Familles, amis et connaissances

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Terme
GONCOURT, edmond de

GONCOURT, Edmond de (1822-1896), romancier français. Edmond et Jules (1830-1870) de Goncourt se sont très tôt consacrés à la littérature. En 1851, ils publient un premier roman*, une œuvre fantaisiste qui n’eut aucun succès, En 18…. Les deux frères se tournent ensuite vers l’histoire : Histoire de la Société française pendant la Révolution (1854), Histoire de Marie-Antoinette (1858). Ils reviennent au roman avec Les Hommes de lettres (1860), œuvre qui donne une image très critique du monde de la bohème et du petit journal. En 1862, les Goncourt font leur entrée dans la haute société et sont reçus pour la première fois à Saint-Gratien chez la princesse Mathilde. Les romans se succèdent : Renée Mauperin (1864), portrait de la jeune fille moderne, Germinie Lacerteux (1865), le premier roman naturaliste, Manette Salomon (1867), très beau roman de l’artiste, et Madame Gervaisais (1869), peinture d’une Rome baroque et religieuse qui va exercer son tragique envoûtement sur une femme sceptique. Après la mort de Jules, Edmond revient difficilement à l’écriture ; il publie en 1877 La Fille Élisa, une œuvre naturaliste qui met en scène une prostituée meurtrière condamnée à la réclusion silencieuse. Il tente bientôt de dépasser le naturalisme désormais investi par Zola en cultivant une veine plus fantaisiste et plus poétique avec son roman du cirque, Les Frères Zemganno (1879), ou son roman de l’actrice, La Faustin (1892). L’ultime roman de Goncourt est un nouveau roman de la jeune fille, composé à partir de documents intimes que lui ont adressés des lectrices : Chérie (1884). En 1887, Edmond commence la publication d’extraits de son Journal. En 1895, Poincaré lui remet lors d’un grand banquet la rosette d’officier de la Légion d’Honneur. Le vieil écrivain meurt chez son ami Daudet, à Champrosay. 

Octave Mirbeau entre en relations avec Edmond de Goncourt le 31 mars 1877 en lui adressant une lettre de félicitations à propos de La Fille Elisa ; « le jeune homme inconnu » fait partie, quinze jours plus tard, du petit groupe d’écrivains qui vont sacrer, lors du fameux dîner Trapp, Flaubert, Goncourt et Zola « les trois maîtres de l’heure présente » (Journal, 16 avril 1877) ; les aînés rendent l’invitation à leurs six disciples (Maupassant, Hennique, Céard, Alexis, Huysmans et Mirbeau) le 9 mai 1878.

Mirbeau noue des liens plus personnels avec Edmond à partir de 1886 ; il lui rend visite à Auteuil ;  les deux hommes se retrouvent à des dîners comme ce Dîner de la Banlieue qui rassemble le 15 juin 1889 Gallimard, Toudouze et Monet. Le Journal nous raconte les visites de Goncourt aux divers domiciles de Mirbeau ; le 11 juillet 1889, c’est un dîner à Levallois-Perret, « un vilain endroit » ; le 6 juillet 1895, Edmond découvre la propriété de Carrières-sous-Poissy, aime la maison lumineuse et son parc fleuri,  tout en trouvant certaines « colorations » « abominables » ; le 22 février 1896, il dîne dans le pied-à-terre de l’Alma. Le célibataire d’Auteuil est un gourmet qui apprécie la cuisine raffinée d’Alice Regnault et les vins rares que lui sert son hôte. Au fil des rencontres s’esquisse le portrait physique d’Octave dont la dominante est le teint sanguin du visage : « Je considère l’aimable violent, dont le cou et le bas du visage ont le sang à la peau d’un homme qui vient de se faire la barbe » (Journal, 11 juillet 1889).

