Familles, amis et connaissances

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Terme
MAUPASSANT, guy de

MAUPASSANT, Guy de (1850-1893), journaliste, conteur et romancier, qui a subi à ses débuts l’influence de son père spirituel, Gustave Flaubert. Il a mené pendant plus de dix ans la vie modeste d’un employé de ministère, tout en pratiquant le canotage et en multipliant les conquêtes féminines, avant de pouvoir vivre de sa plume au lendemain de la révélation, en 1880 de son chef-d’œuvre, Boule de Suif, inséré dans les Soirées de Médan. Il a écrit six romans : Une vie (1883), qui est le plus proche de l’idéal naturaliste, Bel Ami (1885), où il décrit les coulisses du Gil Blas auquel il collabore, Mont-Oriol (1887), Pierre et Jean (1888), dont l’importante préface exprime son éloignement du naturalisme, puis Fort comme la mort (1889) et Notre-Cœur (1890), qui se ressentent fâcheusement de l’influence de Paul Bourget. Mais ce qui lui a valu une réputation hors de pair, ce sont quelque trois cents contes et nouvelles publiés dans la presse et recueillis dans une douzaine de volumes : La Maison Tellier (1881), Mademoiselle Fifi (1883), Contes de la bécasse (1883), Les Sœurs Rondoli (1884), Le Horla (1887), La Petite Roque (1886), Le Rosier de Madame Husson (1888), etc. Dans ces récits imprégnés d’un pessimisme schopenhauerien, il excelle à suggérer la vie avec un minimum de moyens, au risque parfois de paraître simpliste ou vulgaire. Il a brillé aussi bien dans des contes fantastiques, enracinés dans le très ordinaire de la vie, que dans des contes réalistes, notamment des contes du terroir normand, ce qui le rapproche de Mirbeau. Sur la fin, son snobisme croissant et le progression d’une syphilis ont quelque peu altéré son talent. Après une tentative de suicide, il a été interné dans une maison de santé, où il est mort quinze mois plus tard, sans avoir retrouvé sa lucidité.

C’est dans les années 1870, à Paris, que Mirbeau a commencé à fréquenter Maupassant, une des très rares personnes qu’il ait jamais tutoyées. Deux épisodes bien connus témoignent de leur complicité à cette époque : le 13 avril 1875, Octave a joué dans la farce obscène de Guy,  À la feuille de rose, maison turque, dans l’atelier du peintre Maurice Leloir ; et, le 31 mai, 1877, ils ont tous deux participé au fameux dîner chez Trapp, où six jeunes écrivains rendaient hommage à Flaubert, Goncourt et Zola. Ils fréquentaient alors la même bohème littéraire, notamment le milieu de La République des Lettres de Catulle Mendès, ils devaient bien souvent se contenter des « inexprimables cuisines » de la mère Machiny, ils aspiraient pareillement à la reconnaissance de leurs prestigieux aînés et ils ne s’interdisaient aucune frasque ni aucune provocation. Lorsque Guy est victime, en janvier 1880, de poursuites judiciaires pour un poème, « Une fille », jugé contraire aux bonnes mœurs, Octave, à la demande de son ami, servira tout naturellement d’intercesseur auprès de son patron, Arthur Meyer, pour permettre à Gustave Flaubert de s’élever, dans Le Gaulois du 21 février 1880, contre les poursuites engagées à l’encontre de son protégé. Au cours des années 1880, Mirbeau rend à plusieurs reprises hommage au talent de son ami, « ce conteur robuste et fécond, qui mêle avec tant d’art l’observation le plus cruelle aux sensibilités les plus délicates » (Les Grimaces, 8 septembre 1883), et consacre notamment à Bel Ami un article fort élogieux (voir « La Presse et Bel Ami », La France, 10 juin 1885). En novembre 1885, il dédie une des meilleures Lettres de ma chaumière, « Justice de paix », à Guy de Maupassant, qui lui avait dédie « Aux champs » en octobre 1882. De son côté, Maupassant adresse à son ami une lettre élogieuse sur Le Calvaire et lui manifeste une sympathique compréhension de L’Abbé Jules.

