Familles, amis et connaissances

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Terme
ROBBE, alexandre

Robbe, Alexandre Emile  (1834 – 1880), notaire à Rémalard, dépositaire du testament de l’abbé Louis Amable Mirbeau et premier employeur d’Octave Mirbeau.

Octave va sur ses dix-neuf ans quand il entre, très probablement en janvier 1867, dans l’étude de Me Robbe pour y accomplir ce qu’on appellerait de nos jours un stage de formation. Discrétion notariale oblige, il ignore très certainement que Me Robbe s’est rendu deux mois plus tôt rue de l’Église à Rémalard, « dans une chambre à cheminées au premier étage éclairée par deux fenêtres donnant sur un jardin et faisant partie d’une maison » habitée par l’abbé Louis Amable Mirbeau (oncle d’Octave) pour y recevoir de ce dernier « un papier clos et scellé en cinq endroits avec de la cire rouge ». C’est sur ce papier, aujourd’hui conservé, avec son enveloppe porteuse de ces indications, aux Archives départementales de l’Orne, que l’abbé a écrit son testament mystique, adjectif dépourvu de toute connotation religieuse signifiant simplement qu’il s’agit, justement, de volontés remises sous scellés à un notaire en présence d’au moins deux témoins. Il y aura à peine deux mois qu’Octave est employé dans l’étude quand ce document sera ouvert fin mars 1867 si le processus stipulé par le testateur alors défunt a été respecté comme tout porte à le croire. Et ce sont les dernières volontés ainsi exprimées par son oncle Louis Amable qui lui inspireront en partie vingt ans plus tard le contenu du testament explosif attribué au personnage principal de son roman L’Abbé Jules…

En s’orientant vers le notariat, Octave Mirbeau a surtout voulu échapper à des études de médecine programmées par son père officier de santé. « J’ai abonné (sic, pour abandonné) Hippocrate pour Justinien, Cujas pour Velpeau, écrit-il le 20 février 1867 à son ami Alfred Bansard des Bois. Je crois que je n’ai pas fait une bévue, car j’ai constaté plusieurs fois que je n’étais pas fait pour la lancette et le bistouri. Du reste, je trouve qu’il faut avoir l’âme attachée dans le corps avec de gros boulons d’acier pour écorcher les gens vifs, et les raccourcir quelquefois d’une jambe ou d’un bras ; bienheureux quand ce n’est pas de la tête. Mais chacun ici-bas a ses spécialités !!! »

L’état de notaire est une voie qui coule de source pour le jeune homme, arrière-petit fils, petit-fils et neveu de notaires. Il précise d’ailleurs dans la même lettre que son stage n’est que le prélude à des études de droit qu’il poursuivra à partir de l’année suivante à Paris. Certes, écrit-il encore, ses « petites aspirations » personnelles vont se trouver « comprimées dans la caverneuse étude de Me Robbe », mais ce notaire « qui, entre nous, n’a pas mis une queue aux grenouilles, n’est pas mauvais garçon ».

Il n’a d’ailleurs que trente-deux ans, Me Robbe, quand le jeune homme entre à son service. Cela suffit, bien entendu, à interdire toute gamberge voyante sur une éventuelle accession ultérieure d’Octave à la tête de son étude rémalardaise, étude dont le grand-père Mirbeau avait lui-même tenu les rênes de 1815 à 1830. Mais il n’est tout de même pas interdit d’y penser un peu, et il y a tout lieu de croire que tel est le secret dessein du père du nouveau saute-ruisseau. L’avenir prendra une tournure qui aurait pu s’avérer propice à un tel aboutissement de l’histoire puisque Me Robbe passera de vie à trépas dès 1880, à l’âge de quarante-six ans, alors qu’Octave n’en aura lui-même à ce moment-là que trente-deux.

