Familles, amis et connaissances

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Terme
FLAUBERT, gustave

FLAUBERT, Gustave (1821-1880), fils d’un chirurgien de Rouen, a manifesté très tôt sa haine du « bourgeois », son allergie à la bêtise et une propension au romantisme exacerbé, dont témoignent ses écrits de jeunesse, non publiés par lui (notamment Smarh, Mémoires d’un fou, Novembre et la première version de L’Éducation sentimentale), et qu’il lui a fallu dominer pour parvenir à cette « impassibilité » qu’il proclamait. Il a mené une vie très retirée, dans sa maison de Croisset, sur les bords de la Seine, occupé à peaufiner inlassablement des œuvres auxquelles il imposait l’épreuve du « gueuloir ». Il a fait tardivement des débuts officiels avec un roman auquel il avait consacré près de six ans de sa vie et qui a fait scandale et a été poursuivi en 1857 par la « Justice » de l’Empire : Madame Bovary. À cause de la trivialité du sujet choisi, Flaubert a été considéré par beaucoup comme un réaliste, lors même qu’il n’avait que mépris pour cette morne doctrine de Champfleury, qui entendait copier platement la réalité : il voyait au contraire dans le roman une œuvre d’art dans laquelle la forme, indépendamment du sujet, était la priorité absolue (il rêvait même d’un « roman sur rien » que son armature formelle suffirait à maintenir debout). Des œuvres comme Salammbô (1862), dont l’action est située dans la Carthage antique et qui a nécessité de longues recherches érudites, et La Tentation de saint Antoine (1874), où l’érudition et le pessimisme philosophique sont mâtinés d’exotisme et où les discussions théologiques se mêlent à des visions fantastiques, traduisent cette volonté de rompre avec une image dégradante de romancier réaliste. D’une inspiration toute différente sont L’Éducation sentimentale (1869), son chef-d’œuvre, roman anti-romanesque de l’échec et de la médiocrité, qui témoigne de ses déceptions, et Bouvard et Pécuchet, récit inachevé et posthume consacré à deux ratés dépourvus de toute méthode, où, refusant les ingrédients habituels du roman, il rompt avec la vulgate romanesque. Ses quelques tentatives théâtrales ont été des échecs (Le Candidat, 1874, Le Château des cœurs, avec Bouilhet, 1880).

Mirbeau n’a eu que peu d’occasions de fréquenter Flaubert, mais il l’a au moins rencontré une fois, lors du fameux dîner chez Trapp, le 16 avril 1877, quand six jeunes écrivains ont rendu hommage aux trois maîtres qu’ils s’étaient donnés. Trois ans plus tard, le 21 février 1880, alors qu’il est entré au Gaulois, il a servi d’intercesseur auprès de son patron Arthur Meyer pour lui permettre de s’élever contre les poursuites engagées à l’encontre de son protégé, Guy de Maupassant. D’autres rencontres, sans être exclues, ne sont pas attestées.

Mirbeau avait une profonde admiration pour Flaubert, dont il partageait le pessimisme, l’horreur du bourgeois, la lucidité impitoyable, l’ironie distanciée, le refus de tout finalisme, le rejet d’une certaine forme de romanesque et les exigences stylistiques. Il admirait aussi chez lui des comportements qu’il opposait avantageusement à ceux de Zola : son mépris pour ces « honneurs qui déshonorent » et pour l’Académie Française, ou son refus d’entrer à la Société des Gens de Lettres afin de permettre la reproduction gratuite de ses œuvres : « Je comprends Flaubert, lorsqu’il écrivait : “J’aurais même grand soin, dût-il m’en coûter cher, de mettre à la première page de mes livres, que la reproduction en est permise, afin qu’on voie que je ne suis pas de la Société des Gens de Lettres ; car j’en renie le titre d’avance, et je prendrais, vis-à-vis de ma concierge, plutôt celui de négociant ou de chasublier” » (« Encore la Société des Gens de Lettres », L’Echo de Paris, 11 août 1891). Aussi, malgré son admiration pour les Goncourt, trouve-t-il leur Journal injuste avec Flaubert : « Il me semble qu’ils n’en ont point parlé, comme ils auraient pu, comme ils auraient dû le faire, et cela m’attriste un peu. Il eût été beau, cependant, de voir les Goncourt, devançant la postérité, bâtir à ce “grand bonhomme” devenu par la mort leur grand aïeul, le monument de gloire qu’il attend encore et que d’autres bâtiront qui ne furent pas connus et aimés de lui » (« La Postérité », Le Figaro, 19 novembre 1887). Dans l’œuvre du « grand bonhomme » qu’est Flaubert à ses yeux, il admire tout particulièrement « La Tentation de saint Antoine de l’immortel Flaubert » (« L’Inconnu », Le Gaulois, 24 juin 1887), parce que, explique-t-il dans une lettre à Julia Daudet, en avril 1889, « je ne le trouve jamais si beau que, lorsque, comme dans La Tentation de St Antoine, il crie les souffrances de son âme ». Cette admiration renouvelée aurait dû se concrétiser dans un article d’hommage dans Le Figaro, à l’occasion de l’inauguration du monument Flaubert à Rouen, le 23 novembre 1890, mais la direction du quotidien lui a préféré Henry Fouquier.

Pourtant, au fil des ans, Mirbeau s’est éloigné de Flaubert, qui a pâti tout d’abord de son dégoût récurrent pour la vanité de la littérature : c’est ainsi qu’il écrit à Claude Monet, en juillet 1890 : « Je ne crois plus à Balzac, et Flaubert n’est qu’une illusion de mots creux. » Flaubert a pâti ensuite, comme Goncourt, Zola et Maupassant, de la comparaison avec les grands romanciers russes, Tolstoï et Dostoïevski, qui donnent à Mirbeau l’impression d’aller beaucoup plus loin dans la psychologie des profondeurs et de rendre mieux l’intensité de la vie. En 1900, cette comparaison s’avère fatale à l’auteur de Madame Bovary : « Aux dernières vacances, j’étais en Suisse, chez un ami. Sur la table se trouvait La Guerre et la Paix. Jen relus un chapitre. Quelques jours après, j’ouvre L’Éducation sentimentale… Eh bien, ce fut un désenchantement, une déception profonde. Cela me parut une toute petite chose, mesquine desséchée, en cendres. Je ne retrouvais plus mon admiration, mon culte de jadis. Flaubert – et Dieu sait pourtant si je l’aime et le respecte ! C’est un grand bonhomme si probe, son souci du style est attendrissant, sa Correspondance touchante à en pleurer –  n’est rien à côté des grands Russes… Qu’est-ce que Salammbô en présence de cette Résurrection si puissante, malgré les petites tares qu’emporte et balaye le grand sentiment de la vie ? » (Interview par Louis Vauxcelles, Le Figaro, 10 décembre 1900). Enfin, ce qui a contribué au refroidissement de Mirbeau, c’est l’impassibilité  préconisée par Flaubert, si contraire à l’idée mirbellienne de la projection du moi dans l’œuvre d’art, si contraire aussi à la passion de son engagement éthique : « Flaubert me paraît d'une froideur de marbre », confie-t-il par exemple à Maurice Le Blond (L'Aurore, 7 juin 1903).

P. M.


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