Les deux écrivains sont tous deux, chacun à leur manière, des dépressifs à qui une longue relation va apporter du réconfort. Goncourt encourage l’auteur de L’Abbé Jules et évoque le « plaisir nerveux » que donne la prose de Mirbeau dans une lettre du 9 avril 1888. Goncourt connaît des heures de tristesse et il a besoin de se distraire pour échapper au silence et à la solitude de la Maison d’Auteuil ; ce taciturne aime les causeurs et il apprécie la verve brillante d’un Daudet mais s’intéresse aussi aux ragots volontiers colportés par un Jean Lorrain ou un Octave Mirbeau. Le Journal revient sur les qualités de causeur de Mirbeau, « un causeur verveux, spirituel, doublé d’un potinier amusant » (15 juin 1889) ; le 24 avril 1890, Goncourt parle encore de cette « conversation « volontiers potinière, mais de temps en temps avec des envolées au-dessus des potins ». Mirbeau dévoile l’envers du décor, les secrets d’alcôve et les turpitudes du petit monde des lettres ; s’il accable Bourget ou Maupassant, il témoigne plus d’admiration pour Rodin. Le Journal nous fait  aussi de façon décousue le récit de vie de Mirbeau ; les hasards d’une conversation d’Eugénie Labille amènent un témoignage sur l’enfant agité de Rémalard (Journal, 26 août 1889) ; le 20 janvier 1886, Mirbeau fait état de  ses violences et confie avoir mis en pièces le petit chien adoré d’une maîtresse dont il était jaloux ; il avoue une période d’opiomanie (15 juin 1889). Les caricaturistes se sont parfois moqués de la crédulité de Goncourt, notamment dans le pamphlet intitulé Le Journal des Goncours. Edmond note sans doute des propos qui ne sont pas toujours fiables, mais il est peut-être moins dupe qu’on ne pourrait le croire et le naïf prend ses distances quand il parle, le 1er juin 1890, des « cancans extravagants faits par les potiniers des lettres ».

La relation Goncourt-Mirbeau va plus loin que ces plaisirs partagés de la médisance. Mirbeau admire et défend Goncourt dans ses articles. Le 19 juin 1887, il publie dans Le Figaro une étude sur le Journal des Goncourt intitulée  « La Postérité » où il montre comment le diariste remet à leur place les fausses gloires ; il regrette cependant une sévérité, qu’il estime injuste, à l’égard de Flaubert. L’imprécateur sait se montrer fidèle et s’engager en faveur de ses amis et il défend Edmond contre les critiques de Bonnières dans un article du 17 mars 1891 à L’Écho de Paris, « Le Cas de M. de Goncourt », où il brosse d’Edmond le portrait que celui-ci entendait léguer à la postérité: « Cette vieillesse solitaire et abandonnée un peu, cette vieillesse après tant d’orages, tant de déceptions fièrement supportées, tant d’amertumes hautainement endurées, cette vieillesse toute vibrante encore des bravoures et des ardeurs d’une jeunesse passionnée du Beau, est une des choses qui me sont le plus émouvantes. » Edmond allait témoigner d’une durable gratitude pour cet article, qui lui était allé au cœur. Il note dans le Journal, dès le 16 mars 1891, à propos de Mirbeau : « Ç’a été mon seul défenseur, mon seul champion » ; un mois avant de mourir, Goncourt redit encore sa reconnaissance pour ce fameux article dans son Journal du 14 juin 1896. Edmond avait placé Mirbeau dans le Saint des Saints de sa bibliothèque en demandant à Rodin d’illustrer de portraits à la plume de Mirbeau son exemplaire de Sébastien Roch. La consécration suprême fut, bien sûr, d’avoir désigné Mirbeau dans le testament fondateur de l’Académie comme l’un des membres de la future institution.

Bien des forces centrifuges auraient pourtant pu séparer les deux hommes, et tout particulièrement leurs idées politiques. Mirbeau défend la Commune, non pas dans ses chefs, mais dans la masse malheureuse qui avait cru au mouvement. A la lecture d’un article où Mirbeau soutient Ravachol dans l’Endehors, Goncourt note simplement : « C’est embêtant… » (Journal, 6 mai 1892). Cet homme foncièrement conservateur avait, en fait, une grande capacité à nouer des liens avec des adversaires politiques qui partageaient ses goûts littéraires. La relation Goncourt-Mirbeau a, certes, ses temps morts, mais elle ne se dégrade pas, contrairement à tant d’amitiés qui virent à l’aigre dans le Journal. Mirbeau aime le théâtre novateur d’Edmond et il apprécie le Journal, qui suscite des réserves de plus en plus vives au fil des publications ; il admire les qualités morales de son vieil ami d’Auteuil, à propos duquel  il confiera dans une lettre à Gustave Geffroy du 12 juillet 1889 : « Je l’aime infiniment. »

P.-J. D.

 

Bibliographie : Pierre Dufief, « Correspondance Goncourt-Mirbeau », Cahiers Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 200-208 ; Edmond et Jules de Goncourt,  Journal, Robert Laffont, collections Bouquin, tome III, 1989 ; Octave Mirbeau, Correspondance générale, édition établie et annotée par Pierre Michel, Lauisanne, L’Âge d’homme, tomes I, II et III, 2003-2009.

 

 


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