Thèmes et interprétations

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Terme
OBSCENITE



Très tôt, l’œuvre de Mirbeau, enrôlée sous l’étiquette naturaliste, a été en butte à l’accusation d’obscénité. Les critiques virent dans ses thèmes, mis en valeur par un style et des procédés propices à l’exacerbation, les indices d’une littérature immorale qu’il convenait de condamner au nom des valeurs bourgeoises dont ils étaient les gardiens. Ces raisons n’épuisent cependant pas les causes de ces attaques répétées. Au-delà de la crudité de certains propos et du caractère scabreux de plusieurs extraits, la prose mirbellienne se voit reprocher sa tendance au dévoilement et à la démythification des idoles de la Troisième République. 

 

La thématique libidinale

Nul doute que l’attention accrue portée à la sexualité dans les romans a beaucoup compté dans la réception de Mirbeau. L’instinct génésique et la fascination pour la femme, typique de l’inspiration fin-de-siècle, sont omniprésents sous sa plume. La figure de l’abbé Jules incarne à elle seule toutes les pulsions qui ravagent l’individu en proie à une libido impérieuse et irrépressible, dont l’apothéose se situe à la fin du roman lorsque la mystérieuse malle du personnage révèle son contenu : un lot d’images érotiques. Célestine, dans Le Journal d’une femme de chambre, passe en revue les vices de ses contemporains en dressant un étonnant catalogue de leurs perversités, depuis le fétichisme jusqu’aux parties de débauche, en passant par un goût prononcé pour les ouvrages libertins… Le rayon « curiosa » n’est pas le moins fréquenté chez les libraires d’alors et les éditeurs savent exhumer les textes susceptibles de trouver leur public parmi la clientèle de respectables lettrés. Le titre même du roman entre, pour les contemporains de Mirbeau, en résonance avec l’intertexte de la littérature licencieuse du siècle précédent. Il n’est, dès lors, pas surprenant de trouver l’œuvre réduite à la seule thématique érotique, comme en témoignent les études consacrées au genre, qui la citent fréquemment, ou encore l’inspiration privilégiée par les illustrateurs du roman.

 

La pulsion scopique

L’attention portée au regard dans l’écriture mirbellienne vient encore aggraver les choses puisque les invites à contempler, observer ou scruter sont légion et que le voyeurisme (voir l’entrée Complexe d’Asmodée) des narrateurs place le lecteur dans la même position d’observateur privilégié. Héritier lucide d’un naturalisme dont il va rapidement se détacher, Mirbeau insiste sur le détail anatomique, l’organisme morcelé, en proie au désir ou à la maladie par une « écriture du corps » (Emmanuelle Lambert) prêtant ainsi d’autant mieux le flanc à l’accusation de pornographie.

 

Une herméneutique…

Mais l’œil est avant tout un outil de connaissance et, comme le font dans les Beaux-Arts ses amis impressionnistes, c’est à une révolution du regard que conduit l’écriture romanesque de Mirbeau. Moins scientifique et systématique que celle de Zola, la description mirbellienne s’attache à explorer les zones d’ombre de la psyché et de la société de l’époque. La narration subjective d’un narrateur engagé dans la diégèse conduit le regard du lecteur au-delà des limites acceptables pour la morale conventionnelle. L’accusation d’obscénité se retourne alors contre elle-même lorsque Mirbeau inverse la charge de la preuve contre ses détracteurs en qualifiant, par exemple, l’une de ses chroniques, « un peu leste », de « document champêtre » (lettre à Charles Lalou, juillet 1885, in Correspondance générale, I, L’Âge d’Homme, 2002, p. 406).

 

au service d’une critique sociale

L’obscénité apparaît alors moins dans la mise en écriture des faits rapportés que dans leur existence même, imputable à la société. La volonté de révélation est intimement liée à la nature de textes incapables de passer sous silence les aspects les plus triviaux et sordides du réel. Loin de détourner le regard, l’œuvre fouaille les entrailles d’une société peu habituée à voir exhiber ses propres organes et disséquer sa morale. Le motif de la femme-guide sert de fil rouge à la poétique de dévoilement sans fard qui fait le fond de l’engagement mirbellien. La figure féminine des premiers textes était, d’une manière convenue, la femme fatale ; celle des derniers, conserve ce trait bien fait pour captiver le lectorat, mais se mue en principe de séduction, c’est-à-dire de ruse et de réversibilité. Elle donne la leçon qui explique la décadence du monde et propose, non une alternative, mais le refuge dans l’ambivalence de son sexe. Elle est la voix qui porte à la lumière les contradictions de la société. Elle nomme la réalité plus qu’elle n’en indique le modus vivendi ; son rôle est celui de Cassandre : annoncer le pire. Le lecteur, d’abord sollicité par le corps, puis par la voix féminine, l’est ensuite par le jeu des miroirs des regards, avant que ne lui échoie enfin la responsabilité de l’interprétation. Ce qu’affirment avec force les textes, c’est que l’obscénité se trouve dans l’œil de celui qui regarde. À chacun, une fois le livre refermé, d’interroger sa propre conscience.

Le roman mirbellien est le vecteur d’un dévoilement qui arrache progressivement aux peintures du réel le vernis conventionnel qui les recouvre. Il projette de surcroît le lecteur au cœur du principe de révélation. Or, quoi de plus obscène, en définitive, que l’accès à la lucidité dans l’insouciance du présent ?

Voir aussi les notices Morale, Complexe d’Asmodée, Prostitution et Sexualité.

A. V.

 

Bibliographie : Gaétan Davoult, « Déchet et corporalité dans Le Journal d’une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, p. 115-137 ; Emmanuelle Lambert, « L’Ecriture du corps dans les romans autobiographiques d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, p. 39-46 ; Arnaud Vareille, « Mirbeau l’obscène », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, p. 101-123.

 

 


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