Mais tel ne sera pas le destin du stagiaire, car telle n’est pas sa vocation. Il en apportera lui-même plus qu’un indice quand il se rendra à Paris en novembre 1868 pour y poursuivre son cursus par des études universitaires. Constamment absent aux cours, il va alors emprunter des voies radicalement étrangères à son programme en dispersant son énergie dans une profusion de soupers fins, de bals et d’aventures galantes. L’amoncellement de dettes qui en résultera conduira au bout du compte son père à le rapatrier, plus ou moins penaud, à Rémalard, où il n’aura pas d’autre issue qu’un retour dans la « caverneuse étude » à laquelle il avait échappé.

La suite n’est qu’un long (long mais non dépourvu de pittoresque) gémissement d’ennui. C’est sur le ton de l’autodérision résignée qu’il fait part le 8 décembre 1869 dans une lettre à l’ami Bansard de la perspective de plus en plus probable de son engagement dans la carrière notariale : « Je t’avais parlé (…) de ma perplexité dans le choix d’une position. (…) Je ne suis pas encore décidé, mais néanmoins, je crois que je vais opter pour le notariat. Pour le notariat, oui, oui, mon cher ! (…) Je ne sais si tu es comme moi, je ne puis m’empêcher de rire quand je prononce ce mot : notaire ! Cela évoque tant d’idées ridicules, tant de bêtise ventrue. C’est inséparable de conseiller municipal ! Notaire !!! Eh bien oui, je vais me fourrer le cou dans la cravate blanche, et l’esprit dans une liquidation. C’est affreux ! Mais puisqu’il faut que je fasse quelque chose, cela ou autre chose… »

Six semaines plus tard, il écrit à Bansard qu’il a sauté le pas : « Je t’envoie une lettre de (faire)-part. Je suis mort. Mort. Et enterré. Je suis entré aujourd’hui  dans la boîte à surprises du notariat ! J’avale Robbe tous les matins, je le digère toute la journée – digestion pénible, mon vieux. »

Mort et enterré… Ce sont en définitive Madame la Guerre puis le député bonapartiste Henri Dugué de la Fauconnerie qui se chargeront, au prix de tout autres expériences, de tirer le notaire en herbe de ce qu’il a appelé dans un autre lettre à Bansard son « cercueil rémalardais ».

Oubliera-t-il  pour autant dans les avenues de sa carrière parisienne le vivier notarial de ses débuts ? Bien sûr que non. Il s’en souviendra notamment dans son dernier roman, Dingo, en écrivant : « Dans les petits pays, et aussi dans les grands, - mais surtout dans les petits, - le notaire est toujours populaire. Il représente quelque chose de plus qu’un homme, quelque chose de plus qu’une institution;  il représente les champs, les prairies, les bois, les moissons et les maisons ; il représente l’héritage, le mariage ; il représente la propriété, enfin... Il unit la terre à la terre, l’argent à l’argent, transmet la terre et l’argent de l’un à l’autre, d’une famille à l’autre famille, du mort au vivant, et il fait fructifier l’argent  pour ensuite le changer en terres. (…) Et son étude, remplie de cartons poussiéreux et de vénérables paperasses, est un temple vers quoi convergent tous les intérêts, tous les désirs, toutes les espérances, toutes les passions, tous les crimes secrets d’un petit pays. (…)  Méfiants envers leurs pères, leurs mères, leurs enfants et envers eux-mêmes, méfiants envers les animaux et les choses, les paysans accordent au notaire une confiance illimitée. Cette confiance constitutionnelle, congénitale, rien ne l’ébranle, ni les disparitions, ni les fuites, ni les catastrophes. Ruinés [par le notaire] qui est parti, ils se mettent aussitôt en devoir de se faire ruiner par celui qui arrive. »

Parti de la « bêtise ventrue » des notaires, Octave en est ainsi arrivé à dénoncer la partition qu’ils jouent dans le grand concert de l’injustice et des aliénations sociales. Cela sans se départir de l’ironie corrosive qui est un de ses charmes. Admirons l’artiste.

 

M.C.


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