Familles, amis et connaissances

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Terme
HURET, jules

HURET, Jules (1863-1915), est l'un des premiers grands reporters et, à ce titre, un des fondateurs du journalisme moderne. Journaliste à L'Écho de Paris, puis au Figaro, où on l’a un temps confiné dans les nouvelles littéraires, puis dans les échos de théâtre, pour cause d’incorrection politique, il s'est spécialisé d’abord dans les enquêtes, genre totalement nouveau à l’époque. Il s’est fait rapidement connaître dès 1891 par sa passionnante Enquête sur l'évolution littéraire, recueil d’interviews d’écrivains parues en feuilleton dans L’Écho de Paris, puis par sa vaste Enquête sur la question sociale en Europe  (1897), pré-publiée dans Le Figaro et préfacée par Jaurès et Deschanel, suivie d’une enquête sur Les Grèves (1902).  Ses plus gros volumes sont des reportages fort bien documentés et très complets sur les États-Unis (En Amérique, 1904-1905), sur l’Allemagne (En Allemagne, 1906-1907-1910), et sur l’Argentine (En Argentine, 1911-1913). Il a aussi publié, en 1901, deux recueils de ses articles : Tout yeux, tout oreilles et Loges et coulisses. Dreyfusard, il a accompagné Alfred Dreyfus après sa libération. Usé prématurément par les fatigues de ses périples à travers le monde, il est mort en 1915.

            Huret a été un très grand ami de Mirbeau et a peu à peu supplanté dans son cœur Paul Hervieu, au fur et à mesure que celui-ci se laissait dévoyer par les mondanités et les “honneurs”. La fraternité spirituelle et la complicité qui les unissent éclatent dès leur première rencontre, qui laisse au jeune journaliste une impression « inoubliable ». Une fois abolie la distance, de génération et de statut social, qui eût pu les séparer, la convergence des tempéraments et des perceptions du monde est saisissante. Tous deux sont au premier chef des journalistes rebelles, mais qui ont su, grâce à leur fermeté sur les principes et leur souplesse dans les relations humaines, créer un rapport de forces favorable qui leur a permis, non sans mal, de se frayer un chemin vers la célébrité, dans un monde de requins sur lequel ils jettent un regard dépourvu de la moindre complaisance. Tous deux sont des observateurs distanciés de la comédie sociale et de la comédie littéraire, dont les bouffonneries excitent leur antiseptique ironie, mais les amusent moins qu’elles ne les attristent. Tous deux ont « le tourment de la vérité » et conçoivent pareillement leur mission d’éveilleurs de conscience, d’arracheurs de masques, de révélateurs de ce qui grouille d’innommable sous le vernis de respectabilité des puissants de ce monde. Tous deux préservent farouchement leur liberté intellectuelle et refusent de se laisser duper par les  grimaces destinées à manipuler le bon peuple ou griser par les modes, les « fétichismes » et les langues de bois. C’est pourquoi Mirbeau admire vivement chez Huret, son art d’accoucher les esprits et d’amener les interviewés à se déboutonner malgré qu’ils en aient : « Avec une adresse qui sait s’effacer, au moyen d’interrogations insidieuses et polies qui n’ont l’air de rien, M. Jules Huret oblige chacun à se révéler tout entier, à montrer ce qu’il y a en lui, sous le maquillage des faux sentiments et des grandes idées, de grotesque, de ridicule, de grimaçant. Il force les confidences, extirpe les bas aveux, il apprivoise les inoubliables rancunes. »

Mirbeau a rendu compte élogieusement des deux grandes enquêtes de Jules Huret, sur l’évolution littéraire (« L’Enquête littéraire », L’Écho de Paris, 25 août 1891) et sur la question sociale (« Questions sociales », Le Journal, 20 décembre 1896,). Il a aussi préfacé en 1901 Tout yeux, tout oreilles et s’est battu, en vain, pour que Jules Huret obtienne, en 1905, le prix Goncourt pour le premier volume de son reportage sur l'Amérique du Nord, De San Francisco au Canada. De son côté Huret a interviewé Mirbeau en 1891, a consacré un élogieux article aux Mauvais bergers en janvier 1898, a rédigé l’article Mirbeau de la Grande encyclopédie,  en 1900, et, le 29 août 1900, dans La Petite République, a vigoureusement défendu Le Journal d’une femme de chambre, que venait précisément de lui dédier le romancier, parce que, explique-t-il, « nul mieux que vous, et plus profondément que vous, n'a senti, devant les masques humains, cette tristesse et ce comique d'être un homme... Tristesse qui fait rire, comique qui fait pleurer les âmes hautes. »

Leur Correspondance, partiellement croisée, a été publiée en 2009 aux Éditions du Lérot, grâce aux archives de Jean-Étienne Huret, petit-fils de Jules. Elle n’est malheureusement pas complète, mais elle comporte, en annexe, les sept articles qu’ils se sont consacrés l’un à l’autre. Elle est particulièrement éclairante – et édifiante – sur les milieux du journalisme et de l’édition. Deux lettres hilarantes de Mirbeau se présentent comme une sténographie de deux réunions de l’Académie Goncourt à l’automne 1905.

P. M.

 

            Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Jules Huret », préface de la Correspondance Mirbeau-Huret, Éditions du Lérot, 2009, pp. 7-18.


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