieure qui le pousse à écrire des choses essentielles, à crier ses pensées, à donner vie aux idées qui tourmentent son cerveau et y bouillonnent » ? Hommage suprême : Mirbeau voit en lui le modèle même de « l’intellectuel, au pur sens de ce mot », un « esprit plein de sèves tumultueuses et d’activités grondantes. »

Là réside vraisemblablement la clé de l’énigmatique attachement de Mirbeau au futur fondateur de L'Action française : Léon Daudet est un double de lui-même. En 1896, il ne fait guère de doute que Mirbeau, désormais parvenu au sommet de la gloire littéraire et journalistique, voit en Léon le jeune homme ambitieux, intrépide et fougueux qu’il était quinze ou vingt ans auparavant, à l’époque des Grimaces, dont la verve et la liberté de ton n’auraient certainement pas déplu au jeune Daudet ! Un an plus tard, le 13 décembre 1897, à la veille de la générale des Mauvais bergers, L. Daudet donne la réplique à son aîné en publiant, toujours dans Le Journal, un article dans lequel il fait l’apologie de « ce gêneur, cet ennemi des groupes et des coteries, des instituts et des statuts », de ce « génie impressionnable que toute note douteuse, toute faute d’harmonie naturelle exaspère ». Mirbeau lui répond le jour même, par courrier : « C’est trop beau pour moi. »

 

Des tempéraments semblables



Si leurs idées s’opposent, leurs tempéraments les attirent l’un vers l’autre ; un peu à l’inverse de ce qui se passait entre Mirbeau et Huysmans, dont L. Daudet disait qu’ils se détestaient « par dissemblance de tempérament comme chien et chat ». De plus, Léon Daudet est lui-même une personnalité suffisamment contradictoire, toujours à l’avant-garde pour défendre l’art et la littérature (c’est lui qui fera attribuer le Prix Goncourt en 1919 à À l’Ombre des jeunes filles en fleurs et, en 1932, plaidera, vainement, en faveur de Voyage au bout de la nuit), pour que Mirbeau trouve en lui son comptant. Il faut surtout rappeler que les deux hommes, l’anarchiste et le réactionnaire monarchiste, partagent le même anticonformisme, la même passion antibourgeoise et qu’ils ont en commun le goût de la satire et de la caricature, assorti d’un penchant évident pour le désordre.

Ces convergences, plus profondes pour l’un et pour l’autre, semble-t-il, que les conflits idéologiques, permettent d’expliquer que les deux écrivains continuent de se fréquenter, alors même que l’affaire Dreyfus, surtout depuis le fameux « J’accuse » de Zola, délimite irrémédiablement les positions des uns et des autres. On en veut pour preuve la fameuse soirée du 31 décembre 1899, que Mirbeau organise chez lui : non seulement L. Daudet figure parmi les invités, tous dreyfusards, mais joue le rôle d’un nouveau domestique et anime la soirée de multiples pitreries, au grand plaisir de Mirbeau ! Autre indice, le numéro de L’Assiette au beurre du 31 mai 1902 dans lequel Mirbeau fait le portrait de ses Têtes de Turcs. M. Barrès, Bourget, Coppée, Déroulède, Drumont et Rochefort, pour ne citer qu’eux, s’y trouvent épinglés, alors que L. Daudet, leur compère, est miraculeusement épargné !

 

Tensions et réconciliations



La brouille est cependant inévitable à l’occasion de l’affaire du Foyer qui, en 1908, oppose Mirbeau à Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française, qui fait tout pour que la pièce ne soit pas jouée, après l’avoir acceptée, en raison des atteintes qu’elle porte contre le Sénat et l’Académie française. Très vite, la querelle tourne à un conflit politique où s’opposent les défenseurs du pouvoir et ceux de la liberté, finalement dreyfusards et anti-dreyfusards. Il n’est pas difficile d’imaginer alors de quel côté se trouvent L’Action française et L. Daudet !

Cet épisode n’empêchera pourtant pas les deux hommes de se réconcilier, par exemple à l’occasion de l’attribution du prix Goncourt 1909, décerné à l’unanimité à Marius et Ary Leblond pour En France. Il ne faut d’ailleurs pas négliger, tout au long de ces années, le rôle joué par les séances de l’Académie Goncourt, qui permettent à des écrivains d’horizons très divers de se retrouver régulièrement pour dialoguer et s’affronter, comme l’a résumé lui-même L. Daudet : « Elle maintient en contact des hommes d’opinions et de convictions différentes, que tout séparait, que réunit l’amour des lettres françaises » (Souvenirs littéraires, Les Cahiers rouges, Grasset, 2009).

Si Mirbeau disparaît de la scène littéraire et politique en 1917, il faut mettre au crédit de L. Daudet de n’avoir jamais abandonné ni trahi sa mémoire, comme le prouvent les portraits qu’il a laissés de lui dans ses Souvenirs littéraires (« C’est la sensibilité et même la sensualité la plus frénétique, la plus rapide […] que je connaisse ») et, plus encore, l’article qu’il lui consacre dans Candide en 1936. Dans ce texte, qui semble répondre, à quarante années de distance, à celui que Mirbeau avait consacré en 1896 au jeune écrivain, il célèbre en particulier les mérites de L’Abbé Jules, dans lequel « une demi douzaine de morceaux de bravoure atteignent à une sorte de sublime », et voit dans La 628-E8, ce qui est rare à l’époque, le « chef-d’œuvre » de Mirbeau, dont il compare la verve à celle de Swift. C’est également dans cet article que L. Daudet crée le terme de « gynécophobie » utilisé couramment aujourd’hui pour désigner la misogynie de Mirbeau. Il y a une honnêteté certaine et même, peut-être, un certain courage de la part de Daudet à saluer, près de vingt ans après sa mort, un écrivain qui se situe à l’opposé de sa famille politique et qui est déjà tombé injustement dans l’oubli. Preuve, en tout cas, d’une fidélité et d’une amitié qui transcendent les conflits idéologiques et confirment, si besoin était, l’anticonformisme foncier de l’auteur des Morticoles.

B. J.

 

Bibliographie : Jean-Paul Clébert, Les Daudet 1840-1940, Presse de la Renaissance, 1988 ; Léon Daudet, Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux, Nouvelle Librairie nationale, 1920 ; Léon Daudet, Souvenirs littéraires, Les Cahiers rouges, Grasset, 2009 ; Eric Vatre, Léon Daudet ou le libre réactionnaire, France-Empire, 1987.

 


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