Thèmes et interprétations

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Terme
HOMOSEXUALITE

Mirbeau a une attitude ambiguë face à l’homosexualité. Surtout face à l’homosexualité masculine, à vrai dire, car le saphisme, qui est un thème abondamment traité dans la littérature fin-de-siècle, ne semble pas lui poser de problème particulier : ainsi Célestine parle-t-elle comme d’une chose toute naturelle de ses épisodiques relations sexuelles avec Cléclé, dans Le Journal d’une femme de chambre (1900) : « Comme nos deux lits étaient l'un près de l'autre, nous nous mîmes ensemble, dès la seconde nuit... Qu'est-ce que vous voulez ?... L'exemple, peut-être... et, peut-être aussi le besoin de satisfaire une curiosité qui me trottait par la tête, depuis longtemps... C'était, du reste, la passion de Cléclé... depuis qu'elle avait été débauchée, il y a plus de quatre ans, par une de ses maîtresses, la femme d'un général... » (chapitre XIII).  De même Clara avec Annie, dans Le Jardin des supplices (1899). On a l’impression que les caresses échangées entre femmes sont anodines et sans conséquence – du moins entre personnes adultes et consentantes, ce qui n’est évidemment pas le cas dans Le Foyer (1908), où la directrice d’un foyer pour orphelines, Mlle Rambert, offre des récompenses très spéciales à ses préférées, se rendant ainsi coupable d’abus sexuels.

Il n’en va apparemment pas de même de l’homosexualité masculine. Car Mirbeau en a, semble-t-il, une véritable phobie, qui est sans doute le résultat de ce qu’il a vécu au collège de Vannes et qu’il a transposé dans son roman Sébastien Roch (1890). Ce traumatisme du viol a entraîné chez lui une profonde répulsion pour l’homosexualité masculine et, plus encore, une révolte indignée contre les abus sexuels perpétrés sur des enfants et contre le trafic sexuel d’adolescents (voir la notice Pédophilie). Dans une de ses Chroniques du Diable de 1885, le diablotin aux pieds fourchus qui signe l’article exprime son « écœurement » et son « dégoût » pour les « messieurs bien mis » qui vont acheter les faveurs de « gamins » à des « familles d’ouvriers » dans la misère, et il en appelle à « la protection de l’enfance », avant de conclure : « Oh ! le balai, le grand balai, pour ceux qui sont pourris sans espoir » (« De Paris à Sodome », L’Événement, 9 mars 1885).

Et pourtant, lorsque, dix ans plus tard, Oscar Wilde est arrêté et condamné au hard labour, Mirbeau est un des rares à oser prendre courageusement sa défense, dans deux articles du Journal : le 16 juin 1895, dans « À propos du hard labour », et le 7 juillet suivant, dans « Sur un livre ». Ce sont, concède-t-il, « des actes fâcheux » qu’on lui reproche, mais que « était libre de commettre et dont personne n’avait à lui demander compte, car, je ne cesserai de la répéter, ils ne relèvent que de sa conscience et de notre dégoût ». Autrement dit, la vie privée de Wilde ne regarde que lui, les goûts, en matière de sexualité comme dans les autres domaines, ne sont qu’une affaire personnelle, et ce n’est pas à la société d’imposer des règles et des normes. Le « dégoût » que lui inspirent certaines pratiques ne saurait suffire pour que Mirbeau accepte la monstruosité leur condamnation pénal, a fortiori aussi totalement disproportionnée, et à une peine aussi barbare que le hard labour, dans un pays qui se prétend civilisé, mais qui est en réalité fort hypocrite, puisque, comme il le rappelle, l’Angleterre continue de célébrer Shakespeare, qui « chanta » et « commit » pourtant « le vice infâme » pour lequel Wilde a été condamné. Pour défendre Oscar Wilde en dépit de son propre « dégoût » pour ce « vice infâme », il a fallu le dépouiller de toute caractéristique sexuelle, pour ne voir en lui qu’un génie persécuté et qu’une victime à soutenir face à un ordre social gangrené, de même que, pour s’engager en faveur d’Alfred Dreyfus, il lui faudra le dépouiller de toute appartenance de classe, de caste et de « race ».

Reste qu’il n’est pas interdit d’aller plus loin, pour essayer de comprendre son intervention en faveur de Wilde. On peut, par exemple, s’interroger sur la possible ambivalence de ce « dégoût » proclamé : ne serait-il pas concevable d’y voir l’envers d’un penchant mal refoulé ? Il s’avère en effet que le jeune Sébastien, séduit et violé par le père de Kern, y a pris malgré tout du plaisir et que sa sexualité en a été à jamais déformée. N’y aurait-il pas eu un phénomène de cet ordre chez son créateur ? La stupéfiante gynécophobie de Mirbeau, d’une part, et, d’autre part, ses véritables déclarations d’amour à ses amis les plus chers, notamment Paul Hervieu, Claude Monet et Auguste Rodin, et les multiples « je vous embrasse » qui terminent immanquablement ses lettres, ne peuvent-ils être considérés comme autant de symptômes d’une attirance inavouable ? 

Voir aussi les notices Sexualité, Pédophilie, Wilde et Gynécophobie.

P. M.

 

Bibliographie : Laurent Ferron, « Le Viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001 pp. 287-297 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Oscar Wilde », Rue des Beaux Arts, n° 7, février-mars 2007.   

 


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