Pourtant des fêlures sont apparues depuis plusieurs années. La vulgarité de Maupassant, sa vanité de beau mâle fier de ses biceps et de ses conquêtes féminines, semblent de mauvais aloi à Mirbeau, qui lui préfère de beaucoup la finesse et la délicatesse du gentil Paul Hervieu. Octave est aussi fort irrité par ce qu’il considère comme du réclamisme dans la façon dont Guy organise sa célébrité croissante (voir notamment « Réclame », Le Gaulois, 8 décembre 1884). Par ailleurs, peut-être sous l’effet de la maladie, Maupassant lui donne la douloureuse impression de ne plus s’intéresser à rien et de ne plus rien aimer, ni la nature, ni les amis, ni l’art, ni la littérature (« jamais Maupassant n’a rien aimé, ni son art, ni une fleur, ni rien ! », écrit-il à Claude Monet) : un fossé semble désormais les séparer.

Mais ce qui achève de le détacher de son ancien complice, c’est le snobisme de Maupassant, dont, à force de fréquenter du beau linge (les Rothschild, Pereire et autres Fould), le solide bon sens de terrien normand ne résiste pas bien longtemps à ce que Goncourt appelle sa « folie des grandeurs ». Car, pour Mirbeau, ce snobisme n’est pas seulement révélateur d’une âme vulgaire : il corrompt aussi le talent, altère « la sincérité des sensations » et « l’exactitude de l’œil », comme le prouve par exemple la déplorable conversion de Maupassant à la psychologie bourgétienne, dans Notre cœur. Dans le tardif récit, inséré en 1907 dans La 628-E8, de sa dernière rencontre avec Bourget et Maupassant, le 2 février 1890, à Cannes, sur le Bel Ami, Mirbeau évoquera ainsi la mortifère influence de Bourget : « Le déjeuner fut morne, morne... Maupassant ne disait pas un mot... Il était si affreusement triste, il nous regardait avec des regards si étranges, si étrangement lointains, que je ne pus m'empêcher de lui demander : “Qu'est-ce que tu as ?... Es-tu malade ?...” Il se décida enfin à répondre : “Non... Je ne suis pas malade... seulement... voilà... tu comprends ?... Hier... tiens !... à la place où tu es, il y avait la princesse de Sagan... là, où est Bauër, la comtesse de Pourtalès... Qu'est-ce que tu veux ? [...] Ces femmes-là... je les adore... parce que, mon vieux, vois-tu ?... elles ont quelque chose que les autres n'ont pas, et qu'avaient nos aïeules... nos chères aïeules... l'amour de l'amour !” Tous, nous avions le cœur serré, sauf Bourget qui, s'adressant à Maupassant, lui demanda : “Et Notre cœur ?... Où en êtes-vous ?” Et, comme Maupassant ne répondait pas, faisait un geste vague : “Quel beau titre ! s'écria Bourget, qui nous prit à témoins... Vous verrez... ce sera le plus merveilleux livre !... Un livre extraordinaire !” Il eut le courage, ou l'inconscience, d'appuyer plus lourdement : “Il me le doit... car c'est moi qui l'ai amené à la psychologie... N'est-ce pas, Maupassant ?... c'est moi ? Dites que c'est moi ?” Alors, Maupassant hocha la tête, et il se mit à rire, d'un rire pénible qui me fit l'effet d'une sonnerie électrique qui se déclenche... Jamais, rien de si douloureux.... de si funèbre... Voilà donc où il en était, ce rude garçon, que, tant de fois, sur les berges de la Seine, bras nus, maillot collant, j'avais vu manier l'aviron avec un si bel entrain de joyeux canotier !... »

P. M.

 

Bibliographie : Samuel Lair, « Maupassant et Mirbeau : le clos et l’ouvert » , Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 15-29 ; Pierre Michel, « Maupassant et L’Abbé Jules », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 209-234 ; Pierre Michel, « Mirbeau et Maupassant », L‘Angélus, n° 18, 2009, pp. 26-40.

 

 


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